Chapitre 1 

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  Marie et Jean s'étaient mariés à l'église de Sain-Martin un jour d'automne 1937. C'était un mariage sans prétention, Marie portait une robe cousue par sa mère et Jean le costume ayant appartenu à son frère et à ses cousins avant .Même le temps s'était accordé à la cérémonie, un pâle soleil brillait derrière des nuages gris, il aurait semblé que la météo elle même était simple, sans prétention. La moitié du village s'était entassée dans la petite église du bourg pour l'occasion, il faut dire qu'un mariage était toujours une bonne occasion pour boire un peu, échanger les derniers ragots et, pour les plus jeunes, de danser. Le père Henri avait récité quelques banalités à propos de l'union sacrée devant Dieu, de la fidélité, du mariage...il n'avait pas été question d'amour une seule fois, et pour cause, ce n'était pas un mariage d'amour. Les mariages d'amour disait-on, c'était bon pour ceux qui avaient le temps, pour les gens de la ville ou les fortunés, Jean et Marie n'étaient ni l'un ni l'autre. Au village on se mariait par nécessité, parce que c'était dans l'ordre des choses mais pas par amour, l'amour arrivait après ou n'arrivait pas, c'était ainsi.

Jean et Marie se connaissaient pour ainsi dire depuis toujours, leurs familles habitaient à quelques rues à peine l'une de l'autre, ils avaient été à l'école communale ensemble, joué de longs après midis durant dans la rivière, havre de fraîcheur pour tous les gosses du village qui sauvait leurs étés caniculaires, castré le maïs ensemble à l'adolescence, partagé quelques danses aux bals du 14 juillet : ils s'entendaient bien. Alors, quand une fois ses 19 ans fêtés sa mère avait suggéré à Marie qu'il serait temps de réfléchir à se marier, Marie avait pensé à Jean. Un dimanche après la messe elle était allée avec ses parents à la ferme des Leroy, ils avaient tous discuté un long moment autour de la table familiale, ils avaient mangé le poulet dominical préparé par Germaine, la mère de Jean, et la tarte confectionnée par Marguerite, la mère de Marie. Quand ils s'étaient séparés en fin d'après midi, la décision était prise et la date fixée : Marie et Jean allaient se marier à l'automne prochain, après les récoltes.

Les mois qui suivirent Marie y pensa peu, elle avait très occupée par la préparation de son concours pour l'entrée aux PTT -qu'elle avait brillamment réussi- puis sa sœur Yvonne avait accouché de son troisième enfant, elle était revenue s'installer dans la maison familiale quelques temps pour se faire aider par sa mère et sa sœur. Marie savait que ce serait bientôt elle à la place de son aînée, un enfant au sein et un ou deux autres jouant à ses pieds, elle attendait cela sans hâte ni peur, elle l'attendait comme on attend la nuit ou le lendemain, en ayant la certitude que cela va arriver car c'est dans l'ordre naturel des choses. Ses sœurs et ses amies du village étaient presque déjà toutes mariées, enceintes ou déjà mères, elle savait quel cours allait suivre sa vie : jeune épouse puis mère dévouée, associée fidèle dans l'activité de son mari, toute sa vie serait dédiée aux siens. Marie s'estimait déjà chanceuse, elle et sa meilleure amie Denise étaient les seules filles du villages à avoir continué l'école jusqu'au baccalauréat. Après le certificat d'étude la plupart de ses camarades avaient quitté les bancs de l'école communale pour aider leurs parents à la ferme ou dans l'entreprise familiale, en majorité cela ne les avaient pas peiné au contraire, elles n'avaient que peu d'intérêts pour les enseignements et avaient hâte de commencer leur vie d'adulte.

Pour Marie et Denise c'était tout l'inverse, elles étaient non seulement passionnées par tous les cours dispensés par Mlle Bernard, l'institutrice du village, mais en plus de ça extrêmement douées, l'une et l'autre se chamaillaient le titre de première de la classe. Un soir de mai, peu avant le certificat d'étude Mlle Bernard -qui n'avait pourtant pas dans pour habitude de s'opposer aux choix des parents- s'était rendue dans chacune des deux familles et à force de discussions avait fini par convaincre les parents des deux jeunes adolescentes de les inscrire au collège de la ville voisine, elles avaient un potentiel impressionnant assurait-elle. Monsieur Durand, le père de Marie avait été le plus réticent, pourquoi diable dépenser du temps et de l'argent dans un collège ? Lui même n'y avait jamais mis les pieds et il se portait très bien, pourquoi envoyer Marie là-bas alors qu'elle pourrait les aider à l'exploitation comme ses frères et sœurs ? Marguerite avait elle aussi essayé de convaincre son mari, ils avaient passé de longues heures à échanger, assis à la table de la cuisine après le souper. C'est la petite dernière, l'exploitation marche bien, on peut se passer d'elle la semaine et puis elle reviendra nous aider le samedi et le dimanche, et qui sait, peut être son diplôme pourra être utile pour l'exploitation un jour arguait Marguerite. Soirées après soirées, las de s'opposer à sa femme, il se laissa convaincre, deux semaines plus tard, Marie, qui avait obtenu son certificat d'étude était inscrite au collège de la ville voisine. Au collège aussi Denise et Marie firent des émules, leurs professeurs les incitèrent à poursuivre jusqu'au baccalauréat, ce qu'elles firent (non sans se heurter à quelques réticences parentales).

