Acte 1 : Où il est question de remembrance

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Cela fait maintenant deux fois que Ren se réveille au cours de la même journée. Pas que ça soit exceptionnel, mais il reste intéressant de le noter.

Et lorsqu’il ouvre les yeux, l’amas tourbillonnant de souvenirs abscons continus à s’affoler dans son cortex.

Par ailleurs, le décor a changé. Déjà, il est dans un lit de paille – ça gratte – recouvert d’un drap qui a connu des jours meilleurs. Ensuite, l’odeur de proto-lama l’a en grande partie quitté, au profit d’un fumet de bois de cheminée qu’accompagne le crépitement caractéristique.

— Bien dormi ?

La mise au point se fait progressivement sur le croque-mort concentré à servir une mixture étrange aux relents herbacés dans un broc en terre.

— Tiens. Bois ça. C’est mauvais, mais ça t’aidera à y voir plus clair.

Ren, peu habitué à accepter les boissons lorsqu’elles ne sont pas préparées par un barman, hésite. L’homme, dont la redingote et le couvre-chef ont disparu, sourit.

— Si j’avais voulu te faire du mal, tu ne te serais pas réveillé, mon garçon.

L’absence d’entrave confirme au poivrot les intentions non belliqueuses de son hôte. Il boit donc.

C’est dégueulasse.

— Ha, mais merde ! T’as pissé dedans ?

— Non, mais ça aurait pu être une vengeance légitime. Finis tout.

Pour une raison qui lui échappe, Ren vide le contenant de son contenu sans contentement aucun. Si mauvais que le breuvage puisse être, le coup de fouet qu’il administre à sa victime est efficace.

L’ombre du thanatopracteur s’avance sur lui, à mi-chemin entre la figure paternelle protectrice et son pendant violent, abusif.

— Maintenant, discutons. Commence donc par m’expliquer pourquoi je t’ai surpris la tête dans un cercueil, hier.

— Un cercueil. Bah là, papy, ça ne me dit rien. Hier… hier. J’ai fait quoi hier, moi ?

Des conneries…

Pareil à un étau, les murs de bois nus de la maisonnée semblent se mouvoir sur Ren. La ressemblance avec la sensation sur ses tempes aurait pu le faire rire en d’autres circonstances. Cependant dans l’immédiat, une vague de panique s’aventure dans son ventre. Ça virevolte, ça valse des ventricules à la vessie, si bien qu’il se sent presque vomir à nouveau.

Mais le vent violent cesse face au zéphyr feutré. L’orage se calme, le zénith brille.

Il ne lui manque qu’un ultime coup de pouce, un dernier sursaut pour que mémoire revienne.

— Et ça, ça te dit quelque chose ?

Le corbeau plonge la main dans un tiroir entr’ouvert et dévoile une petite étoffe couleur bonbon. Une toute, toute, toute petite étoffe. Finement brodé.

Ren s’étonne.

— Un string ?

Pourquoi un string m’aiderait à…

Martel !

Oh putain ! Martel !

***

- 24 heures plus tôt, orbite de Hel-


On n’a même pas encore atterri que j’en ai déjà marre d’Hel… marre d’hel, Martel, comme le nom de celle qu’on doit récupérer, tu l’as, Tage ?

Oui, je l’ai, Ren. On n’est qu’une seule et même personne, tu te souviens ?

Ouaip. Mais on n’a clairement pas le même sens de l’humour.

Ha ça… faudrait déjà que t’en aies un.

Comme à chaque entrée d’atmosphère, Rusty ne peut s’empêcher d’envoyer tout un tas de signaux plus ou moins inquiétants à son pilote. Des voyants rouges, oranges ou bleus dont la signification cryptique n’a jamais intéressé Ren.

Lui se contente de maintenir le cap dicté par l’interface du vaisseau. Généralement ça se passe bien.

Des flammes au dehors, des alarmes, un bruit de casserole qui dégringole, puis un silence quiet. La troposphère accueille Rusty et son équipage aussi sereinement que possible. Les tocsins se sont tus et le tableau de bord reprend son apparence normale. Ne subsistent que les indicateurs habituels qui scintillent.

L’horizon flamboyant d’Hel participe à sa manière à la cérémonie d’accueil.

Hel, c’est la troisième planète d’un système théoriquement contrôlé par l’Ordre Pangérial. Seulement, elle se situe tellement loin de Pangée qu’il n’est même pas certain que les politocrates en soupçonnent l’existence.

Et pour cause, personne n’a de nouvelle de l’état d’avancement de la terraformation.

Cela en fait la destination parfaite pour un couple dont le mec est recherché dans pas moins de cinq systèmes.

Un riche marchand croisé au hasard d’une table de poker sur un satellite obscur avait confié à Ren, six semaines auparavant, la tâche de retrouver sa fille, soi-disant kidnappée par un truand du nom de Arkel. Le genre gros bonhomme, chef de bande, pirate opportuniste, navigant aux commandes d’un vaisseau lourdement armé.

