Convalescence - partie 2

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Un soir, sur le chemin qui devait le ramener sur la terre de France, il ne savait pas trop où il se trouvait. Au bivouac, il avait joué aux cartes avec ses compagnons d’infortune. Ils avaient bu un alcool fort et fumer en jouant les quelques sous qu’ils avaient en poche. Au fur et à mesure que la nuit tombait, les hommes s’endormaient ou s’en allaient vers d’autres feux de camps. A la fin, il avait lui aussi succombé au sommeil. Il était tombé dans une nuit noire et sans contour. La douleur avait pris congé de lui sans autre forme de procès. Pas un cauchemar n’était venu le secouer. Quand il ouvrit les yeux, un silence de paix intense l’avait accueilli. Il s’était levé encore embrumé par l’alcool. Il avait marché quelques pas en direction du sommet de la petite colline qui abritait leur campement. Tout en haut, un chêne majestueux semblait lui tendre les bras. Il avait posé les paumes de ses mains sur l’écorce rugueuse et il avait senti le flux de la sève à l’intérieur de l’arbre. Il avait posé son front, comme si sa tête pesait des tonnes et ses jambes avaient ployé sous un fardeau immense. A genoux sur la terre fraîche, il avait senti monter en lui une force irrésistible qui avait jailli par ses yeux. Tandis que les larmes glissaient sur ses joues et les sanglots secouaient tout son corps, une digue tout au fond de son être avait cédé. Pas un souffle de vent n’animait le paysage, pas un chant d’oiseau pour lui rappeler qu’il était vivant. Le chagrin, la colère, la souffrance et la solitude ravageaient son âme. Il aurait du crier mais il ne pouvait pas. Il se mit à rêver de paix et de simplicité. Comme un phare dans la tempête, elles l’empêchaient de se noyer dans des flots furieux. Il s’accrochait à ce désir intense en devinant qu’il lui faudrait compter sur son instinct de survie. Suffocant, crachant et finalement vomissant l’horreur des combats, les hurlements de ses camarades et le fracas des canons il était brinquebalé comme une brindille dans un torrent. Au moment où il pensait qu’il allait devenir fou, que c’était la fin, qu’il ne soutiendrait pas une seconde de plus la souffrance qui le ravageait, il reprenait sa respiration, remontait à la surface et avait de le désir de vivre. Vivre, oui, mais en paix. Vivre pour des choses simples. Vivre pour subvenir à sa faim en cultivant la terre, vivre pour réchauffer son corps supplicié, vivre pour le sourire d’un être cher.

A cet instant, surgit d’un bouquet de noisetier un chat. Occupé à vomir son trop-plein de bêtise humaine, Gontran ne le vit pas venir. Bavant, pleurant et hoquetant, il ne sentit pas le félin se frotter contre ses jambes, la queue dressée en point d’interrogation. Ce ne fut que lorsque le jeune chat roux s’approcha de ses bras, qu’il avait tendu vers le sol pour se retenir de tomber que le soldat comprit qu’il n’était plus seul. Hagard, il mit quelques secondes à réaliser la présence de l’animal. Puis il se concentra sur lui. Il se plongea dans la contemplation de ses yeux dorés, du jeu des rayures blanches dans son pelage et réalisa enfin qu’il ronronnait. Alors la tempête en lui se calma. Il tendit maladroitement les mains vers le petit museau rose. Le chat le renifla doucement et flanqua tout son corps contre son bras droit. Gontran posa tant bien que mal son derrière dans l’herbe drue et fraîche en s’appuyant sur le tronc centenaire. Le chat, en prince que son espèce l’autorisait à se penser, se lova contre lui et ronronna de plus belle. Quel désir, quel instinct avait poussé ce petit animal, qui n’avait ni faim ni soif, qui n’était pas blessé et venant sans aucun doute du hameau voisin, à s’endormir sur les genoux d’un hussard déchu et décharné? Gontran se perdit longtemps dans la recherche de la réponse à cette question. Les larmes coulait sans tumulte à présent. Le torrent avait quitté les pentes abruptes de la souffrance pour se muer en une rivière paisible visitant une plaine fertile. Au détour d’une pensée, il sentit un timide rayon de vie pure caresser son âme. Tandis que la nuit cédait la place au petit jour, tout doucement, comme si les deux visages du temps ne voulaient pas le distraire de sa nouvelle quiétude, l’homme caressait distraitement la fourrure soyeuse du félin bien nourri, les yeux fermés, le souffle régulier soulevant sa poitrine sous sa chemise crasseuse et déchirée. Les gestes mécaniques de la main sur le pelage tiède offraient une parfaite intimité aux pensées de l’homme. Tout au fond de son âme, pour la première fois depuis qu’il avait quitté l’enfance, Gontran se regardait vraiment. Son orgueil lui sautait au visage. La gloire dont il avait rêvé lui semblait aussi pitoyable que le visage au maquillage dégoulinant d’une vieille catin. Son plexus se débloqua d’un coup et il devint aussi léger qu’un papillon sortant de sa chrysalide. Il lui sembla qu’il n’avait plus de corps, il n’avait plus mal, plus froid, il n’avait plus peur et il tendait à espérer. Il se figura, dans son esprit d’homme brutal et aventureux, l’opulence de la paix. Le fracas de la canonnade serait remplacé par le rythme régulier d’un outil de travail. La mort absurde, vaine et sidérante prendrait le visage d’une soeur jumelle de la vie, filles du temps, maître incontesté du règne vivant. La vie coulerait comme un fleuve déposant des alluvions fertiles allant inexorablement vers un estuaire, une porte ouverte sur l’avenir.

Au loin, un merle entama les premières trilles d’un hommage au jour approchant. La main avait cessé ses allées et venues sur le chat endormi. Gontran ouvrit les yeux, empli d’une énergie qui ne le quitterait plus, même aux plus profond des nuits de douleurs : il voulait vivre en paix et vivre vraiment.

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