Chapitre 4 : Lysandra

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Lysandra écrasa la brindille sous sa botte sans vraiment y penser, les yeux perdus dans les flammes. Une volute orange grimpa dans la nuit, s'effilochant dans le vent comme un fil de souvenir. Autour d’elle, les voix s’étaient faites plus basses. Cléo avait terminé son histoire, et le silence qui s’était installé n’était pas désagréable. Juste… suspendu.

Elle aimait ces moments. Pas forcément pour les chamallows ou les blagues, quoique certaines d’Ilana étaient plutôt drôles, mais pour le calme que la nuit imposait. Il y avait quelque chose de vrai, là, dans l’obscurité, que le jour n’autorisait jamais.

Elle se surprit à regarder ses cousins, un à un, comme si c’était la première fois.

Ilana, les yeux brillants, riait à gorge déployée, son visage éclairé par les flammes. Caleb, assis en tailleur, sculptait une branche avec son couteau, concentré. Jorick fixait l’eau de l’étang, pensif. Cléo, comme toujours, semblait tenir les rênes sans qu’on le remarque trop. Et Liam… Liam était redevenu silencieux, le regard un peu lointain, comme s’il sentait que quelque chose approchait.

Lysandra, elle, ne savait pas ce qu’elle sentait. Mais ça vibrait. Pas dans l’air, pas autour d’elle. En elle.

Depuis leur arrivée dans la clairière, elle avait l’impression de percevoir des choses. Des échos. Comme si la forêt parlait un langage oublié qu’elle seule pouvait entendre. Elle secoua la tête. Ridicule.

Et pourtant, tout à l’heure, quand elle s’était éloignée du feu pour faire quelques pas, elle avait vu une lumière entre les arbres. Une lumière douce, presque liquide. Comme un reflet de lune… Elle ne l’avait pas dit aux autres. Du moins pas encore. Ce n’était peut-être rien, mais elle savait qu’elle reverrait cette lumière.

— Vous trouvez pas qu’il y a quelque chose… je sais pas, de différent ce soir ? murmura-t-elle, presque malgré elle.

Cléo haussa un sourcil.

— Tu veux dire à part les chamallows cramés et le fait que Liam ne râle plus ?

Les autres rirent. Lysandra sourit aussi, mais son regard glissa vers les arbres. Ils semblaient plus sombres, plus denses qu’avant. Comme si la nuit les rendait secrets.

— C’est peut-être la forêt, reprit-elle. On est loin de tout. On entend des bruits qu’on entend pas d’habitude.

— Des esprits de la forêt ? proposa Jorick, à moitié sérieux.

— Des sangliers démoniaques, ajouta Ilana.

— Je préfère les démons aux scouts, grommela Liam.

— Tu rigoles, mais j’ai lu un article sur des gens qui se perdent dans des bois comme ça et qui...

Cléo se lança dans une nouvelle anecdote. Les autres écoutaient, riaient, débattaient. Mais Lysandra, elle, n’entendait plus vraiment. Son esprit s’était mis à flotter.

Un frisson fugace lui hérissa l’échine. Elle cligna des yeux, comme sortie d’un rêve. Tout paraissait pareil : le feu, les rires, le ciel étoilé… Et pourtant, elle sentait comme un poids posé sur sa nuque et d’un coup elle eut une certitude. Quelque chose venait.

Elle n’aurait su dire quoi, ni d’où. C’était comme une fausse note, imperceptible pour les autres mais impossible à ignorer pour elle. Sa main glissa dans sa poche, cherchant à tâtons le vieux galet poli qu’elle gardait toujours sur elle. Un porte-bonheur sur lequel sa mère avait dessiné des spirales. Juste un caillou. Et pourtant, ses doigts s’y accrochaient comme à une ancre.

La vibration qu’elle avait déjà sentie auparavant se mit à bourdonner plus fort. Elle regarda autour d’elle. Personne ne l’observait. Tous trop occupés à rire d’une énième exagération de Cléo. Et si je me faisais des idées ? Mais sa curiosité l’emporta.

— Je reviens, murmura-t-elle, à personne en particulier.

Elle se leva, fit mine de s’éloigner pour une pause discrète. Aucun regard ne se tourna vers elle. Quelques pas suffirent pour que les rires s’éteignent derrière elle. La forêt l’engloutit aussitôt. Son souffle résonnait plus fort dans sa gorge. Elle ne savait pas pourquoi elle s’était levée. Ou pourquoi elle ne parvenait pas à s’arrêter maintenant. Quelque chose, une certitude sourde, la tirait en avant.

Et la lumière était là. Une lueur douce, mouvante, comme du lait versé dans l’obscurité. Elle filtrait entre deux troncs, non loin. Lysandra hésita. Son cœur battait comme avant un contrôle. Ce n’était pas de la peur. Plutôt une reconnaissance étrange. Comme si cette lumière avait été posée là pour elle.

Puis elle fit un pas. Puis un autre. Elle ne pensait plus. C’était comme si quelque chose en elle marchait à sa place.

Et la forêt s’ouvrit devant elle.

Elle avança encore, écartant les branches basses d’un buisson humide. Ses doigts frôlèrent des feuilles qui semblaient vibrer sous son toucher, comme si la forêt retenait son souffle. La lumière se fit plus nette. Elle n’était ni vive, ni agressive, mais elle dessinait dans l’ombre une clarté presque vivante, bleutée, comme une lueur de givre sous une pleine lune invisible.

Et puis elle la vit.

L’arche.

Posée là, au milieu de rien. Massive, presque brute, formée de blocs de pierre usés par le temps, couverts de mousse. Mais dans cette mousse, quelque chose miroitait. Des symboles. Gravés à même la roche, ils s’illuminaient doucement, comme réveillés par sa présence. Une lumière pâle courait dans les creux des runes, pulsant lentement.

Lysandra s’arrêta net. Elle ne respirait plus.

L’arche ne menait nulle part. Derrière elle, il n’y avait que la forêt, des troncs et de l’obscurité. Et pourtant, son regard refusait de s’en détacher. C’était… beau. Inquiétant. Et familier, d’une manière impossible à expliquer.

Un mot lui traversa l’esprit, sans qu’elle sache d’où il venait.

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