L'Inspecteur Harry

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Je rêvais d’un tête à tête pour conclure ma journée. Face à moi, un homme d'une cinquantaine d'années, les traits tirés. Avec mansuétude, Il pousse une tasse de café dans ma direction et me propose de m'asseoir dans un fauteuil rétro des années quatre-vingt. Il me sourit avant de me demander :

— Mon petit gars, tu m'as l'air fort sympathique mais tu as tout de même conscience qu’agresser une jeune femme n'est pas bien vu par chez nous.

— Pour ma défense, en aucun cas, j'ai voulu être violent. Même si je conçois que les éléments jouent en ma défaveur, j'ai une bonne explication.

— Tu es sûr que tu ne veux pas passer un coup de téléphone ? Personne à contacter ? demande-t-il en insistant.

— Suis-je officiellement accusé de quoi que ce soit qui mérite d'avoir besoin d'une aide ?

— Tout dépend de la version des faits que tu vas me donner.

— Je pourrais affirmer haut et fort que je suis innocent mais pas sûr que vous me croyez pour autant.

J'hésite à lui dire qu'ils font une bourde, qu'ils ont tout faux, qu'ils jugent sans vraiment connaître les raisons de ce malentendu. Je pourrai jouer au con et me mettre encore dans une situation des plus inconfortables. Quels que soient mes propos, je ne trouverais pas grâce à leurs yeux. Tout tend à faire pencher la balance du mauvais côté. La seule chose qui compte à présent, pour ma part, est d’obtenir des nouvelles de la maman d'Alexis. Je suis mort de trouille. Mon regard perdu balaye la pièce à la recherche d’un point d’ancrage. J’essaie d’éviter de croiser celui de l’inspecteur. Mes mains sont moites. Tout mon corps frissonne et à sa façon il me trahit. Chacun de mes gestes s'avèrent un aveu silencieux. Pourtant ce sont les signes de mon inquiétude.

— Mon gars crache le morceau, nous savons être indulgents, dit-il en posant sa main sur mon épaule.

— Je pense surtout que vous vous méprenez sur mes intentions.

— Ça fait longtemps que tu es parmi nous ?

— Environ une dizaine d’heures.

— Tu débarques sur nos terres et tu te fais déjà remarquer, me sermonne-t-il sans une once d’agressivité.

— Écoutez, je me fais vraiment du soucis pour une femme qui est partie aux urgences suite à un accident.

— Tu veux dire que tu as réussi à mettre la vie de deux femmes en danger ?

— Non, le coupé-je, j'ai essayé de sauver la vie de l’une et de réconforter au mieux la seconde. Les pompiers sont arrivés et ont emmené la blessée. J’accompagnais sa fille à l'hôpital quand tout a dérapé.

— Et c’est à ce moment-là que tu l'as retenu contre son gré ? m’interroge-t-il.

— Si vous le dites, dis-je blasé.

— Il me faudrait au moins un nom, un prénom ou l'hôpital où elle a été conduite.

— C'est bien là tout le problème, je n'en ai aucune idée.

— Comment puis-je te croire ? Bien que tu me sembles sincère.

— J'ai bien peur que je n'ai aucune preuve à vous fournir.

J'essaie de rassembler mes idées pour me souvenir du nom que nous avions entré dans le GPS mais pas moyens de me rappeler de quoi que ce soit. Si ce n’est qu’une voix me susurrer à l’oreille : “dans cinq verges prenez la première à droite” ! Je ne comprenais rien de ce qu’elle me racontait et Rose qui semblait à cent mille lieues de là ne me répondait pas quand je l'interrogeais. Le son était en total décalage avec l'image. Là où j’aurais trouvé cette formulation cocasse dans toute autre situation s'est avérée oppressante. Je comprenais sans mal le sentiment de panique qui avait happé Rose. Je ne pouvais pas lui reprocher d’être effrayée, de mon côté je me sentais si impuissant. Au plus profond de moi, j'espère qu'elle est arrivée à l'hôpital. Et qu’une fois sur place elle a retrouvé les êtres chers capables de la rassurer. Je tremble, mes souvenirs cauchemardesques me tétanisent. Mon cerveau s’invente le pire des scénarios, je n'ai vu cette femme qu'une vingtaine de minutes et pourtant je pourrais décrire son visage dans les moindres détails.

— Zach, c'est bien ton prénom ? me demande l'inspecteur me faisant sursauter.

— Oui c'est bien ça, dis-je du bout des lèvres.

— Tu viens d'où ?

— D'un petit coin de France près de Bordeaux.

— Un chouette endroit, ajoute-t-il en me versant une seconde tasse.

— Merci. Vous connaissez ?

— Oui, j'ai eu l'occasion de me rendre en France au cours de ma lune de miel, il y a vingt ans déjà.

Très étrange, la discussion prend un nouvel axe. Improbable. Je pensais avoir le droit à un interrogatoire musclé, au lieu de ça, il se montre serviable. Il veut m'amadouer pour mieux me planter. Je devrais me méfier et a contrario je me sens plutôt en sécurité.

— J'ai demandé à mes hommes d’aller se renseigner dans les trois hôpitaux les plus proches. Ils devraient rapidement me faire un compte rendu.

— Ça veut dire que finalement vous me croyez ?

