Mon nouveau monde

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Alexis et ses potes me font découvrir les essentiels, tout en s’attardant sur les zones prioritaires, ils s’avèrent être des guides de premier choix. Noah m’indique les bâtiments dans lesquels je devrais circuler les jours à venir, les salles de classes où je passerai un maximum de temps et les amphis des cours magistraux. Léo, lui, insiste sur les parties communes où nous pourrons nous retrouver facilement et il en profite pour fixer un point de ralliement pour tous en cas de problème, il l’appelle notre safe zone. Je réalise qu’en partant d’ici, je serais polyglotte. J’avoue que le fait que nous utilisions la même langue me rassure. Je constate que je pourrais pratiquer mon anglais couramment puisque certains cours sont dispensés dans la langue de Shakespeare. Quant au québécois, je devrais rapidement me familiariser avec toutes ses subtilités.

Rose, de son côté, a trouvé un autre centre d'intérêt que mon petit perso, elle discute avec Noah et les sourires qu’ils échangent en disent bien plus qu’ils ne laissent entrevoir. Sur certains aspects, elle ressemble à mon amie Camille, elle est pétillante, pleine de vie et n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat tout en gardant une forme de bienveillance. Toutes les deux sont curieuses sans pour autant être envahissantes. La première fois que j’ai croisé ma meilleure amie à Mésange, nous étions tout juste âgés d’un mois quand nos grands-mères qui se connaissaient depuis toujours nous ont pris dans leur bras. Nos mères respectives étaient venues présenter leur progéniture pour les vacances d’été. Tellement heureuse de vivre ce doux moment entre copines d’enfance, l’une et l’autre avait acté qu’il était tout à fait normal que nous partagions le même couffin, puis le même bain. Aussi, nous nous connaissons sur le bout des doigts. Je lui confie tous mes secrets, elle en fait autant. Elle est la première à qui j’ai avoué que j’aimais Manu. Pour le coup, elle s’en douta avant que je ne comprenne moi-même ce qui m’arrivait. D’ailleurs, il serait peut-être temps que j’envoie un ou deux messages à mes proches pour leur dire que je suis bien arrivé.

En premier, je dois appeler mon père. J’ai un besoin vital de garder le contact avec lui, même à des milliers de kilomètres. Nous avons vécu tant de choses l’un et l’autre. Ne plus nous voir aussi souvent va forcément me peser. J’aimais tant ces moments où nous discutions de tout et de rien, où nous nous chamaillions sur les résultats sportifs du week-end. Lui, le grand fan des Girondins de Bordeaux ne supportait pas que je le taquine sur leur chute libre. J’adorais nos soirées pizzas devant tout un tas de films en noir et blanc. Nous avons ouvert notre cercle père-fils à Manu. À chacun de ses passages dans notre appartement, je me réjouissais d’avoir croisé sa route. Encore plus aujourd’hui que lui aussi se trouve bien trop loin de mon regard.

J’apprécie l’ambiance qui émane du groupe, je me demande si d’autres invités surprises vont ponctuer notre chemin. Une certitude, tout se fait le plus simplement du monde. Les discussions sont spontanées, personne ne force ses propos. C’est amusant de les voir évoluer. Alexis et Maëva forment un couple charmant, derrière une forme de pudeur, ils dissimulent leur bonheur. Leurs mains ne se quittent plus depuis leurs retrouvailles. Comme je les envie. Je me sens comme une coquille vide, à qui on a arraché sa perle. Décidément, encore un rappel douloureux. Manu, est-ce que de ton côté tu ressens la même chose ? Est-ce que je suis le seul à me lamenter ? Est-ce que je souffre de la maladie d’amour ? Un seul remède pourrait me soulager, le baume de tes lèvres, hélas je l’ai oublié de l’autre côté de l’océan. Faire demi-tour, rompre ma promesse, pour te prendre par la main et t’emmener marcher le long de la plage, un doux songe. Putain Zach, fais le ménage dans ta tête, respire un bon coup, et avance. Il me tarde de commencer les cours pour me vider le cerveau. Je me mettrais minable pour obtenir ce diplôme. Une fois en poche, il m’ouvrira de nouveaux horizons. Une année, c’est ce que tu m’as demandé. Te laisser une année. Mais pour moi, cela me semble déjà une éternité, un véritable enfer.

