Brunhild et Virginie

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Les cinq amis rentrèrent au palais de l'Europe, soucieux et agités. Ils avaient beau savoir que les colosses seraient partis et qu'ils ne risquaient normalement plus rien, ils ne pouvaient s'empêcher de regarder partout autour d'eux. A les voir, on avait l'impression qu'ils s'attendaient à apercevoir un éléphant fou furieux échappé d'un zoo. Et Pierre, malgré les conseils de Mazarine, ne lâchait pas ses amis d'une semelle.

Quand ils arrivèrent, c'était déjà la fin de la première entracte. Evidemment, le concert ne les avaient pas attendus. Par chance, personne n'avait eu à jouer durant la première partie. Ils allèrent à un buffet, où Paul et Virginie insistèrent pour offrir le goûter. Ils raflèrent de justesse un grand gâteau au chocolat, une bouteille de jus de fruit, des serviettes et de la vaisselle en plastique. Puis tout le monde alla s'asseoir à l'une des nombreuses tables qui étaient dans le petit théâtre, actuellement vide puisque tout le monde était parti dans la grande salle de spectacle. Tant pis pour la deuxième partie qui commençait sans eux. Les amis avaient vraiment besoin de reprendre des forces au calme et de faire le point sur ce qu'il faudrait faire !

Pendant deux minutes, on n'entendit plus rien. Après avoir mangé une part de gâteau, Mazarine reprit des couleurs, Paul et Virginie recommencèrent à sourire et à plaisanter, Solveig se détendit et Pierre cessa enfin de trembler.

- Donc, commença celui-ci, si j'ai bien compris, le clochard, qui a participé à toutes les visites de Mazarine chez la vieille, sait qu'un danger nous guette, et la méchante, d'après lui, c'est la vieille ?

- Euh, oui, dans l'ensemble, t'as compris, répondit la violoniste. Au passage, Hild sera là dans environ une heure. Surtout, il ne faut pas lui parler des colosses, elle pourrait s'inquiéter si elle n'est pas derrière tout ça, et si c'est elle qui commande toute l'affaire, on sera dans de beaux draps.

- C'est vrai, c'est plus sûr, approuva Solveig. Maintenant, on fait quoi ? On retourne au concert ? Je crois que personne n'a envie de retourner dans les salles d'exposition !

- Non, frissonna Pierre. Surtout si c'est pour refaire évader un clochard. Désolé de t'avoir abandonné, Mazarine, mais... Sur le coup, j'crois que j'en pouvais plus...

- Ouais, gloussa Paul. Je ne serais pas étonné qu'on t'ait entendu jusque dans la salle de spectacle !

- De toutes façons, trancha Solveig, le but n'était pas de garder éternellement les vigiles, mais de les retenir suffisamment longtemps pour que tout le monde puisse sortir. Et je trouve que vous vous êtes très bien débrouillés.

- Quant à moi, répondit Mazarine, j'espère ne plus croiser ces bonhommes.

- Moi non plus, dit Pierre. Enfin, tu parles de qui ?

- Du gardien, du policier et des deux colosses. Et toi ?

- Ah, bon, moi aussi.

- On est désolés d'être repassés par là, expliqua Paul, mais on pensait que vous étiez déjà parti. On vous a entendu, donc on allait faire demi-tour sauf qu'on a cru, au premier cri de Pierre, qu'on était repéré, donc on y est allés en courant en plein milieu, et c'est là que vous nous aviez vu.

Le petit groupe se décida enfin à retourner assister au concert. Ils regagnèrent leur cachette, d'où ils pouvaient discuter sans gêner personne. Puis à la deuxième entracte, Virginie, impatiente de découvrir Mlle Wotan, sortit presque en courant de leur balcon privé. Elle fut talonnée par une Mazarine morte de honte à l'idée que son amie se présente comme une sauvage.

Après avoir rattrapé la danseuse et refroidi les ardeurs, ils décidèrent qu'il valait mieux laisser à Mazarine le soin de faire les présentation. Puis Paul sortit de sa poche son téléphone qui sonnait. Il décrocha, et parla dedans. Lorsqu'il eut fini, il déclara :

- C'est papa et maman. Ils veulent que je rentre en vitesse à la maison. Ils ont aussi dit, Vivie, que si tu voulais, tu pouvais rentrer à la fin du concert, en bus, avec Mazarine. Ça te dit, que je puisse les prévenir ?