— Tu sais, j'en ai croisé des malfrats, des petites frappes, des mauvais garçons. Ma première impression ne me trompe jamais. Tu es tout sauf un mec prêt à maltraiter une nana.

— Je suis peut-être le roi des manipulateurs. Je vous la joue gentil garçon pour mieux vous endormir.

— Tu as conscience que les truands ne parlent pas ainsi. S'ils veulent se moquer de moi, ils n'utilisent pas cette méthode. Puis, je ne sais pas pourquoi mais tu me fais penser à mon fils. Tu fais le dur pour t'affirmer et derrière tout ça se cache un bon petit gars.

À ce moment-là, un des agents passe la tête par l'entrebâillement de la porte et fait signe à son chef de le rejoindre. L’inspecteur disparaît et me laisse seul dans son bureau. Je regarde autour de moi, au fond de la pièce se trouve une bibliothèque. Curieux, je me lève pour jeter un œil. Les étagères débordent de livres de tout style, des polars, des thrillers et au milieu de tout ce bazar la collection complète de la bande dessinée des XIII. Alors que je parcours des yeux l'ensemble, je découvre une photo dans un cadre coincée entre un Stephen King et Harlan Coben. J'observe la scène, un enfant à côté d'une femme qui doit être sa maman. Le garçon et l’inspecteur ont la même fossette sur le menton et le même regard aux teintes grises.

— Zach, je dois te présenter toutes mes excuses, je savais que tu n'étais pas un mauvais bougre, me dit-on derrière moi.

Il pose une main ferme sur mon épaule. Surpris, je laisse échapper le cadre qui termine en miette sur le parquet. Je me baisse pour le ramasser et me coupe la main.

— Pardon, je ne voulais pas, dis-je embarrassé.

Cette scène me rappelle un événement récent, Manu et moi dans la salle de bain. Il cherche de quoi me soigner, il attrape la boîte où se trouve le désinfectant, l'échappe et renverse son contenu à mes pieds. Un flacon de parfum, souvenir de ma mère, éclate au sol. Je ressens le même malaise que ce soir-là. Il ramasse les morceaux comme je suis en train de le faire. Je le vois sincèrement désolé comme je le suis à cet instant.

— T'inquiète, il prenait la poussière depuis trop longtemps, me dit pour me rassurer l'inspecteur.

Je récupère la photo en essayant de ne pas la tâcher de mon sang. Je n'ai pas assuré, pas nécessaire d'en rajouter une couche.

— C'est votre fils avec votre femme ? demandé-je.

— Oui, me répond-il avec un voile de tristesse.

Je récupère tous les morceaux de verre et les jette dans la poubelle.

— Zach, laisse tomber et montre moi plutôt ta coupure.

— Une égratignure. Ça va aller.

— Laisse-moi tout de même regarder.

Il attrape une trousse à pharmacie dans son tiroir et commence à nettoyer la plaie comme aurait pû le faire mon père. Il termine en posant un bandage pour que le pansement ne s'enlève pas.

— Un de mes gars va t'emmener à l'hôpital. Les nouvelles sont rassurantes. Un certain Alexis leur a confirmé tes dires. Tout va rentrer dans l'ordre. Il t'attend sur place.

Je reprends l'air qui m'a manqué depuis deux heures, quel soulagement de savoir que ce soir une vie a été sauvée. Je ne vivrais pas avec la culpabilité comme une nouvelle compagne de mes nuits. Je ne suis pas sûr que je m'en serais remis. Venir ici pour avancer reste ma priorité. Regarder l'avenir avec enthousiasme et optimisme, sans aucun regret. Manu, là tout de suite, je donnerai n'importe quoi pour entendre le son de ta voix. Quand l'inspecteur m'a demandé si je voulais appeler quelqu'un, tu es celui à qui j'ai pensé en premier. Je voudrais sentir tes mains me caresser, me soigner, sécher les larmes qui sont encore une fois prêtes à couler. J'ai terriblement envie que tes bras se referment sur mes épaules, que tes lèvres se posent dans mon cou pour me réconforter. J'observe mon portable, l'inspecteur vient de me le rendre, rien toujours rien. Ça me fout les boules. Je suis en colère, je t'en veux de me laisser sans nouvelles. Ça me mine de l'intérieur.

— Je suis satisfait, une fois de plus je ne m'étais pas trompé, me dit l'inspecteur, me ramenant dans son bureau où le temps semble s'être arrêté.

— Je peux vous demander comment vous vous appelez ?

— Commence par me tutoyer.

— Ok.

— Harry. Je suis l'inspecteur Harry Macdowell.

Je souris, improbable il s'appelle Harry et il est le sosie de Clint Eastwood. Quand je raconterai cette étape de mon voyage à mon père, il ne voudra jamais me croire. Franchement, si je n’étais pas réveillé, je penserai que je suis entré dans le poste de télé. Il choisit ce moment pour me serrer la main et me glisser un papier.

— Tiens voici mon numéro, si tu as besoin de quoi que ce soit n'hésite pas à me contacter.

Je sors du commissariat, la nuit enveloppe la ville. Je monte à l'avant de la voiture avec l'officier. Parfois la vie nous emmène sur des chemins tortueux et pourtant il y a des rencontres qui nous marquent à jamais.

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