— Dis Zach, tu sais que tu dois passer ta commande sinon les gars derrière-nous vont te bouffer, me dit Noah en me bousculant.

— Hein, qu’est-ce qu’il y a ?

Je réalise que comme à mon habitude, j’étais parti dans les méandres de mes pensées. Le brouhaha me ramène doucement à la réalité ainsi que Noah et Léo qui me pressent gentiment.

— Disons que c’est la première fois que je vois un mec rester planté devant la carte du menu pendant cinq minutes sans se décider.

— Ah oui, pardon j’étais…

— Encore en France ? me demande Rose en souriant.

— Non je faisais une escale en Irlande.

— Je ne comprends pas, tu t’es perdu en route ?

— Ouais sûrement un truc dans le genre, égaré entre deux mondes.

— T'as laissé ta blonde là-bas ? me questionne Léo.

— L'embête pas, je crois que c’est plutôt son chum qui l’a plaqué, murmure Rose.

Mais qu’est-ce qu’ils racontent, blonde, chum. Qu’est-ce qu’ils entendent par là ? Blonde, je suppose qu’il parle de mon éventuelle copine mais chum, le terme reste plus flou.

— Bon, tu veux quoi ? me demande le mec derrière le comptoir, visiblement agacé.

— Bah, je ne sais pas.

Sans réfléchir, je tends le doigt sur le premier truc qui passe sous mon nez.

— Une poutine, très bon choix, ça te tiendra au ventre.

— Ce ne sera pas trop indigeste ?

— Écoute, goûte après seulement tu viendras te plaindre. Vous les français avec vos manières.

Ah ce juron, je le reconnais. Merci Capitaine Haddock. Je devrais pouvoir le réutiliser sans problème. Le serveur secoue sa main devant mes yeux pour me signaler que ma commande est prête et me tend un bol de frites arrosées de fromage et d’une sauce brune.

— Quel breuvage pour faire glisser le tout ? insiste-t-il. Je ne voudrais pas que tu t’étouffes.

— De l’eau, ce sera parfait.

— Arrête de te moquer de moi.

— Pardon.

— De l’eau pour le frenchy, crie-t-il à son collègue. Le monsieur soigne sa ligne.

Non mais il joue à quoi ? Là, je suis largué. Où se trouve la bibliothèque ? Il faut que j’emprunte le Québec pour les Nuls.

— Lucas, on te présente Zach. Alexis a fait sa connaissance dans l’avion qui nous l’a ramené par chez nous, dit Léo en attrapant son plateau. Tu le connais, comme à chaque fois qu’il monte dans un coucou, notre pote flippe grave, aussi il s’est attaché à son voisin comme à une bouée.

— Zach, voici Lucas la cinquième roue du carrosse. Il bosse ici entre les cours, précise Alexis.

— Ok, désolé pour l’attente, dis-je en fixant des yeux le loup blanc tatoué sur son avant bras.

— Pardonne-moi à mon tour, c’est un peu l’enfer depuis ce matin. Vivement que je recommence les cours et que je ne bosse plus qu’à mi-temps.

— T’inquiète, je comprends et moi de mon côté je n’ai rien arrangé à l’affaire, dis-je tout embêté.

— Lucas, tu nous rejoins après ton service chez Charlotte, toujours ok pour toi ? demande Noah en récupérant son hamburger taille XXL.

— Rater notre parté, hors de question. Bon en attendant sortez de là, sinon Jacques va me tomber dessus. Le patron est sympa mais il y a des limites à ne pas dépasser.

— On s’installe sur la terrasse, tu viendras boire un coup avec nous, lui propose Noah.

— Ok, dans un quart d’heure.

Je me dirige vers la sortie, attrape une serviette au passage quand je bouscule un gars.

— Tabarnak,maudits niaiseux, tu peux pas regarder où tu vas ?

— Calme-toi Peter, c’est bon ça peut arriver à tout le monde, intervient tout de suite Noah.

— Va te crosser, répond-il sèchement.

