Bienvenue au Canada !

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Les dernières formalités administratives réglées, je suis enfin libéré, délivré. Je récupère mon passeport et me dirige vers le tapis roulant pour retrouver ma valise. Pas le temps de mettre la main dessus que la patrouille des blouses blanches m'intercepte. Deux médecins m’accompagnent dans un espace alloué aux passagers du vol B13. Ce chiffre me poursuit. Je n’y avais pas prêté attention lors de mon embarquement. Peut-être aurai-je dû ? Treize comme le numéro de l’appartement, où tout a commencé. Là où en l’espace de quelques secondes, ma vie aurait pu basculer dans le néant. Comment oublier la dérouillée que m’a infligée Karl ? Il n’a pas été tendre. Hélas pour lui, d’autres l’ont été bien moins. Quelques temps plus tard, il fut la victime collatérale d’un règlement de compte. Après trois ans de recherche pour trouver un lien entre un trafic de beuh de bas quartier et celui de l’antelax, j’avais réussi à obtenir des coordonnées pour entrer en relation directe avec le boss. J’avais accepté le rendez-vous.

En posant les pieds dans ce logement sans armure, je me jetais dans la gueule du loup et je mettais le doigt sur quelque chose de plus important et qui me dépassait. J’ignorais qu'en franchissant la porte, j’allais croiser le meurtrier de ma mère. Au départ, le plan était simple, je devais rejoindre mon pote Cédric pour la transaction. Manu m’avait accompagné comme à chaque fois. Cette nuit-là, je lui avais conseillé de m'attendre en retrait dans la voiture, loin des éventuels problèmes. Comme souvent quand je laissais le contrôle des opérations à Cédric, tout partait en vrille et je devais recoller les morceaux. Mais ce soir-là, on ne pouvait pas jouer au poker menteur avec le balafré, on entrait dans la cour des miracles, les revendeurs à qui nous avions à faire en amont étaient du menu fretin. Pourtant Cédric et Olivier, ton meilleur ami, ont voulu jouer au plus malin. Je ne comprends pas ce qui leur est passé par la tête. Que voulaient-ils prouver ? Derrière s’en est suivi une affaire des plus compliquées et un tas d’emmerdes. Finalement, nous nous en sommes tous sortis sans trop d'égratignures, le balafré et son bras droit sont derrière les barreaux. Si Manu était à mes côtés, il me parlerait de karma.


Après les médecins, avec Alexis et tous les autres passages, nous rencontrons des psychologues. Nouvelle étape dans le processus de gestion d’une cellule de crise. Nous sommes isolés chacun notre tour dans une pièce sans fenêtre. Les hommes aux camisoles veulent s’assurer de notre état mental. On se croirait dans une des séries qu’affectionnent mon père. Ils souhaitent vérifier que nous ne partons pas en vrille. Ils parlent du syndrôme TSPT. En voyant nos regards hagards, ils épluchent les initiales jetées sans réfléchir : Troubles du stress post-traumatique. D'après les deux mecs postés devant moi, au vu de mes antécédents, j’ai un terrain fertile et un passif assez important. Je pense surtout que je suis le client idéal. J’ai envie de les envoyer bouler mais m'abstiens. Ils m’assomment de questions. Fait étrange, certaines n’ont parfois aucun sens. Ils sont vraiment farfelus, Docteur Jekyll et Mister Hyde. Cette heure d’entretien me semble interminable et quand ils daignent me donner quartier libre, j’en sors épuisé. J’ai déjà connu bon nombre d’interrogatoires jusqu’à présent ils ont été moins contraignants. Les flics avaient été durs, il m’en avait fait bavé mais là, les deux hommes ne sont pas sympathiques voire effrayants. Ils doivent soi-disant nous rassurer, si je passe encore une heure avec eux, je suis bon à enfermer. Après je peux les comprendre, nous sommes des miraculés, des cobayes.


Dans un coin, les paparazzis se bousculent pour avoir le meilleur angle, la photo la plus intéressante à vendre au plus offrant. Un tel événement mérite toute leur attention et à observer leurs agissements, ils s’en donnent à cœur joie. Ils cherchent la proie idéale, celle qui fera le buzz. Des vautours prêts à se voler dans les plumes pour obtenir la meilleure part. La presse people excelle dans ce genre de situation, toujours à la recherche de détails croustillants à se mettre sous la dent. La vie du passager lambda est secondaire derrière celle de Monsieur le ministre des affaires étrangères. En faisant des recherches de mon côté, j’ai pu glaner quelques pistes à droite à gauche. Apparemment, il voyageait en première classe accompagné d’un sportif prisé des tabloïds. J’imagine sans mal que lorsque les fauves seront lâchés, ils se battront pour ronger l’os. Je n’affectionne pas vraiment leurs méthodes. Peut-on les classer dans la case journaliste ? Après tout pourquoi classifier ? Ceux qui m’avaient catalogué comme un maxi hétéro, serait bien surpris d’apprendre que je suis tombé fou amoureux d’un garçon. Perdu dans mes réflexions, un homme me bouscule et s’excuse immédiatement. Une casquette noire des Ness de Montréal rivée sur son crâne et des lunettes de soleil tentent de dissimuler son visage. Il essaie de passer incognito au milieu de la foule qui s’agite. Pour ma part, je le reconnais immédiatement. Incroyable, je viens de partager le vol avec David Beckham, mon père serait aux anges s’il se tenait à mes côtés. La présence de l’ancien footballeur pro attire tout de suite l’attention. Mon père m'aurait suggéré de l'approcher pour lui demander un autographe. Ne voulant pas l'importuner, je m'éclipse. Les caméras ne savent plus où donner de la tête. La catastrophe à laquelle nous avons tous échappé de justesse, se transforme en un scoop providentiel.


