22 mars 2020 (Un dimanche à la campagne)

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Moi : « Salut !

Elle : - Ah c’est malin ! Pfff !

Moi : - Pardon, c’est comme ça que tu me dis bonjour ?

Elle : - Tu as le chic pour débarquer toujours au mauvais moment !

Moi : - Pardon d’interrompre ta profonde méditation…

Elle : - Je ne méditais pas, je comptais les brins d’herbe de la pelouse. Il y a toujours quelque chose ou quelqu’un qui vient me gêner quand j’entame le dernier tiers.

Moi : - Ben dis donc…

Elle : - Personne, je dis PERSONNE ne se rend compte du degré de concentration que ça demande !

Moi : - Crois bien que je m’en rends compte… Mais comment ça t’est venu ?

Elle : - À force d’avoir ça sous le nez…

Moi : - Forcément…

Elle : - Et puis j’ai personne à qui faire la conversation...

Moi : - Moi non plus…

Elle : - Quand je pense qu’on aurait pu se confiner à la campagne !

Moi : - Tu sais bien qu’il a fallu rester ici pour le travail. Et puis dis-toi bien que si nous étions parties, je bénéficierais certes d’un jardin à l’heure qu’il est, mais tu serais enfermée dans le garage de mes parents. Et il n’est pas certain que je viendrais comme ça de temps en temps te parler pour se tenir compagnie mutuellement.

Elle : - C’est dur de trouver à qui causer, surtout en ce moment. J’ai pourtant fait de nombreuses tentatives avec les oiseaux. Ça n’a jamais rien donné. Sont cons, les oiseaux.

Moi : - C’est pas toi qui remplaçeras Saint François d’Assise, ça c’est sûr !

Elle : - Ils ont quelque chose contre nous, les oiseaux ?

Moi : - Pas particulièrement, sauf dans les films d’Hitchcock… Regarde un peu le volume de leur boîte crânienne, il n’y a pas de quoi y loger beaucoup d’électronique.

Elle : - En effet. C’est bien ce que je disais. Ils sont cons, les oiseaux.

Moi : - C’est un peu leur réputation, oui. Mais au fait, tu sais ce que c’est qu’un oiseau ?

Elle : - Bah ouais, j’en vois tout le temps. Et puis ils me font dessus, à l’occasion. Ça crée des liens, ce genre de truc. Pourquoi ?

Moi : - Eh bien, l’autre jour, tu ne savais pas ce qu’était un veau.

Elle : - Ah pardon. Je suis une petite citadine. Je connais donc la faune et la flore citadines.

Moi : - OK.

Elle : - Et puis un veau ne m’a jamais chié dessus.

Moi : - D’ici à ce que ça arrive, il faudra qu’il y ait eu une autre catastrophe – et une catastrophe d’un genre nouveau, je crois. Mais dis-moi, la petite gretchen d’à côté, elle ne te cause pas ?

Elle : - Qui ça ? Ma voisine écarlate ? Si, elle cause. Elle ne fait que ça. Elle parle même en dormant.

Moi : - Et ?

Elle : - Ben j’y comprends rien.

Moi : - C’est parce qu’elle doit parler en allemand. Elle parle la langue du pays où elle a été construite.

Elle : - Toi qui es prof, tu parles allemand ?

Moi : - Non. ″L’allemand est la langue dans laquelle je me tais de préférence.″*

Elle : - Me v’là fraîche avec ça !

Moi : - Tu peux te mettre à l’apprendre cela dit. C’est une langue très poétique, paraît-il.

Elle : - Une poésie en pétard, alors…

Moi : - Je vais te télécharger quelques podcasts bien choisis sur une clef USB, et mettre ça sur l’autoradio. Ça te changera du comptage d’herbes. Et tu auras la joie de pouvoir regarder l’"Inspecteur Derrick" en version originale, si un jour je te laisse regarder la télé. Mais maintenant que tu parles, tout est possible…

Elle : - C’est quoi, l'"Inspecteur Derrick" ?

Moi : - L’"Inspecteur Derrick", c’est, heu, l’une des plus grosses énigmes de l’histoire de l’Allemagne contemporaine – c’est, comment dire, tout un monde de lenteur, d’hésitation, d’attente, de doute, de réflexion parfois à vide, doucement neurasthénique…

Elle : - Attends, c’est exactement ce qu’on vit depuis une semaine. Chais pas si c’est ça qui va me motiver pour apprendre l’allemand.

Moi : - Pense à ta voisine. Tu ne veux pas qu’elle soit ta copine ?

Elle : - Mmm.

Moi : - Bon, en tout cas, demain, il va y avoir de l’action. Je vais au supermarché.

Elle : - Ah, très bien. Je te souhaite bon courage.

Moi : - Je t’emmène avec moi.

Elle : - Nan, je peux pas.

Moi : - Pourquoi donc ? Tu n’as que ça à faire !

Elle : - Nan, je peux pas, j’ai cours d’allemand. »

* Jules Renard

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