- D'accord, répondit sa petite soeur.

- Vous me raconterez tous sur Brunhild, ça marche ? Alors, à plus tard, et je compte sur toi, Virginie, pour montrer que tu as été bien élevée !

Le grand-frère les quitta. Puis Solveig, Mazarine, Pierre et Virginie commencèrent à chercher Brunhild Wotan. Ce n'était pas une mince affaire, car l'entracte avait libéré une foule de spectateurs. Ceux-ci couraient, s'interpellaient et hurlaient comme s'ils voulaient que le palais de l'Europe au grand complet les entende.

Après s'être faite rentrer dedans par une demi douzaine de personnes et avoir écrasé autant de pieds, Mazarine crut apercevoir la silhouette de Brunhild. Alors qu'elle se précipitait afin de la saluer, elle la perdit aussitôt de vue à cause d'un petit groupe de gamins turbulents qui manquèrent la faire tomber par terre.

Environ cinq minutes après, elle fut rejointe par Pierre, Solveig et Virginie, surexcités. Ils étaient persuadés d'avoir trouvé la vieille dame. Quand ils arrivèrent à l'endroit où ils avaient vu Mlle Wotan, celle-ci s'était volatilisée. Mazarine ordonna donc à ses amis d'attendre dans un coin qu'elle revienne avec Brunhild Wotan, et de faire semblant que cette rencontre était due au hasard.

Cette fois-ci, la violoniste eut plus de chance et trouva beaucoup plus vite la vieille dame. Elle était en train de dévorer des yeux une gigantesque photo en noir et blanc. La jeune fille se dépêcha de l'aborder, puis, prétextant de magnifiques photos à l'endroit où se situaient ses amis, mit à peine quelques secondes à inciter Hild de la suivre.

- Tiens ? s'étonna Mazarine en voyant ses amis. Quelle bonne surprise, Vivie, Solveig et Pierre ! Que faites-vous là ?

- Mazarine, salut ! s'exclama Virginie en faisant son plus beau sourire à Brunhild Wotan. Je suis si contente de te voir ! Avec qui es-tu ?

- Bonjour, les jeunes ! s'exclama Hild en voyant le petit groupe. Et si tu faisais les présentations, Mazarine ?

Lesdites présentations faites, Virginie tendit l'oreille. Elle sembla entendre quelque chose, puis signala :

- Tiens, je crois que le spectacle reprend... Vous deviez pas jouer à la troisième partie ? Il me semble que vous m'aviez dit...

- Bon sang ! s'étrangla Pierre. C'est vrai ! Flûte de zut, on va être en retard ! Mlle Wotan, à plus tard, et Solveig et Zaza, bougez-vous, on va se faire démonter !

Le nerveux jeune homme détala à toute vitesse, sans laisser à ses amis le temps de dire quoi que ce soit. Solveig et Mazarine se regardèrent, haussèrent les épaules et se précipitèrent à sa suite. Virginie les regarda partir, puis échangea un sourire gêné avec la vieille dame. Enfin, elle inspira et déclara :

- Mlle Wotan, et si nous allions nous asseoir ? J'ai repéré un coin sympa, là-bas...

- Oui, avec plaisir !

La danseuse blonde fronça les sourcils, frappée d'une idée. Extravertie, sociale et toujours de bonne humeur, elle s'entendait et se sentait à l'aise avec tout le monde, qu'elle ait en face d'elle un adulte, un adolescent ou un bambin.

Or, Brunhild la rendait nerveuse. Et, chose inhabituelle, elle sentait des sueurs froides couler dans son dos. Cela ne lui présageait rien de bon...

Environ une heure plus tard, Virginie et Mazarine montèrent dans le bus. Cette dernière était quelque peu encombrée par la housse de son violon. Elles se laissèrent tomber sur les premières doubles places libres, surexcitées.

- T'as super bien joué, Zaza ! En plus, tu es au premier pupitre !

- Oui... Mais c'est le premier pupitre des seconds violons, et ce groupe ne s'occupe que de l'accompagnement. C'est un peu ennuyeux...

- Oui, je veux bien croire... Par contre, quand vous avez chanté, je ne vous ai pas vu du tout, toi, Solveig et Pierre...

