Déluge de SMS

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Dans le couloir qui nous ramène vers l’ascenseur, j’en profite pour remercier Louis de son aide précieuse. Les portes s'ouvrent. Avec horreur, je découvre le locataire de l’appartement. Mon pouls s’affole. Mes mains sont moites. Mes pensées s'emboîtent. Devant nous, le copilote surgit, nerveux. Ses yeux rougis ne laissent planer aucun doute. Je redoute sa réaction. Je n’en reviens pas qu’il puisse avoir encore le droit de voler et passer entre les mailles du filet. Heureusement pour les passagers, il n'est pas le seul maître à bord.

Au passage, il bouscule Louis et l'envoie bouler sans aucun scrupule. Je ne comprends pas que l’on puisse se comporter ainsi. Je m’agite près à lui demander des comptes. La main posée sur mon bras me retient. Le doberman grogne. Aussitôt, je m’engouffre dans l’ascenseur, je ne veux pas faire de vague. J’ai tout intérêt à me faire discret, et garder secret ce que la photo vient de me révéler. Avant d’accuser, il me faut des pièces à conviction. Ne pas me jeter dans la cage aux lions, sans un bon os à ronger pour les occuper. Mon dossier est trop léger. Je me dois de peser le pour et le contre, et pour l’heure la balance penche du mauvais côté. Celui des mauvais garçons. Si je veux faire des investigations au plus juste, je ne dois pas laisser ma colère me guider, ni mes sentiments et encore moins mon passé. Mauvaise conseillère, elle ne me tirerait pas de la galère dans laquelle je me retrouve une nouvelle fois embarquée. Pianissimo, voilà le rythme qu’il me faut conserver.

Le concierge appuie sur le bouton du rez-de-chaussée, les battants se referment. Vu son état, l’homme nous a à peine capté alors aucune raison de faire de vague, cette nuit la tempête a bien failli m’engloutir. Ce matin, je suis remontée à la surface, plus besoin de couler à pic pour chercher dans les abysses un semblant d’indice. Une photo et un joint à l’Antelax ne m’apportent pas les éléments nécessaires, mais ils sont un bon début. Affaire à suivre. Pendant la descente, Louis me confie qu’il ne supporte plus l'attitude de l’occupant de l’appartement terrasse, la façon détestable dont il s’adresse à lui à la moindre occasion. Je découvre de fil en aiguille que le père Conrad est le propriétaire de l’ensemble immobilier. À chaque étage, le concierge taille un costume pour l’hiver au patriarche et à ses deux fils. Je le sens soulagé de pouvoir me livrer son quotidien. Si nous étions à Bordeaux, j'aurai l’impression qu’il me décrit Francis Courtois. Une idée stupide m'effleure l’esprit, se pourrait-il que le père de Peter et que le père de Manu se connaissent ? Ou qu’ils se soient croisés ? À cette simple évocation, un malaise m'envahit. Par chance, l’homme à mes côtés change de sujet. Il me parle de sa femme et de sa fille agée d’une dizaine d’année. Il insiste sur le plaisir qu’il a à les retrouver à la fin de son service. Ses yeux s'illuminent dès qu’il évoque la possibilité de changer de boulot d'ici la fin de l'année. Ses mots se font plus calmes et enthousiastes quand il me décrit son projet. Je peux comprendre son souhait de retourner là où ses racines sont ancrées et admire le courage dont il fait preuve pour réussir sa reconversion. Arrivé devant sa loge, il me propose un café et de recharger mon portable. Je jette un coup d'œil à l’heure et accepte.

Au cours de l'échange, il me précise être le responsable de la coupure de courant de cette nuit. Il ajoute avoir ouvert à mes amis qui s’étaient présentés et venus pour me tirer d’un mauvais pas. Il m’explique que tout est allé très vite, dans la confusion tous les invités ont levé le camp. Il m’avoue avec un petit sourire de satisfaction qu’il a mis une bande son sur son portable, un passage du film le commissaire Harry. Je manque de m’étouffer avec mon café en entendant les mots qu’il me fait écouter. Après s’être assuré que je vais mieux, à son tour il éclate de rire. Le concierge me raconte comment les potes de Peter se sont précipités dans les escaliers pensant à une descente de police. Je n’en reviens pas du plan mis en œuvre par le quatuor Alexis, Noah, Léo le tout piloté à distance par Jérémie. J’ai de la chance que mon ange gardien me suive à la trace, je pense qu’autrement je ne ferai pas de vieux os.

Louis s’éclipse dans le fond de sa loge pour récupérer un objet.

— Si je ne me trompe pas, elle est à toi, me dit-il en me tendant une chemise.

— Comment as-tu fait pour la subtiliser ? demandé-je surpris. Dans mon souvenir, je l’avais posée sur le porte-serviette dans la salle de bain ?

— J’oublie rarement les personnes que je croise. Au cours de mes années au service d’hôtel ou d’appartements privés, j’ai appris à connaître les gens que je côtoie au quotidien et ceux qui fraient dans leur sillage.

— Tu ferais un sacré profiler, dis-je impressionné par son analyse des choses.

— C’était plus ou moins évident, quand tu es reparti dans les bras de tes gardes du corps, tu étais torse nu sous ta veste. Je leur ai même dit que tu allais attraper la mort si tu sortais ainsi. Celui nommé Léo a sorti un plaid du coffre de sa voiture dans lequel ils t’ont enroulé.

