Fouilles Catastrophiques

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  - Il faudrait qu'on soit plus nombreux, déclara Virginie après une longue méditation.

  - Pourquoi ? demanda Mazarine; tournant la tête si vite vers son amie, qu'elle faillit se faire un torticolis.

  - Imagine qu'un jour, Brunhild Wotan sorte de chez elle. Là, il faudra qu'on fasse trois équipes : une pour la suivre, au cas où, pour savoir où elle va. Une autre équipe doit rester à la maison pour faire le guet et pour gérer les affaires quotidiennes, comme les repas, le courrier, et tout le reste. Et un dernier groupe doit aller chez elle pour vérifier si personne n'est enfermé.

  - Dis les choses franchement, tu veux fouiller sa maison, reprocha la violoniste.

  - Allez, on n'a pas troué le grillage pour rien, quand même ! On n'a pas pris tous ces risques pour rien ! Et de toutes façons, le vin est tiré, alors on va le boire !

  - Hélas, soupira Mazarine.

  - Et, pour la filature, il vaudrait mieux être plusieurs, non ?

  - Pas du tout, on a plus de chances de se faire repérer !

  - On a des talkies walkies. Comme ça, ceux qui la suivront pourront se l'échanger tout le long du parcours.

  - Elle va nous reconnaître, objecta la violoniste.

  - Non. Tu te souviens, Paul, on a le coffre à déguisement de papa, avec les perruques, les fausses barbes, le maquillage...

  - Mais qu'est-ce que votre père fabrique avec ça dans son grenier ?

  - Avant, il était comédien, expliqua Virginie.

  - C'est vrai qu'avec ça, rit son grand frère, on ne risque pas de nous reconnaître. Et puis, je peux très bien me charger des filatures : Mlle Wotan ne m'a jamais vu ! Et si on va chez elle, il faudrait qu'on soit plusieurs, pour inspecter le plus d'endroit possible le plus rapidement.

  - Exactement, approuva sa petite soeur.

  - N'empêche, proposa pensivement Mazarine, je me demande s'il vaut mieux qu'on fouille lorsqu'elle est là et qu'elle m'invite, plutôt que lorsqu'elle n'est pas là...

  - On pourra faire les deux, répondit négligemment la danseuse, résolument optimiste. Maintenant, on doit répondre à une question importante.

  - Laquelle ? s'inquiéta son frère.

  - On demande à qui de se joindre à nous ?

  - Solveig et Pierre, répondit immédiatement Mazarine. Ils sont déjà au courant de l'affaire, et on peut leur faire confiance. Surtout que ce n'est pas le type de personne qui ira rapporter que vos parents ne sont pas là, où des trucs du genre.

  A deux heures de l'après-midi, Pierre était là et mis au courant. Solveig n'avait pas pu venir, car elle s'était absentée pour voir de la famille. Par chance, Brunhild ne tarda pas à montrer qu'elle allait sortir : en effet, elle remplit son sac de fourrure magnifique, puis mit son manteau.

  - Ecoutez, déclara Paul, voici ce qu'on va faire. Virginie, tu restes là, tu t'occupes des visites, tu fais le guet, et tu t'occupes des appels des parents, ça marche ? On compte sur toi ?

  - Oui capitaine !

  - Mazarine, tu connais un peu Le Gîte de Mûshika, tu cherches avec Pierre, ok ?

  - On cherche quoi ? demanda le jeune homme.

  - Des trucs louches, tu verras là-bas. Quant à moi, je file Mlle Wotan. Elle m'a jamais vu, donc ça vaut mieux.

  - Elle va où, à votre avis ? demanda avidement Virginie.

  - Si on le savait, on n'en serait pas là, marmonna son grand-frère. Maintenant, les talkies : il y en a quatre. Chaque groupe en prend un.

  - Pourquoi pas un chacun ? interrogea Pierre.

  - Si jamais vous en perdez un chez Mlle Wotan, vous ne vous en rendriez pas forcément compte et on serait dans de beaux draps, si elle le retrouve. Alors que si vous en perdiez un, vous le sauriez tout de suite. On s'appelle tous les quarts d'heure par mesure de précaution et pour faire le point, ça marche ?

