De surprise en surprise

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Quand j’ouvre les yeux et scrute l'espace, je suis seul dans le salon. On a pris la peine de me recouvrir d’un plaid. La maison est silencieuse, je passe par la cuisine pour me servir à boire. La vaisselle sale envahit l'évier. Grandma me dirait qu’on ne peut pas aller se coucher sans avoir remis en ordre. Le matin au réveil tout doit être nickel pour profiter de la douceur de l’instant d’une nouvelle journée qui nous ouvre les bras. Je commence par nettoyer les assiettes, les verres et j'essaie de faire le moins de bruit possible, pas nécessaire de réveiller toute la maison.

En regardant par la fenêtre, je suis surpris de voir le soleil pointer le bout de son nez. Je cherche une horloge dans la pièce et réalise qu’il est sept heures. Le spectacle à l’extérieur est à couper le souffle. Une carte postale s'étale sur l’horizon, un mélange d'orange, rose, violet agrémente la palette du ciel, les arbres dans la ruelle se mêlent avec le décor. Les feuilles se déclinent en dégradé de teintes chaudes. Les érables fusionnent avec les rayons du point du jour. Les photos des prospectus que j’ai dévorées des yeux avec Grandma avant de partir n’étaient pas de simples montages retouchés par une intelligence artificielle. Je n’arrive pas à quitter des yeux le tableau qui se dévoile au fil des secondes. J'apprécie ce moment de l’aube, où on a le sentiment que chaque chose endormie se réveille peu à peu comme par magie, la toile s'étire et donne à chaque fil tissé une nouvelle dimension. La lune, un bref instant, à rendez-vous avec son yang, lui cédant la lumière pour qu'il brille et nous enveloppe d'une douceur apaisante. L’astre opalin avant de tirer sa révérence emmène avec lui les étoiles pour aller à cette heure les déposer sur un autre coin de la planète.

Si mes calculs sont bons, pendant que je prépare le petit déjeuner, toi Manu tu dois avoir fini ton service de midi. Tu as des heures d'avance sur moi. Comment occupes-tu tes journées ? Pourquoi ne réponds-tu pas à mes messages ? Même un simple émoticônes me donnerait du baume au cœur pour les heures de décalage entre nos deux mondes. Le silence radio que tu m’imposes me fait un mal de chien. J’essaierai de passer par Étienne, lui sera plus bavard et me lâchera des informations.

J’essuie les derniers couverts et les range dans le tiroir et décide de préparer le petit déjeuner. M'occuper l’esprit s’avère un excellent remède. J'attrape des œufs, du bacon dans le frigo et récupère les pancakes de la veille. Je m’active pour que tout soit prêt quand mes hôtes apparaîtront attirés par la bonne odeur. Je ne remercierai jamais assez mon père et Grandma de m’avoir appris à cuisiner. Préparer des petits plats pour soi est un plus, le faire pour les autres un cadeau et partager ces moments avec l'être aimé, un privilège.

Mes pensées me renvoient fin août dans la cuisine de Mésanges. Grandma, avec patience, nous a transmis ses recettes. Côte à côte avec Manu, les mains dans la farine, nous avons appris tous ses secrets de préparation du pain. Nous avons mélangé les ingrédients en reproduisant chacun de ses gestes. Nos mains ont malaxé les différents éléments avec application afin d’obtenir une pâte homogène que nous laissions sous un torchon dans un coin. Puis, nous filions à la cabane le temps que l’appareil pousse. Nous avions deux heures de liberté. Dans ce nid douillet, nous nous sommes livrés avec amour, nos doigts ont dessiné chaque courbe de nos corps avec malice, nos lèvres se sont retrouvées avec gourmandise. Nous nous sommes apprivoisés, chacune de nos caresses a massé avec délicatesse l’âme de l’autre. Nous étions seuls au monde et conscients que ce que nous partagions était unique.

— Zach, c’est mignon, tu souris en pétrissant la pâte.

— Pardon, dis-je en réalisant que je ne suis plus seul dans la pièce.

— Je sais pas, c’est la première fois que je vois un gars prendre son pied en cuisinant.

Je me retourne et découvre Rose se servant une tasse de café.

— Tu as d’autres qualités dans les poches de ton tablier ? Parce que là tu m’en bouches un coin.

— Bien dormi ? demandé-je pour changer de sujet.

— Oui comme un bébé et rassure-toi, j’ai bien compris que ton cœur était pris, me dit-elle en me tendant un mug fumant. D’ailleurs, j’espère qu’il sait la chance qu’il a.

— Le plus chanceux, c'est moi.

— Alors pourquoi n’est-il pas là ?

— Je ne sais pas, répondis-je avec une pointe de nostalgie.

— Désolée je ne voulais pas …

— T’inquiète, c'est comme ça. Des oeufs brouillés ça te tente ?

Nous nous installons autour de l'îlot central et discutons des jours à venir. Rose, toujours curieuse me demande où je vais vivre pendant mon année

scolaire. Quand elle découvre qu’un inconnu va m’héberger, elle m’interroge aussitôt :

— Tu crois que c’est raisonnable ?