Je sens un malaise et aussitôt m’excuse. Noah toise le jeune homme. Ils sont prêts à en découdre. Derrière les mots utilisés, pas difficile de comprendre qu’il a dû lui dire d’aller se faire voir. Léo retient son ami. Alexis, lui, nous suggère d’aller nous installer à l’extérieur, mettant fin à l’altercation. Nous filons et nous asseyons à une table qui donne sur un jardin arboré. Cette place est le point central de l’université. Elle a été aménagée en zone piétonne. Les étudiants peuvent profiter sans être importunés par le bruit des moteurs. Des espaces pour se restaurer sont semés de toute part à l’ombre des érables. Le décor est sympa, on est isolé de la vie urbaine tout en étant en son sein. Le contraste est surprenant, il y a du monde autour de nous et pourtant un calme se répand comme si nous étions dans une bulle. Je retrouve une certaine sérénité après cette rencontre musclée. Je reprends le cours de la conversation.

— Pas sûr que celui que nous venons de croiser soit de votre cercle privilégié.

— Non, ce câlice de chien sale me tape sur le système. Pardon Zach, je voulais dire que ce connard n'avait pas à te parler comme ça. C’est bon, il se prend pour qui avec ses grands airs de fils à papa.

— Calme-toi Noah, il est parti, dit Rose en caressant le dos de sa main.

Ce geste pourrait passer inaperçu pour la foule qui nous entoure, pourtant je retrouve l'une des attentions que nous aimions nous offrir avec Manu. Si nous sentions nos émotions déborder, voire incontrôlables, nos mains entraient en contact. Par mimétisme, mes doigts vont et viennent sur mes phalanges.

— Sinon la bande compte combien de membres ? enchaîné-je.

— Il ne manque plus que Charlotte et sa blonde Caroline.

— Sa blonde, ça veut dire ?

— Sa chérie, répondent-ils en chœur.

La tension est retombée, comme si les uns et les autres avaient la capacité d’absorber la nervosité de chacun. Ils doivent se connaître depuis pas mal de temps pour qu’il y ait autant de complicité entre eux.

— C’est bien ce qu’il me semblait et ton chum alors ça veut dire ? continué-je pour parfaire mon larousse.

— Ton meilleur ami, le meilleur des meilleurs, me dit Noah.

— Non, ton petit copain, celui qui te fout les boules, précise Rose avec un sourire en coin.

Là, je commence à mieux comprendre. A-t-elle été assez maline pour me percer à jour. Suis-je si prévisible ? J’hésite à répondre ou à ajouter quoi que ce soit.

— Pardon Zach, je ne voulais pas, dit Rose, embêtée.

Noah s’empresse de la prendre par la main pour qu’elle le suive.

— Viens je t’offre ta glace stroumph, ta préférée.

Je les vois disparaître dans le fast-food. Mal à l’aise, j’attrape une frite et dévore mon plat en silence. Léo me regarde et aussitôt m’interroge :

— Pourquoi as-tu choisi le journalisme ?

— Parce que je ne supporte pas de laisser les affaires sans réponse.

— Et pourquoi venir au Canada ?

— Parce que mon meilleur ami Jérémie m’a dit que c’était l’endroit idéal pour m’évader.

— Jérémie, ton chum ? ose-t-il me demander.

— Non, mon frère de cœur.

— Alors, tu ne trouveras pas un meilleur coin pour lâcher prise, me dit Maëva qui jusque-là s'était montrée discrète.

— Merci à vous tous pour votre accueil.

— Zach, si tu devais nous parler de toi, tu nous dirais quoi ? poursuit-elle.

— Que je suis un mec avec des rêves, qui essaie de gommer peu à peu ses cauchemars.

— Ah ouais, je ne m’attendais pas à ça. Alors tu as des points communs avec mon ami Lucas.

— Pourquoi ? dis-je curieux.

— Tout simplement parce que ma vie est une succession d’emmerdes, ajoute le serveur en posant les cafés sur la table. C’est la maison qui régale. J’ai vu que Peter était venu vous chercher des noises. Lui, un jour je pense qu’il faudra lui dire cccccc’est quatre vérités.

— Lucas, laisse tomber, il n’en vaut pas la peine, tranche Maëva le voyant serrer les poings. Il nous a déjà bien énervé Noah.

Le serveur s’installe en face de moi, assis entre Alexis et Léo. Les discussions repartent de plus belle. J’essaye de capter quelques mots pour me familiariser avec les expressions, de leur côté ils font attention à ne pas me perdre. Mon téléphone sonne à nouveau.

— Allo, disent-ils en éclatant de rire.

— À tantôt, je dois retourner au comptoir, ajoute Lucas avant de disparaître.

Je me dirige vers un banc à l’écart et décroche.

— Bonsoir, papa.

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