Besoin de piquer une tête

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Après avoir glissé le mot dans mon portefeuille, j’envoie un message à Lucas pour être sûr qu’il pourra se joindre à moi. Il me répond par l'affirmative sans me demander plus de détails, ce qui m’arrange parce que je ne saurais pas comment lui expliquer d’où vient cette invitation. Pour éviter de m’étendre sur le sujet, je me suis contenté de lui parler d’une soirée d’anniversaire chez un gars que j’ai croisé au café. Il m’envoie une réponse tout aussi énigmatique : “si tu as rien de prévu, rejoins-moi à l’adresse suivante vers quinze heure trente “. “Ok, je serai en avance, je sors de la piscine vers quatorze heures” “Attends-moi, bouge pas, j'arrive”, me répond-il instantanément. “Je suis à la station de métro”. “Parfait, je suis là dans cinq minutes”.

En patientant, je relis le message laissé sur le papier par Peter. Il y a tout de même plusieurs éléments qui m’interpellent. Pourquoi fait-il une telle allusion au sujet de Lucas ? Qu'entend-il par là ? Je ne voudrais pas qu’il y ait un malaise entre nous. De mon côté, j’ai été honnête avec les membres de notre groupe. Depuis le départ, Alexis et Rose connaissent une grande partie de mon histoire, Jérémie a préparé le terrain avant mon arrivée. Tous sont au courant que mon “chum” vit en Irlande et porte le doux prénom de Manu.

Est-ce que pour autant, je dois crier haut et fort que je suis fou amoureux d’un garçon ? Certains parlent de faire son coming out. Avant, je ne supportais pas de ranger les personnes dans des boîtes avec des étiquettes sur lesquelles on affichait leur préférence. Aujourd’hui, encore moins. Je trouve que cataloguer qui que ce soit est stupide. Dans mon cas, je rentre dans quelle case, homo de passage, maxi hétéro comme se plaisait à me le faire remarquer Manu pour me taquiner, bisexuel ou un mixte de plusieurs entités. Je m’en fiche, je suis avant tout Zach, heureux dans ses baskets. Je me souviens avoir lu un bouquin où l’auteur racontait une histoire similaire à la mienne. Un des héros nommé Ace tombait fou amoureux de Tyler. Le blond n’avait pu résister au brun. Au cours d’un chapitre, alors qu’il se découvrait dans l’intimité, il lui avouait qu’il était Tylersexuel, je me suis surpris à sourire. Finalement, cela résumait si bien leur relation. J’ai laissé ce livre dans mon refuge à Mesange, il est posé sur les rayonnages de ma bibliothèque dans la cabane. Je l’ai dévoré en une nuit, cette fameuse nuit où Manu s’est envolé pour l’Irlande. Il faisait écho à notre histoire, à la différence que l'écrivain avait opté pour une happy end là où la nôtre reste sur une fin ouverte.

Le mot n’est peut être juste qu’une provocation ou il me fait du rentre dedans pour voir ce que j'ai dans le ventre. La discussion avec Peter m’a mis sur les nerfs. Je vais devoir rester sur mes gardes. Je ne sais pas ce que je vais trouver une fois sur place au cours de cette soirée. Encore une fois, je joue avec le feu.

— Ouf, tu es encore là, me dit Lucas, arrivant de nulle part.

— J'avais dis que je t’attendais.

— Oui mais comme le prof ne voulait pas nous lâcher, j’ai cru que tu aurais filé.

— T'inquiète, je ne suis pas à cinq minutes près.

— J’ai quand même un quart d’heure de retard.

— Quoi ? dis-je surpris en consultant l'écran de mon portable.

Plongé dans mes réflexions, je n’ai pas vu le temps passé.

— Tiens, je te file les clés de mon appartement, comme ça tu m’attendras au chaud.

Lucas me tend un trousseau.

— Ton appartement ? Tu veux dire celui de ton père ?

— Non, tu as bien compris, mon studio. Avec l'argent que je gagne au restaurant et une petite aide de mon paternel, j’ai pu obtenir un pied à terre à dix minutes de l’université. Ça va me changer la vie, j’en avais marre de me taper une heure de trajet aller puis retour tous les jours. D'ailleurs, j’aurai besoin que tu me files un coup de main. On en reparle tout à l'heure, là je vais être à la bourre pour mon dernier cours. Hors de question de me faire remarquer.

Je le vois disparaître dans l’escalator qui le ramène à la surface. Un tas de questions se bousculent dans ma tête quand une douleur vive me rappelle à l’ordre. Mon orteil me lance, je pense que j’ai abusé de la position debout. La petite virée à la piscine va me faire le plus grand bien.

Depuis un mois, je ressens le besoin de me remettre au sport. La course à pied dans les différents parcs arborés de la ville me convenait parfaitement. Mon accident domestique de ce début de semaine m’a stoppé net dans mon élan. J’avais découvert le plaisir de galoper dans les allées enneigées, sentir le froid sur mes joues. Poser mes appuis sur la poudreuse et la sentir se dérober sous mon pied m'amusait. Je suis un vrai gosse et assume cet état de fait. Après tout, je viens juste de fêter mes dix huit ans et je n’ai qu’une intention, croquer la vie à pleine dent. Aussi quand Oliver, l'interne, m'a proposé de me joindre à son groupe de nageurs pour me défouler, j’ai accepté sans sourciller. Il m’a assuré que mon activité ne me pénaliserait pas et qu’au contraire me permettrait de continuer à pratiquer un sport.