- Ah, ça ! On déteste chanter ! Mais dans le conservatoire, pour apprendre à jouer d'un instrument, on est forcés de faire du solfège. C'est obligatoire. Le solfège lui-même n'est pas trop contraignant, mais surtout à mourir d'ennui. Et aussi, c'est agaçant que les profs de solfège trouvent que ce cours passe avant les instrument ! Moi, si je fais du solfège, c'est uniquement pour le violon. Mais le pire, c'est qu'on est obligés de chanter. Ah, je déteste chanter ! Si je voulais jouer à la cantatrice, je me serais inscrite à la chorale, bon sang ! Ils se prennent pour qui, pour nous obliger à chanter ?

- Et alors ?

- Alors, Solveig et moi avons hésité à s'échapper hors des loges, ou à se cacher dans les toilettes, pour qu'on parte sans nous sur scène. Mais Pierre avait trop peur. Il n'avait pas le cran de fausser compagnie à la chirale. Et bien sûr, on voulait pas l'abandonner. Du coup, on s'est cachés derrière les autres chanteurs. Mais on a quand même fait attention que la pianiste ne nous voie pas... Et sinon, avec Hild ?

- Elle ne me plaît pas du tout ! déclara Virginie avec fougue. Comme ça, elle se donne dans la vieille mamie gâteau, mais malgré ses lunettes de soleil qu'elle ne quitte décidément pas, ses yeux brillaient... La vache, ça faisait peur ! J'ai même essayé le plus délicatement possible de la faire parler d'elle, mais toutes mes tentatives se sont révélées infructueuses. Bien sûr, elle ne réagissait pas brusquement, mais elle faisait exactement comme moi : lorsque je faisais dévier le sujet de conversation vers elle, elle me faisait parler de moi ! Et je n'arrivais même plus à changer de conversation, j'étais obligée de tout lui dire ! Tout ce que j'ai réussi à apprendre, c'était que ta vieille bique n'aimait pas les animaux !

- Je comprends parfaitement. Moi aussi, j'ai ça, quand je vais prendre le thé chez Hild... D'ailleurs, je ne l'ai pas vue, à la sortie... Elle était où ?

- Bonne question. Quand on est sortie, elle m'a dit qu'elle voulait aller aux toilettes. Elle s'est enfermée, j'ai attendu une minute, deux minutes, cinq minutes et j'ai toqué, mais pas de réponse. A un moment, une dame est arrivée et m'a demandé ce que je fichais devant des cabinets. J'ai répondu que j'attendais quelqu'un, et elle a ouvert la porte : non seulement elle n'était pas verrouillée, mais en plus elle était vide !

- Tu es sûre ? C'est incroyable !

- Je t'assure que je ne me suis pas endormie ! Je me demande comment Brunhild Wotan a réussi à se volatiliser.

- Hum...

Suite à cette nouvelle question, les deux amies restèrent silencieuses. Puis la danseuse interrogea son amie :

- Tu penses à quoi ?

- Aux vacances qui commencent lundi, à ton frère... Je me demande ce que tes parents lui voulaient...

- En fait, des amis ont invité papa et maman à passer les vacances de la Toussaint chez eux, pour fêter leur anniversaire de mariage. Ça va faire leur dix-neuf ans de mariage... Et comme on ne s'entend pas du tout avec leurs enfants, on a décidé qu'on resterait ici, seuls pendant les vacances.

- Cool ! Vos parents ont confiance en vous ! Et pourquoi Paul a dû rentrer plus tôt que prévu ?

- En fait, les parents partent à sept heures, et ils ont décidé de rappeler à Paul où se trouvait les objets, comment gérer le chauffage, etc. Ils vont aussi lui rappeler les consignes, comme les appeler tous les deux jours, ne pas hésiter à avertir les voisins s'il y a un problème... Bon, évidemment, là, on parle des voisins du trois, pas Mlle Wotan... Et toi, tu fais quoi, pendant les vacances ?

- Rien de spécial. On va rester tranquille à la maison. J'espère qu'on pourra se voir.

- Bien sûr ! En attendant, on se donnera rendez-vous avec nos téléphones ?

- Oui, ça marche. Dis, on serait pas en train d'arriver à ta station ?

- En effet. J'te quitte ! A la prochaine !

- Au revoir !

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