Une mission rêvée pour un homme seul à bord d’une immense casserole sous-équipée.

Mais Ren n’est ni fou, ni particulièrement courageux. Seulement quand on agite un paquet de pognon sous l’œil hagard d’un chasseur de prime affamé, celui-ci imagine déjà quelle sauce ira avec son steak de proto-lama.

Et puis personne ne lui avait demandé de tuer toute la bande. Juste son chef.

Une balle derrière la nuque, on récupère la donzelle, on charge ça dans Rusty et l’affaire est entendue.

De toutes les planètes possibles, il faut que nos informations nous indiquent Hel. Je DÉTESTE avoir chaud et toute cette planète est un foutu désert.

Je crois que la troisième loupiote en partant de la gauche stipule que ta clim est en panne…

Et misère…

Pas de spatioport ici. Pas que ça change grand-chose pour Ren qui ne s’y serait pas posé dans tous les cas, mais c’est intéressant de le noter.

À première vue, la terraformation ne s’est clairement pas terminée. L’immense majorité du panorama qui s’étend devant la baie vitrée de Rusty est composé de roches brunes et nues aux angles improbables. Seule exception : une zone circulaire un peu moins morte que le reste dans laquelle quelques habitations semblent avoir poussé. On y distingue même un peu de végétation autour du noyau principal et la fumée d’une mine à l’extrémité nord témoigne d’une activité humaine.

Un noyau pour une planète, tu m’étonnes que ça n’avance pas…

Un rocher bas, plat, coincé derrière un petit relief fait une piste d’atterrissage remarquable pour Rusty. Avec un peu de chance, leur arrivée passera inaperçue.

Le GPS local indique une paire d’heures pour se rendre à Maranth, l’unique bourgade de Hel. Une randonnée sans difficulté : malgré la distance qui sépare Ren du noyau, l’air est respirable. Par ailleurs, la balise météo prévoit un temps chaud et sec pour les prochains jours.

Parfait.

La première destination lorsque l’on arrive dans un endroit inconnu, c’est le bar. On y trouve toutes sortes de choses utiles à un mec qui en traque un autre.

Des bruits de couloir, des légendes, des histoires. Et de l’alcool.

Ren traverse la salle obscure dans laquelle seulement quelques paires d’yeux sont fixées sur leurs verres respectifs. Il y règne un calme à faire s’ennuyer un hyperactif sous stéroïdes.

— Qu’est-ce qu’on boit par ici ?

Le barman lève les yeux de sa tablette et dévisage un instant son nouveau client.

— Whisky, bière, ou du vin de sable.

— Du vin de sable ?

— Un alcool distillé à partir du lichen qui recouvre les rochers du coin. Mais « vin de sable », ça fait plus authentique.

— Hé bien va pour un vin de sable alors.

Il s’avère que le vin de sable n’est pas si mauvais. La première gorgée de Ren appelle rapidement la seconde, puis toutes ses sœurs.

— Vous venez d’arriver ? On ne voit pas beaucoup d’étrangers ici.

— Ouais. Mais je ne compte pas m’éterniser. Je ne suis pas un grand fan du climat.

Gorgée, goutte au coin des lèvres, langue.

Puis Ren reprend :

— Pourquoi un mononoyau pour toute la planète ? Où sont les autres ?

— Si on savait... Ça fait dix-sept ans qu’on a que ça. Le projet initial, c’était d’en avoir seize, mais personne ne sait où sont les quinze autres. Maranth devait être une station balnéaire. En profitant du creux à l’ouest, on était supposés créer un océan sur près d’un tiers du globe. Au lieu de ça, on a le strict nécessaire.

— Sacré chantier ! Où sont les autres colons ?

— Partis ou morts, ça dépend. Ceux qui sont restés n’ont pas le choix, ou trouvent une forme de réconfort dans le fait d’être loin de tout. C’est mon cas. Les journées sont tranquilles et avec les ressources du noyau on a de quoi tenir plusieurs générations.

Le barman pose le verre qu’il astiquait. Il semble hésiter un instant, puis se renfrogne.

— Enfin bref. Je peux vous encaisser ?

Ren tend machinalement son poignet que cercle un bracelet noir. Le barman le scanne sans regarder.

— Cette tranquillité, elle a été perturbée, hein ?

L’homme derrière le comptoir lève un sourcil, puis détourne le regard.

Ren se repositionne sur son tabouret, se rapproche de son interlocuteur et reprend :

— Et ce trouble-paix ne s’appellerait pas Arkel, des fois ?

Le barman acquiesce discrètement, puis s’éloigne s’occuper d’une autre table sans rien ajouter.

Bon bah au moins, les infos sont avérées, cette fois.

Ça change.

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