— De mon côté, je t’avouerai que je ne me souviens de rien.

Louis me regarde inquiet.

— J’ai dû consommer un truc que je n’ai pas digéré, dis-je pour dédramatiser.

Il attrape la cafetière et me sert une seconde tasse de café. J’apprécie qu’il n’attende pas d’explications supplémentaires et décide de reprendre la parole.

— Merci encore pour la chemise. Mon ami me l’avait prêtée pour l’occasion. Je pourrais ainsi la lui rendre.

— Peter me l’a donné, il est venu s’excuser après ton départ.

— Surprenant et pourquoi te l’a-t-il confiée?

— Peut-être a-t-il songé que tu reviendrais la chercher ?

— Ouais, réponds-je dubitatif.

Je saisis le vêtement et comme je m’y attendais il y a un papier dans la poche. Je ne veux pas mêler Louis à mes histoires et je glisse le mot dans mon portefeuille pour le lire plus tard. Je remercie Louis et lui souhaite bon courage pour la suite de ses projets. Une fois dans la rue, je contemple le bâtiment, j’espère que je n’aurai plus à revenir dans les parages.

Je regagne la station de métro, descend les escaliers et m’installe sur un banc. J’attrape mon portable, les notifications s’enchaînent, un déluge de messages tombent. Je scrute mon écran et commence dans l’ordre.

À minuit, Jérémie : “mon chou, urgent, répond-moi.”

À minuit deux, Jérémie : “Les informations que j’ai récoltées me laissent à penser que tu dois sortir de cet appartement. Maintenant.”

À minuit cinq, Jérémie : “Le signal de ton portable est statique et tu ne réponds pas, envoie un SOS si nécessaire. Putain, pourquoi suis-je aussi loin ?”

À minuit dix, Jérémie : “À moins que tu prennes du bon temps, eh bien tant pis, j’envoie la cavalerie.”

À minuit treize, Alexis : “Zach, t’es où ? Avec Lucas ? Jérémie m’a envoyé un message flippant. Réponds.”

À minuit quinze, Noah : “Zach et Lucas si vous êtes avec Peter, dégagez de chez ce connard”.

À minuit seize, Léo : “Je passe prendre Noah et Alexis, Jérémie nous a filé l’adresse. On arrive en espérant que ce n’est pas trop tard”.

À une heure, Jérémie : “Je suis rassuré que tu sois en un seul morceau, mon chou, je suis désolé. Franchement, je ne pensais pas t’envoyer dans les emmerdes à Montréal. Il y a un truc qui nous a échappé. Je t’appelle dans le week-end. Avec Maël, on descend à Bordeaux voir Étienne. J’en profiterai pour aller faire un coucou à Pierrette.”

À dix heure, Lucas : “C’est ma pause, j’espère que la photo t’aura été utile”. Je lui réponds aussi sec : “Oui, tu as mis dans le mile. Bon courage et à demain soir”.

Je réalise que j’ai oublié de prendre un cliché pour l’envoyer à Jérémie. De tout façon, je n’aurais pas pu, le téléphone n’avait plus de batterie. Et s’attarder dans l’appartement terrasse n’était pas le bon plan. Pas grave, je l’ai en mémoire, difficile d’oublier la scène, je pourrais la décrire les yeux fermés. Avant toute chose, je dois envoyer un message à Jérémie pour le rassurer.

“Tout va bien, j’ai retrouvé mon téléphone. Il se déplace librement, pas de problèmes. Enfin, tu me connais, ça ne dure pas longtemps. Je file rejoindre l’interne Oliver. Pas de consultation privée. Ne va pas imaginer autre chose qu’une sortie entre potes. Quand tu auras cinq minutes, tu pourras m’appeler. Si je ne te l’ai pas déjà dit, alors laisse-moi radoter, je te suis une fois de plus redevable. N’hésite pas à facturer en double ce sauvetage. Ma note va finir par être salée. Allez, je suis encore en retard. Bise.”

Je consulte mes deux derniers messages sur mon répondeur, un de mon père. Il vient aux nouvelles et me précise que Pierrette a accepté de venir passer les fêtes de Noël dans les Alpes. Je me réjouis de cette perspective, une façon pour elle de combler mon absence en cette période. Les quitter fut douloureux. Même si leur visage de façade était souriant lors de nos aux revoirs, je suppose que je leur manque un peu. Grandma, en écho, m’a donné sa version. Sa voix trahit son impatience et elle insiste sur le fait qu’elle se réjouit de rencontrer la nouvelle femme qui comble Joseph. Je les rappellerai plus tard et dans les bons horaires. Je me contente de leur envoyer une photo de Montréal sous la neige et de glisser un baiser sur cette carte postale d’hiver.

Le dernier sms est d'Oliver : “Hey Zach. Toujours partant pour la virée. Je serai en retard, on se retrouvera à treize heures à l’angle de la rue Ste Catherine. Prévois des vêtements chauds”. Je vérifie le temps qu’il me reste. Je lui envoie un émoticône pouce levé et poursuis mon trajet en métro. Par chance, son imprévu me permet de faire un crochet par la maison d’Harry pour préparer un sac. J’accepte encore un plan, sans savoir où je vais mettre mes pieds. Tout, moi. Les deux jours qui viennent, je n’ai pas envie de calculer les risques. Oliver m’a fait une bonne impression, et c’est bien connu mon sixième sens ne me trompe jamais.

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