Un jour de juin elles rentrèrent ainsi au village, baccalauréat en poche. Pendant quelques jours elles furent la fierté du village, le maire organisa même une petite réception dans la salle des fêtes en face de l'église, Monsieur Durand, alors si réticent à l'époque était fier comme un coq et répétait à qui voulait bien l'entendre que c'était sa fille, la petite dernière « la diplômée ». L'orgueil paternel et général ne dura que quelques brefs instants cependant : deux jours après Marie était de retour dans les champs de mais aux côtés de sa fratrie. Elle était toutefois profondément reconnaissante de ces années passées à pouvoir étudier, elle savait qu'elle était chanceuse que ses parents aient accepté, elle conservait soigneusement son diplôme et tous ses cahiers, écrits de sa belle graphie ronde et régulière. Elle aurait adoré pouvoir aller à la faculté dans la grande ville à 50 km de là, étudier la littérature ou l'histoire mais elle s'était raisonnée, c'était impossible. L'hiver qui suivit l'obtention de son bac elle révisa avec assiduité chaque soir après s'être occupée des bêtes, afin de pouvoir présenter le concours d'entrée aux PTT au printemps prochain.

                 En ce jour d'automne 1937, face au père Henri, Marie se sentait encore chanceuse, Jean était un homme bon et droit et même si elle ne pouvait pas vraiment dire qu'elle l'aimait elle savait qu'elle vivrait des jours paisibles à ses côtés. Ce n'était pourtant pas l'apanage du mariage, un soir elle avait trouvé Odette, une de ses anciennes camarades de l'école communale prostrée derrière l'église, le visage salement amoché par son mari à la main lourde sur le pastis. Le cas d'Odette n'était pas rare, plusieurs de ses amies et de ses connaissances étaient en proie à des coups pour peu que leur mari ait un peu abusé de la boisson ou ait passé une dure journée. On n'en parlait pas. Cela restait un murmure chuchoté au lavoir ou dans la queue de l'épicerie, c'était ainsi, ce n'étaient pas les premières ni les dernières, ça faisait partie de la vie de femme.

La vie avec Jean tint ces promesses : ils s'installèrent rapidement tous deux dans un petit appartement à côté de la mairie, loué grâce aux salaires combinés de Jean et de Marie. Ils s'avéraient être un bon duo à eux deux, ils se retrouvaient chaque soir pour dîner en rentrant de l'usine et du bureau de poste, partaient en promenade ou déjeunaient chez leurs parents le dimanche. Jean, comme l'avait prédit Marie, se révélait effectivement être un mari droit, serviable et patient, pas une once de dureté ou de méchanceté ne semblait exister chez cet homme, la jeune épouse éprouvait une profonde affection pour son époux aux mains déjà abîmées par le travail à l'usine. Rapidement, au printemps suivant, le jeune couple accueillit un premier enfant : Nicole, presque aussitôt suivie, un an plus tard par un petit garçon, Jacques.

Oui, vraiment, la vie semblait se dérouler face à Marie, simple, sans accrocs, Nicole n'était déjà plus un bébé mais devenait une vraie fillette pleine d'esprit et Jacques commençait à balbutier quelques mots. Jean et elle parlaient d'avoir un troisième enfant, peut être de racheter cette maison un peu délabrée au nord du village, avec leurs économies et un peu d'aide de leurs parents ce serait peut être possible... Bien sûr il y avait quelques difficultés : le dos de Nicole qui paraissait pousser de travers, les échanges parfois tendus à l'usine de Jean où syndicats et patrons s'affrontaient, les cernes de plus en plus noires et profondes qui se creusaient sous les yeux d'Yvonne que Marie trouvait soucieuse, peut être même trop. Marie était heureuse, elle aimait sa famille et plus que tout ses enfants, passait encore des heures avec Denise (qui elle ne s'était pas encore mariée) à échanger sur leurs dernières lectures -qui étaient sensiblement les mêmes, la bibliothèque ne possédant qu'un nombre limité d'ouvrages- tout en surveillant les enfants, elle aimait son travail aux PTT, continuait à rendre visite à ses parents presque quotidiennement...Oui vraiment, la vie était alors tout ce qu'on attendait d'elle, paisible et normale, banale même, cette douce banalité que l'on vient à regretter lorsque tout se retrouve chamboulé. Elle l'était jusqu'à ce que deux événements majeurs surviennent dans la vie de Marie : Suzanne et la guerre.

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