Acte 4 : Où l'on prévoit d'agir

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— Donc, reprenons, mon garçon : tu as, à tes trousses, tous les hommes d’Arkel, que tu dois tuer pour le compte d’un marchand, qui est le père de la petite Martel ?

— Tout juste, papy.

Le vieil homme rapproche un tabouret et s’assied près de Ren en se frottant le front d’une main calleuse.

— Et la lingerie…

— ...le string de Martel !

— Oui, le string de Martel, tu l’as placé dans ce cercueil pour quelle raison ?

Le chasseur de prime se redresse dans son lit de fortune et grimace. Il remarque un bandage autour de son omoplate gauche.

J’avais pas ça avant le black-out, on est d’accord ?

Nope.

La vache, mais j’ai tant bu que ça ?

Yep…

Le croque-mort remarque l’air surpris de Ren et soupire.

— Tu étais tellement ivre que tu n’as même pas senti la balle traverser ton épaule ?

— Ouh… ça va laisser une cicatrice ? Les femmes aiment bien les cicatrices.

La main de l’homme mûr passe du front aux yeux, il désespère.

— Non, ce n’est pas très grave, la blessure est superficielle. Oui, tu vas rapidement retrouver l’usage de ton bras. Oui, je t’ai soigné et c’est pour ça que tu n’as presque pas mal. De rien. Mais oui, tu auras une cicatrice, si c’est réellement ce qui te préoccupe...

— Ouais… ouais, le reste aussi. Bon, bref, le string, on disait. Je sais pas trop quoi te dire, Papy, sur le coup ça m’a semblé une bonne idée. Je me suis dit que c’était suffisamment incongru et irrespectueux pour que tu cherches à me retrouver. Ensuite, le nez dans la culotte, j’étais censé recouvrer la mémoire que l’alcool m’a temporairement subtilisée.

Un plan de génie…

N’empêche que ça a fonctionné !

Ne fanfaronne pas trop, on est pas encore sorti d’affaires.

Les yeux sombres du croque-mort se figent et plongent profondément dans ceux de Ren, mais ce dernier ne peut décrocher son regard de la magnificence de cette moustache…

— Ça doit être un boulot de malade de s’occuper d’une moustache comme ça.

Un énième soupire.

— Je n’arrive pas à savoir si tu es complètement idiot, chanceux, ou ingénieux. Toujours est-il que ton plan a marché. Enfin si l’on omet que j’héberge chez moi l’homme que la ville recherche.

— Seulement Arkel et ses hommes.

— Ce qui revient au même.

— Tu penses que je suis foutu ?

— Ça dépend. Tu es arrivé comment sur Hel ?

— Avec Rusty, mon vaisseau.

— Personne ne sait où il se trouve ?

— Pas que je sache. Après je ne me souviens que de la moitié du temps passé ici.

— Bon, on va compter sur le fait que tu aies réussi à tenir ta langue...

— … « On » ?

— Je vais t’aider à descendre Arkel, contre trente-cinq pourcent de la prime et un aller simple hors de cette planète.

Ren ouvre les yeux en grand de stupeur.

Bah ça, je l’avais pas vu venir !

— Et comment, au juste, comptes-tu m’aider à abattre le mec le plus puissant du coin, Papy ? Avec ta pelle ?

— Non.

Joignant le geste à la parole, le corbeau se penche vers Ren, et tire de sous le lit une imposante valise noire. Un nuage de poussière envahit brièvement la petite pièce, et dessine des rayons de lumières timides qui percent à travers les fenêtres crasseuses vers l’objet découvert.

Clic, clac, un grincement strident, la valise s’ouvre…

… et laisse apparaître une somptueuse guitare sèche en bois d’ébène que les années ont patiné.

— Je crois que je préfère encore la pelle…

— ...Mh. Mauvaise malle.

Rebelote, mais cette fois avec un étui de guitare rigide, duquel le croque-mort sort trois parties d’un fusil antichar démesuré. Il l’assemble à une vitesse prodigieuse.

Ce machin est plus grand que toi… C’est qui ce type ?

— Qu’est-ce que…

— ...attend.