Tout le monde acquiesça. Paul se coiffa alors d'un chapeau, se mit une moustache et se campa dans la rue, où il commença à consulter son téléphone. Mais ses amis savaient très bien qu'il ne quittait pas du regard le portail rouillé du Gîte de Mûshika. Enfin, quand Hild sortit et fut suffisamment loin, le jeune homme prévint avec son talkie walkie le reste de la bande.

  Mazarine et Pierre en profitèrent pour se diriger silencieusement jusqu'au grillage, où ils se glissèrent à travers le trou. Dans le jardin, alors que la jeune fille allait se relever, Pierre lui attrapa brusquement le bras pour l'obliger à rester baissée.

  - Qu'est-ce qui te prends, Pierre ? Laisse-moi me relever !

  - Imagine qu'il y ait des caméras de vidéosurveillance !

  - Mais tu racontes n'importe quoi, Pierre ! Tu dérailles ? Hild n'est pas du tout le genre de personne à truffer sa maison de micro ! Il n'y a rien à lui voler, et elle le sait très bien ! Chez elle, il n'y a que des vases à deux euros ! Sans compter que si elle craignait vraiment les voleurs, la première chose qu'elle ferait, c'est réparer son portail !

  Pierre n'était pas convaincu, mais il accepta de se calmer.

  - Dis, on remettra chaque chose qu'on a prise à sa place, hein ?

  - Tu sais, je n'avais pas l'intention de laisser sa maison saccagée.

  Ils poussèrent la porte qui s'ouvrit en grinçant de tous ses gonds. Dans le salon, qui était toujours encombré de meubles et de vases de fleurs, Mazarine mena Pierre à l'endroit où elle avait repéré la casquette d'Achille. Elle voulait la lui montrer. Sauf que...

  - Bon sang ! Elle l'a changée d'endroit, je ne la vois plus !

  - Tu crois qu'elle...

  Bip !  

  Le talkie walkie se mit à hurler. Pierre, terrorisé, poussa un glapissement et tomba à la renverse. Il rentra dans un guéridon, qui s'écroula à son tour en déversant tout ce qu'il portait. Il n'y avait qu'un seul vase dessus, mais il se brisa en touchant le sol. Son contenu, eau et fleurs, dégringolèrent sur le jeune homme. Ce dernier était toujours par terre, affalé sur les restes de la petite table.

  La violoniste se saisit du talkie walkie, en rugissant dedans :

  - Eh, oh, ça va pas ! On a cru qu'on allait faire une crise cardiaque !

  - Zaza, Pierre, cachez-vous ! La vieille revient !

  - Quoi ! Vous vous fichez de moi, c'est pas possible, elle vient juste de partir !

  Mais, « bip », son interlocuteur raccrocha. Elle n'eut pas le temps d'identifier s'il s'agissait de Paul ou de sa soeur. Mais dans la situation, c'était sans importance. Elle hurla plutôt :

  - Alerte, alerte ! Hild est de retour !

  - Pas possible ! s'étrangla Pierre, dégoulinant de fleurs et d'eau. Elle est partie il y a à peine cinq minutes. Aïe, saletés de roses, elles me piquent ! Mais qui a eu la bonne idée de faire en sorte qu'elles aient des épines ?

  - Chut, Hild va arriver d'un instant à l'autre ! Vite, cachons nous !

  La jeune fille attrapa l'adolescent par le bras, pendant que le malheureux tentait de retirer ses ornementations involontaires. Elle l'entraîna derrière une porte qui était déjà ouverte, puis se cacha derrière avec lui. Hild ne penserait jamais à regarder là.

  Justement, elle arriva. Elle haletait :

  - Que c'est bête, d'oublier son foulard alors que le temps commence à se rafraîchir... Il était temps, d'ailleurs, après un tel été qui... Ho ! Quel est ce bazar !

  Mazarine sentit son ami se raidir à côté d'elle.

  - Saletés de rats ! Je vais vous régler votre compte, quand je reviendrai ! Vous avez de la chance que je sois pressée !