Un cordon de sécurité est mis en place pour délimiter la zone où nous sommes. Pour les journalistes d’investigations, leur mission principale : glaner des informations auprès des policiers. Je suis curieux de les voir en action. Leurs manœuvres sur le terrain m'intéressent. Je me faufile discrètement pour voir leur mode opératoire. Mais c’était sans compter sur Alexis qui m’attrape le bras.
— Ça te dit de partager un taxi ?


Devant son regard insistant, je lui réponds par l'affirmative. Tant pis, ma première expérience sur le terrain dans le monde du journalisme attendra. J’aurai d'autres occasions. Nous remontons l’allée en direction de la sortie. Au passage, nous croisons les membres de l’équipage. Les hôtesses et steward encadrent le commandant de bord. Personne n’est autorisé à les approcher. En apercevant le copilote, un flash, me revient en mémoire, notre rencontre à la sortie des wc. Quelque chose me turlupine, un truc est resté coincé dans un coin de ma tête : la prunelle de ses yeux. Pour moi, aucun doute, il consomme des stupéfiants. Je suppose que comme nous tous, il aura droit à un examen médical complet. Dans tous les cas, une prise de sang du copilote pourrait confirmer mes dires et une enquête serait ouverte. Après, son état lui a peut-être permis de nous sauver la mise. Je ne veux pas le blâmer, je suis mal placé pour donner des leçons.


J’ai gardé les résiduels que j’ai trouvés dans les toilettes après son passage. Ils ressemblent à s’y méprendre à ce putain d’Antelax. J’étais persuadé d’avoir mis assez de distance entre elle et moi. Comme toujours dans ces cas-là, plutôt que de laisser tout en place, j'ai conservée cette merde dans un mouchoir et l'ai glissée dans mon sac à dos. Comme je m’y attendais lorsque j’ai croisé les flics des douanes, le produit est passé ni vu ni connu. Les chiens des stups n’ont rien senti. Heureusement pour moi, sinon c’était retour à la case départ et fin de l’histoire.


Alexis me devance, sa démarche est plus assurée. Son visage reprend des couleurs. Il sourit, un bon point de ce côté de l’Atlantique. Nous sortons de l’aéroport, le ciel est toujours chargé. Je constate avec stupeur que les nuages stagnent sur l’horizon déposant un lourd manteau de fumée sur la ville.
— Tu sais, cela fait plus de six mois que les forêts se consument à petit feu, me dit Alexis avec un regard désolé.
— Y a-t-il une explication ?
— La foudre, le réchauffement climatique, l’imprudence humaine.
— Nous avons connu le même phénomène l’été dernier. J’aurais été anéanti si la forêt des pins des landes où vit ma grand-mère s’était évanouie dans un nuage de poussières.
— Je te comprends, mon grand-père vit près du parc Algonquin. Pour l’heure, sa zone est épargnée. Les départs de feu à répétition inquiètent la population.
Il marque une pause, reprend son souffle comme s’il cherchait un peu d’air et finit par me dire :
— Zach, bienvenue au Québec.
Un deuxième silence et il finit par me proposer de venir manger chez ses parents.
— Allez, accepte, ils seront ravis de te rencontrer, insiste-t-il.
— Tu n’as pas peur de recevoir un étranger ?
— Après ce qu’on vient de vivre, on ne l’est plus vraiment. C’est le moins que je puisse faire. Au fait, où vas-tu résider ? me demande Alexis en attrapant ma valise pour la mettre dans le coffre du taxi.
— Chez l’ami d’un ami. Mais, il ne m’attend que demain en début d’après-midi.
— Ce soir, tu as un plan pour dormir ?
— Je vais prendre une chambre dans un hôtel.
— Laisse tomber, mon frère Sacha est en voyage aux Etats-Unis, il ne rentrera pas avant la semaine prochaine, tu pourras squatter sa chambre cette nuit.
Nous montons dans le taxi, abandonnant derrière nous l’agitation de l’aéroport.

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