— Mon ami Jérémie m’a donné son adresse et j’ai toute confiance en ses choix.

— C’est tout lui.

À mon tour de ne pas comprendre ce que signifie cette remarque.

— Qu’est-ce que tu entends par là ? demandé-je impatient de connaître sa réponse.

Peut-être qu’il ne s’agit là que d’une coïncidence. Je ne cesse de parler de Manu et de Jérémie depuis mon arrivée, Rose a dû les intégrer dans mon paysage. À son sourire, tout à coup, j’en doute.

— Alexis ne t’a rien dit pendant le voyage ?

Je ne pige plus rien. Au vu de toutes nos péripéties depuis notre départ de Londres, je comprends qu’il ait oublié quelques détails.

— Ben oui, quoi Jérémie ne t’a rien dit non plus ? insiste-t-elle.

— Tu voulais dire Alexis ?

— Non, Jérémie, déclare Rose.

— Et il aurait dû me parler de quoi ? Sois plus précise s’il te plait parce que je vais perdre le nord à force.

Un nouveau mystère, une autre devinette à résoudre.

— Oui, j'aurais dû te préciser que si nous étions assis côte à côte dans l’avion ce n’était pas un hasard, dit Alexis en entrant dans la cuisine au bras de sa chère et tendre.

— Mais pourquoi ne m’a-t-il pas précisé que je voyagerai avec une de ses connaissances ? interrogé-je de plus en plus dubitatif.

— On va dire qu’il m’avait demandé de prendre soin de toi et pour le coup je pense qu’il m’a bien eu. Il savait qu’à tes côtés je ne risquerai rien.

— Décidément, c'est un sacré cachottier, dis-je en les scrutant du regard.

— Moi, je le définirai plutôt comme un gars formidable, rétorque Rose.

— Notre rencontre n’était pas vraiment inattendue ?

— On va dire, un rendez-vous programmé.

— Attends que je l’ai au téléphone, dis-je en feignant la colère.

— Ne sois pas trop dur avec lui, me supplie Rose.

— À la condition que vous m’en racontiez un peu plus.

Nous commençons notre petit déjeuner. Alexis puis Rose me racontent, chacun leur tour, une anecdote concernant mon meilleur ami. Je me rends compte que je connais peu de sa vie au Canada. Même si nous continuions à échanger par mail, pour autant nous étions si loin l’un de l’autre, un océan nous séparait. Le même qui aujourd’hui me tient à distance de Manu.

— Si je résume et j’ai bien tout compris. Arrêtez-moi si je me trompe. Quand Jérémie est arrivé à Montréal avec sa mère et son beau-père, ils habitaient dans la maison mitoyenne à la vôtre et vous avez partagé votre adolescence avec lui. Je vous envie, dis-je en marquant une pause. Quand il est parti, j’ai perdu une part de moi, comme si on m’avait privé d’un membre. Oh j’espère que vous m’en raconterez plus, je veux tout savoir. Mais avant je pense que je vais lui envoyer un petit message.

— Dis-lui qu’il est le bienvenu et qu’on l’attend quand il veut, ajoute Rose.

— Il serait capable de vous prendre aux mots. Rien ne le retient en France, à part peut-être, à nouveau je me stoppe ne voulant pas en révéler plus.

— Son chéri Maël, annonce Rose sans attendre.

— Bon ok, j’ai compris vous êtes au courant de bien plus de choses que moi.

— Oui, plus ou moins de tout, et entre autre ce qui t’est arrivé cet été. C’est pour ça qu’il voulait te savoir entre de bonnes mains, dit Alexis avec un clin d'œil. Après, je pense qu’il ne s’attendait pas que ton arrivée ici serait aussi mouvementée.

— Ça c’est une évidence. Pour le calme et le repos, on repassera. Est-ce qu’il y a autres choses dont je dois être au courant ? Vous savez chez qui je vais loger par exemple ?

— Non pas du tout, répondent-ils en chœur. Sur certains points, il s’est montré discret.

— Bon, je vais me préparer, j’ai rendez-vous pour quatorze heures avec mon logeur et je ne voudrais pas le faire attendre.

Je me dirige vers l’évier, nettoie ma vaisselle et rejoins ma chambre. Assis sur le lit, j’attrape mon portable où une surprise m’attend. Une enveloppe clignote, les battements de mon cœur s'accélèrent, je tremble à l’idée de l’ouvrir. Un mot et une photo, je n’espérais plus et là d’un coup d’un seul des larmes se déversent sur mes joues. L’émotion me terrasse. Le soleil se couche sur l’océan, une ombre se dessine sur le sable, je la reconnaîtrais parmi des milliers d’autres. Manu est là et si loin à la fois, si proche et si inaccessible. Je dessine du bout des doigts le contours de ses lignes, je me mords la lèvre, ma respiration s’accélère en découvrant les mots posés : “ my fuckying blue eyes, tu me manques, j’espère que ton escale au Canada t'ouvrira de nouvelles perspectives. Profites de chaque instant comme je le fais de mon côté. Étienne m’a confié ta lettre que je suis venu lire sur cette plage. J’attends avec impatience la prochaine.”

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