  Elle repartit comme un coup de vent, pendant que la violoniste fronçait les sourcils, intriguée. Encore une remarque à propos de rats. De quoi parlait sa vieille amie ?

  Quelques minutes plus tard, la jeune fille brune reprit son talkie walkie. Elle chuchota :

  - Hild est partie ?

  - Oui, pas de risque, répondit Paul. Dites, on a eu chaud ! Là, elle prend la direction du collège...

  - Il était moins une ! s'écria Virginie. Paul, heureusement que tu as vu qu'elle faisait demi-tour et que je l'ai aperçue rentrer chez elle ! On a cru qu'elle allait vous surprendre !

  - Elle était venue faire quoi ?

  - Elle avait oublié son foulard ! articula Pierre.

  - Ah, la petite peste ! explosa Virginie. Elle nous a fait une de ces peurs !

  - Je vais vous laisser, marmonna Paul. Les passants commencent à me regarder de travers. A plus !

  - Nous aussi, on vous laisse, répondit Mazarine. On a une maison à fouiller !

  Elle coupa la communication. Son acolyte, le souffle coupé, s'affala sur le canapé. Mais la jeune fille le houspilla pour qu'il se relève et l'aide à fouiller. Elle argumentait qu'ainsi, ils finiraient plus vite. Son compagnon s'activa alors, pressé. Ils vérifièrent le salon. La violoniste avait beau l'avoir souvent vu, ils jugeaient bon de ne rien laisser passer. Ils travaillaient depuis une bonne dizaine de minutes quand une voix minuscule, semblant venir de terre, psalmodia :

  « Nous sommes prisonniers. Pas un seul n'a de liberté. Bientôt nous devons mourir. D'ici de cet enfer jamais sortir. »

  - Pierre, tu as entendu ? s'exclama la violoniste.

- Oui. Mais je croyais qu'on était seuls !

- Il faut savoir qui a parlé.

  Ils se mirent à chercher d'où venait la voix. Mazarine s'écria tout à coup :

  - Eh, mais il y a un rat !

  - Un rat !

  Pierre sauta prestement sur le canapé, d'où il ne voulut plus descendre. A la place, il hurla d'une voix suraiguë :

  - J'ai peur des rats ! C'est sale, ça pullule et ça grouille de maladies ! Par exemple, ils ont apporté des épidémies de peste d'Asie, ce qui a fait...

  - Monsieur, s'il vous plaît, aidez-nous ! supplia, larmoyant, le petit rongeur au beau pelage lustré. Avez-vous entendu ce que je viens de dire ? Bientôt, moi et les miens allons mourir !

- Mais c'est qu'il parle, en plus ! s'effraya l'adolescent.

- Mais oui, je suis un rat parlant !

- Mais qu'est-ce que c'est que ça ! Il ne manquait plus que ça !

  - Pierre, calme-toi ! lui ordonna Mazarine. Quel est votre nom ? interrogea-t-elle plutôt en se penchant vers l'animal, masquant son dégoût et sa répulsion envers le rat.

  - Un nom, mademoiselle ? s'écria le rongeur en se mettant à pleurer de minuscules larmes. Depuis quand un être humain donne un nom à une chose comme moi ?

  - Si vous n'êtes pas content, s'exclama Pierre, allez vous-en ! Ce n'est pas moi qui aurais réclamé votre nom ! Alors arrêtez de pleurnicher, et ayez un minimum de sang-froid ! Prenez un peu sur vous, ou on ne risque pas de s'en sortir !

  - Mais, monsieur, fit le rat, c'est juste qu'on ne m'a jamais témoigné de respect, à moi et aux miens. Les seuls à s'inquiéter de mon nom, ce sont les autres rats...

  - Au secours ! s'égosilla Pierre. A l'aide, à moi ! Il y a d'autres rats, ici ! Jamais plus je ne vais mettre les pieds dans ce... ce lieu de perdition, je...

  - S'il vous plaît, gémit le rat, pourriez-vous ranger vite le vase renversé par terre ? Sinon, la maîtresse de ces lieux va penser que c'est nous, et nous le faire payer...