Le centre aquatique se situe à vingt minutes en métro. L’université a son propre bassin mais je désirais pratiquer une activité en dehors de son enceinte. Entre midi et quatorze heures, il y a les cours des athlètes. Le site proposé par Oliver quant à lui est en accès libre. Aussi, je vais tenter l'expérience. Peut-être ajouterai-je ce rituel dans mon planning, le temps de consolider ce que j’ai bêtement cassé. J’ai la chance de finir tous les vendredis à midi et demi. Aussitôt les cours terminés, il ne me faudra pas traîner, je rejoindrai la station de métro et filerai à la piscine.

Je profite du trajet pour envoyer un mail à Jérémie. Je lui parle de mes mésaventures de la semaine, de mes nouvelles rencontres et surtout je lui donne dans les moindres détails le déroulé de la scène de cette fin de matinée. Avant de rejoindre le métro, je suis passé par l’accueil pour consulter les albums photos des étudiants. J’ai obtenu le nom de famille de Peter. Avec ces quelques éléments, mon meilleur ami pourra commencer son enquête. J’espère qu’il consultera mon message avant que je franchisse les portes de l’appartement.

— Zach, te voilà, m’interpelle Oliver, je commençais à croire que tu avais changé d’avis.

Une fois les présentations faites, nous nous dirigeons vers l’accueil pour récupérer les clés de nos casiers respectifs. Après le passage par les vestiaires individuels, nous nous retrouvons sous les douches. La fraîcheur de l’eau me saisit, tout mon corps frissonne. Les deux potes d’Oliver sont taillés dans des rondins de bois, je suis encadré par des Phelps en puissance. Avec eux, les tablettes de chocolat prennent tout leur sens. Je passe mes doigts sur mes abdominaux et constate qu’il y a encore un peu de boulot. Ok, j’ai compris les gars, avec vous je vais devoir essayer de tenir le rythme. Pour une première, je vais faire attention de ne pas me cramer, si je ne veux pas être demain dans un sale état. Je me connais, je vais vouloir faire mon malin et à ce petit jeu, je vais découvrir l’existence de certains muscles qui m’étaient inconnus jusque-là. Oliver n’est pas seulement un médecin, il est clair que lui aussi est un sportif accompli. Il s’approche de moi en me proposant de m'asseoir sur le banc au bord du bassin.

— Tu permets, me demande-t-il en sortant de son sac un petit étui.

Je le regarde et acquiesce. Il attrape mon pied, vérifie mon orteil et le glisse dans un capuchon. Le contact prolongé de ses doigts sur ma peau me fait sursauter.

— Tout va bien ? demande-t-il inquiet. Je ne t’ai pas fait mal, j’espère. Cela te permettra d’être plus à l’aise dans l’eau, me murmure-t-il en plantant ses yeux dans les miens.

Décidément, mon corps réagit à la moindre sollicitation. Il y a une heure Peter a effleuré ma main, la sensation fut désagréable. J’ai perçu ses doigts glacés sur ma peau comme une intrusion. Là, la chaleur et la douceur de ceux d’Oliver sont apaisantes.

— Bon, Oli on s’y jette, lance son ami installé sur le plongeoir.

— Tu es prêt ? m’interroge Oliver, si tu ressens la moindre douleur ou gêne, tu t’arrêtes. Pas nécessaire de forcer pour une première fois.

— Je vais déjà mettre les pieds dans l’eau. Ne m'attendez pas, éclatez-vous.

Je me jette dans le bassin. Un poisson d’avril serait plus efficace. L’étiquette collée dans mon dos avertit les marins d’eau douce, que le cachalot en surface barbotte tant bien que mal. Je m’essaie à la brasse, les mouvements sont désordonnés à chaque battement je ressens une épine se planter dans mon pied. Je tente le crawl pour gagner en vitesse et ne pas ralentir le banc de poissons qui fraie autour de moi. Cette fois, c’est un coup d’épée dans l’eau. Pour terminer, je me risque à nager sur le dos. Avec soulagement, j’enchaîne les longueurs. Le plaisir est immédiat et la vague de sensations sur laquelle je me laisse porter est juste parfaite. Me sentant pousser des ailes, j'accélère et finit la tête la première dans un mur. De muscles. Et bois la tasse.

— Zach, pardon, je ne voulais pas, s’excuse Oliver.

— Tu n’y es pour rien, j’ai qu’à regarder où je vais, dis-je en reprenant ma respiration.

— Tu as pu nager comme tu voulais ?

— Sur le dos uniquement, mais ça m'a fait un bien fou.

Nous nous asseyons sur la margelle de la piscine. Il reste un quart d’heure avant la fermeture au public quand ses deux amis se lancent dans une course, chacun dans leur couloir.

— Vous nagez depuis combien de temps ensemble ? demandé-je en les voyant enchaîner les longueurs.

— Depuis que nous avons commencé nos études de médecine, nous avions besoin d’évacuer et l’eau nous est apparue comme le meilleur élément pour nous vider la tête.

— Comme je te comprends, l’océan est pour moi salutaire. Je pense que je vais me joindre au groupe tous les vendredis si cela ne vous dérange pas.

— Bien au contraire, j’allais justement te le proposer.

Je m’appuie sur le rebord pour me relever et ne pas mettre de tension supplémentaire sur mon pied cassé. Saisit par la douleur, je perds appuis et entraîne Oliver dans ma chute. En remontant à la surface, j’entend un de ses amis nous balancer :

— Vous auriez dû nous dire que vous vouliez faire des plongeons, on se serait joint à vous.

Nous nous regardons avec Oliver et nous éclatons de rire. Puis, nous nous dirigeons vers les douches, le sourire aux lèvres. Cette première séance fut des plus sympas, piscine le vendredi, validée.

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