Là-dessus, le vieil homme fouille encore un instant sous la couchette et en tire un cylindre en métal ridicule qu’il visse au bout du gigantesque canon.

L’image d’une capote taille XS enfilée sur un chibre de cheval monte, hélas, à l’esprit de Ren.

Le silence remplace bientôt la poussière dans la maisonnette. Le chasseur de prime est obnubilé par l’arme monstrueuse, dont la singularité dépasse de peu la classe de la moustache. Il toussote, puis se résigne faussement :

— Vingt-cinq pourcent.

— Entendu.

***

Le croque-mort gratte quelques accords sur sa guitare. Il réfléchit ; le tremblement de gauche à droite de sa moustache est éloquent.

Puis sa voix grave emplit l’air :

— Seize. Enfin quinze plus Arkel, sans compter Martel.

— Ça fait un paquet de bonshommes à descendre.

Ren est rarement aussi méticuleux que lorsqu’il s’occupe de son flingue. Un sublime Revolver à induction laser personnalisé, imitation calibre .44. Un vrai bijou, et peut-être le seul truc brillant en ce qui concerne le chasseur de prime.

La légende raconte qu’il sait s’en servir.

Il souffle dans le canon puis reprend :

— De nuit ? On s’infiltre dans la mairie, on allume le gaz et on fait tout sauter.

— Et tu ramènes un tas de cendre à ton marchand ? Non. Puis Arkel s’est fait aménager sa chambre directement dans la pièce blindée. La seule solution c’est de l’amener à sortir. Il faudrait l’appâter.

— Oh, mais c’est pas con ça ! Il se trouve que j’ai l’appât rêvé !

Ren tapote son arme contre son buste.

— Bibi ! Après tout, j’ai sauté sa gonzesse…

Ou inversement, dans mes souvenirs, c’était plutôt elle qui te sau…

— ...ça l’attirera forcément, il voudra me faire la peau !

La musique s’arrête, le guitariste accorde son ré.

— Je pourrais essayer de couvrir ta fuite après que tu l’ais refroidi. Mais quinze pétards, je ne suis pas certain de pouvoir assurer tes arrières. J’ai une autre proposition. De toute façon toute la ville est à tes trousses. Alors tu vas sortir de là, ton pistolet à la main et tu vas avancer tout droit jusqu’à la mairie en descendant tous les salopards que tu trouveras. Tête la première. Ils n’auront pas le temps de s’organiser.

— Et toi ?

— Moi je serais au sommet de la grue de terraformation. Je m’occupe de ceux qui arrivent dans ton dos.

C’est une idée à la con ! Tu vas te faire buter ! Et moi avec, bordel ! Refuse !

— Ça me va bien comme stratégie ça. Je regarde devant moi et je tire.

Putaiiiiiiin ! Ren, t’es lourd. Tu sais même pas s’il sait s’en servir de son énorme machin.

T’inquiète, Tage. Je suis doué pour cerner les gens. Il saura me couvrir.

T’es absolument pas bon pour cerner les gens, sinon t’aurais pas trempé ton petit machin dans notre objectif, hier. On va crever.

Mais non, roh.

L’arme réassemblée, le chasseur de prime vérifie une dernière fois l’alignement de la mire. Il respire un grand coup, puis dévisage l’homme à la moustache.

— Mais dis-moi, papy. Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu m’aides ?

Son acolyte se saisit de son fusil et y enclenche le chargeur.

— Ça fait quarante ans que je suis fossoyeur. J’ai enterré des gens morts de maladie, d’accident, de vieillesse. Mais depuis que Arkel et sa bande sont arrivés, j’ai mis en terre des femmes, des enfants et des hommes avec du plomb dans le dos. Le cimetière est plein. Plein d’innocents que la faucheuse n’avait pas sur sa liste sans ces vauriens.

— Ouais ok, ça fait une bonne raison. Mais de là à s’allier au premier abruti venu, faut quand même un sacré grain !

Les deux billes noires du croque-mort dévisagent longuement Ren, jusqu’à ce qu’un petit rictus vienne soulever la glorieuse moustache.

— Mh. Non. Je ne crois pas, non. Aller, au travail, mon garçon.

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