Chapitre 9 

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Le lendemain était un dimanche ensoleillé mais froid, l’herbe était recouverte de givre et craquait sous ses pas. Les pavés étaient glissants, Marie prenait garde à ne pas trébucher. Aussi vite qu’elle le pouvait elle se dirigeait vers l’école. Plus précisément vers la petite maison derrière.

Elle savait que le dimanche Charles accompagnait Robert Laffargue, le maire, à la chasse aux grives. Les deux hommes partaient dans les hauteurs de Saint-Martin. Bien souvent la partie de chasse leur prenait la journée. Pour être sûre d’avoir la paix Marie était passée déposer ses enfants chez ses parents, ravis de passer une journée à la ferme. Mais à mesure qu’elle approchait, elle commença à douter de sa visite.

Trop tard, elle était maintenant devant la petite porte bleue, elle inspira donc un grand coup et frappa. Suzanne apparu dans l’encadrement de la porte, elle avait les traits tirés mais un large sourire illumina son visage. Quand elles furent toutes deux assises autour de la table, Marie prit le temps de détailler la pièce avant de se lancer. Elle reconnu trait pour trait le décor dans lequel elle s’était livrée la première fois, il y a déjà quelques mois maintenant.

Aujourd’hui c’était à son tour d’être la figure bienveillante qu’avait été Suzanne pour elle ce jour là :

-Je suis venue, commença-t-elle, pour que tu me parles de ton amie, ça a dû être très dur pour toi de te séparer d’elle. Je n’ai jamais connu de vraie histoire d’amour mais j’en ai beaucoup lu et je peux imaginer à quel point ça peut être douloureux.

Le regard de Suzanne se couvrit d’un voile mais son sourire persista. Alors elle lui raconta, elle lui raconta son histoire comme elle ne l’avait jamais raconté à quiconque. Elle lui dit la douceur de sa peau, ses longues discussions sur le port, les baisers volés dans les ruelles. Elle lui raconta les rendez vous secrets au cinéma ou dans les bars pour les filles comme elles. Elle lui décrit la plénitude ressentie à ses côtés et même les nuits chaudes partagées quand Charles partait en séminaire, les draps froissés et le plaisir sans limites. Sa voix devint plus dure quand elle lui dit la découverte, la colère et l’humiliation de Charles, les claques, les menaces, l’ultimatum. Elle lui décrit avec plus de tristesse encore le dernier rendez-vous, les adieux déchirants de celles qui pourraient encore tant s’aimer. Et puis sa colère à elle, sa culpabilité face aux agissements de Charles, l’inquiétude de savoir sa bien aimée dans le tumulte elle aussi.

Suzanne parla sans reprendre son souffle, son récit qui n’était jamais sorti auparavant s’acheva d’une traite, précis, clair. Mais à la fin, ses mains tremblaient.

Alors Marie fit ce qu’elle n’avait encore jamais fait avec elle, elle lui prit la main. Les deux femmes avaient beau avoir maintenant discuté de longues heures ensemble, l’étape du contact physique n’avait encore jamais été franchie entre elles. Suzanne avait les mains douces, Marie eut subitement honte de ses mains asséchées par le froid et rendues noueuses par la couture. Suzanne retira rapidement sa main et retourna vers la cuisinière mélanger la soupe en train de cuire. Marie, troublée, s’aperçut que ses mains étaient devenues moites.

La conversation reprit rapidement entre les deux femmes, délestée de ce secret entre elles. Dehors le soleil descendait rapidement dans le ciel et l’heure arriva pour Marie de récupérer ses enfants et surtout de rentrer avant que Charles ne revienne.

Les jours suivants Marie ne cessa de penser à ce contact entre elles, elle ne comprenait pas son trouble. Elle n’avait pas de problèmes avec le contact physique ou l’intimité habituellement, lorsqu’elle était enfant elle s’était baignée des dizaines de fois nue avec Denise dans la rivière, aujourd’hui encore quand l’été arrivait il n’était pas inhabituel que les deux amies se rendent dans ce qu’elles appelaient entre elles « la grotte ». En réalité, il s’agissait plutôt d’une paroi rocheuse que l’eau avait creusé avec le temps, offrant un abri et même un petit banc de gravier près de la rivière. Denise et Marie y avaient passé des heures infinies loin de tout : des adultes, des corvées, des garçons aussi. Cet endroit connu d’elles seules constituait un réel coin de paradis pour elles, elles s’étaient fait la promesse de ne jamais révéler son existence à quiconque d’autre.

Avec Jean non plus elle n’avait jamais ressenti ce trouble. Il n’était pas son premier, avant lui il y avait eu ce garçon, un saisonnier, qu’elle avait fréquenté quelques semaines l’été de ses 16 ans, elle faisait le mur pour aller le retrouver en cachette une fois la nuit tombée. Elle garde très précisément le souvenir de son odeur et de la sensation de la paille contre sa peau nue. De ses mains aussi, si grandes, qu’elle adorait regarder

Avec Jean, ils avaient attendu le mariage, la nuit de noce ils ne s’étaient pas pliés à la tradition, bien trop épuisés tous les deux pour entreprendre quoi que ce soit. La première fois avait été rapide, expéditive même, elle avait eu mal, lui avait eu l’air satisfait. La sexualité n’occupait pas une grande place dans leur union, c’était quelque chose d’épisodique, fait rapidement au coeur de la nuit, silencieusement. Marie se contentait de cela, elle n’avait jamais vraiment aimé ça de toute façon.

Au fil des semaines, ses entrevues avec Suzanne continuèrent, rythmées par les absences et les horaires de Charles, les deux femmes partageaient une complicité grandissante au fil des semaines, renforcée par ce secret qu’elles partageaient et la confidentialité de leurs rencontres.

Un matin, Marie arriva surexcitée devant le portail de l’école, elle avait patienté depuis le vendredi passé pour annoncer la nouvelle à son amie :

  • J’ai vu mes parents l’autre jour, mon père à besoin d’un nouveau soc pour la charrue, mais avec tout ce qui se passe en ce moment, le représentant ne monte plus jusqu’à Saint-Martin, il faut aller le chercher à Marseille. Mes parents sont trop âgés pour y aller, et comme ni mes frères ni Jean ne sont là, ils m’ont demandé à moi d’y aller ! Suzanne sourit de l’enthousiasme de son interlocutrice mais resta silencieuse. Marie alors baissa la voix et ajouta avec un regard de connivence : le problème, c’est que je ne suis jamais allée là bas, sauf une fois enfant avec mon père, je ne connais pas cette ville, alors que toi…Les yeux de Suzanne s’illuminèrent quand elle comprit là ou son amie voulait en venir :
  • Justement, Charles part en consultation dans un autre village jeudi. Il n’y a pas classe, je pense que je pourrais confier Louise à ma voisine.
  • Alors, à jeudi ? Conclut Marie en lui adressant un clin d’oeil

La nuit qui précéda leur escapade Marie dormi d’un sommeil agité une fois encore mais cette fois-ci ce fut l’impatience qui la perturba. Elle avait hâte de partager une journée entière avec son amie à arpenter les rues de la ville qu’elle lui avait tant de fois décrite, elle voulait voir de ses yeux ces lieux où tout semblait possible, où la liberté existait. Elle avait tellement imaginé ces rues, ce port si vaste qu’il lui paraissait irréel qu’elle puisse enfin y aller, toucher ce rêve du doigt.

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