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Une sieste peuplée de cris et de crinières, de croassements et d'envolées sauvages. Combien de temps ai-je dormi ? La fièvre ne me quitte pas. Deux comprimés de Tylénol, ma parka, mon bonnet et mes gants, je suis dehors, dans la grisaille qui me tire vers la nuit. Les réverbères s'allumeront sous peu, les gens se réuniront pour le repas du soir.

Sur les poteaux, des affiches format lettre offrent des récompenses pour le retour de Gaston le rondouillard, de Mina aux babines boudeuses, et des chats de Simone, Yin et Yang, les paupières mi-closes, qui posent comme des princes orientaux. Les vitrines de la rue commerciale où je m'aventure en quête d'âmes humaines me renvoient l'image d'un personnage secondaire de film de zombies, un rôle muet, sacrifice insignifiant avant l'intervention du héros. En arrière-plan, tout aussi sinistres, les mannequins, immuables depuis cinquante ans, dont les vêtements mêmes semblent ne pas avoir subi l'effet des modes qui se sont succédé. Les devantures de ces commerces m'ont toujours fait sourire et frémir : les hommes aux cheveux de plastique imitant le style Cary Grant, engoncés dans leurs habits de noces ringards, les garçons aux cols matelot, les filles aux robes à guipures, parfois des poupées des années soixante, tristes dummies, raides, les yeux ronds ou les paupières de plastique tombantes.

Deux femmes passent derrière moi, sorcières sans balai et sans chapeau, glissent, silencieuses sous les néons de la marquise de verre. Je m'engage à leur poursuite. Leurs longs manteaux couleur suie, telles des traînes de reines veuves, soulèvent les rebuts et les feuilles racornies. Leurs chevelures flottent en liberté, se déploient comme des ailes de harpies. Elles bifurquent vers l'un des passages sombres qui mènent aux stationnements arrières. Je longe le mur obscur, jonché de feuilles que le vent a poussées là, craquantes sous mes pas. Je m'arrête, tremblant. Les femmes débouchent dans la ruelle, déclenchent l'éclairage à œil magique. Elles font quelques pas, se postent près des fusains au fuchsia éblouissant qui dissimulent, en une vaine tentative de donner du pimpant à la place, la clôture Frost qui borde le parc. La lampe s'éteint. Collé contre le mur du tunnel, j'observe les longues silhouettes des femmes qui se découpent en noir sur le feuillage où la lune déclinante diffuse une lumière livide. Elles attendent en silence. De temps en temps, l'une d'elles tourne la tête vers le passage où je me suis embusqué. Je retiens mon souffle. Bientôt un croassement, puis un autre, suivis d'autres encore ; combien sont-elles ? Elles tournoient au loin sous la nappe de nuages, s'approchent, leurs cris précédant leur présence mortifère. Elles se posent derrière les massifs de fuchsias.

Commence une longue attente immobile.

Un chat s'avance, petite créature de la nuit qui joue au chasseur entre deux rations de croquettes diètes. Les femmes l'ont vu. Je les sens aux aguets. Leurs consœurs ailées, perchées sur la clôture, ne bronchent pas. Soudain les sorcières bondissent, se jettent sur le chat. Horrifié, j'assiste au carnage, pétrifié par les croassements et le hurlements des prédatrices qui déchiquettent à coups de becs la pauvre bête dont les miaulements déchirants s'épuisent en un râlement guttural. Les corneilles se taisent, planent au-dessus des femmes, attendent leur tour à la curée.

Je m'enfuis. Les mandibules s'activent sur la proie derrière moi. Longtemps, leur bruit résonne en moi.

Dans la rue, d'autres femmes, d'autres corneilles, en chasse.

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