  - Mais, s'étonna la jeune fille brune, qui n'avait pas réussi à en placer une de toute la conversation, Hild est gentille...

  - Gentille ? C'est un monstre, une horreur, un démon à figure de femme, remontée de ces trous infâmes où grouillent mille et un monstres, pour le plus grand malheur des hommes.

  Interdite, la jeune fille suivit les indications du rat qui refusait de dévoiler son nom. Elle trouva ainsi une petite balayette. Elle s'en servit pour recueillir les restes du vase. Puis, toujours sur les conseils de l'animal, elle dénicha une carafe semblable à celle cassée. Elle le remplit des fleurs que Pierre avait fait tomber, et d'eau. Celui-ci ne voulait pas l'aider, sous prétexte qu'il ne pouvait pas mettre un pied par terre à cause du rat. Enfin, lorsqu'elle eut remis le vase sur le guéridon au préalable redressé, le talkie walkie se remit à sonner dans un bruit cauchemardesque.

Mazarine tira l'objet de sa poche et décrocha.

  - C'est qui ? demanda Pierre.

  La violoniste, en posant un doigt sur ses lèvres, lui intima de se taire. Il obéit, et elle put écouter à son aise le message qui venait de Virginie.

  - Mazarine, pars ! Brunhild Wotan va revenir d'une minute à l'autre !

  - Ok, on y va !

  Elle raccrocha, et eut à peine le temps d'exposer la situation à Pierre et au rat, que des bruits de pas se firent entendre.

  - Partez ! siffla le rongeur. Vos vies sont en danger !

  - On peut pas, paniqua la jeune fille, on sort par là ! C'est la seule porte de sortie, et Mlle Wotan va sûrement arriver par là !

- J'ai peut-être une solution, médita l'animal.

  Il siffla, et d'autres rats apparurent. En quelques couinements, il leur exposa la situation. Il conclut, pour Mazarine et Pierre :

  - La maîtresse de ces lieux va sûrement vouloir s'entretenir avec moi. Mes camarades vont s'occuper de vous. Vous allez aller dans une salle, où vous attendrez que le champ soit libre pour sortir. Moi, j'y vais !

  Il alla à la porte d'entrée, tandis que ses congénères entraînaient les deux adolescents à l'étage. Là, ils les poussèrent dans une pièce illuminée par une fenêtre, avec pour tout immobilier des planches entassées par terre. La porte se referma d'elle-même tandis que les rats les rassuraient.

  - N'ayez pas peur, on vous fera signe quand vous pourrez sortir.

  Une fois les rongeurs partis, Mazarine, soulagée, sourit à Pierre. Celui-ci n'était cependant pas rassuré et insista pour fermer la porte avec la clef qui était dans la serrure. Et il fit bien.

  Tout à coup, il y eut un succession de bruits sourds. Des cris, des frottements, comme si une armée de souris s'acharnait contre la porte, retentissaient contre le battant. Il s'agissait sans doute des rats. Ils semblaient crier quelque chose, mais ce n'était pas clair. Cependant, leur ton ne trompait personne : il y avait une très mauvaise nouvelle.

Puis, venant se rajouter au vacarme, des coups, comme si quelqu'un s'attaquait à la porte à l'aide d'une chaise, se firent entendre. C'était sûrement Brunhild Wotan, qui s'acharnait ainsi.

  - Ah, fichus rats ! Sales traîtres ! Ils lui ont tout rapporté ! ragea Mazarine.

  - Il faut sortir de là ! s'inquiéta Pierre. La porte ne va pas tenir indéfiniment !

  - La fenêtre !

  - On va se tuer !

  - C'est la seule solution, Pierre, mais j'ai un plan. Tu as vu l'arbre en face de la fenêtre ? Il a une très grosse branche. On va prendre une de ces planches là-bas et la poser entre le rebord de la fenêtre et cette branche.

  - C'est bien ce que je dis : on va se tuer.

  - On n'a rien à perdre, alors aide-moi !

  Les deux amis prirent la planche la plus grosse et la plus longue qu'ils trouvèrent. Ils la posèrent en équilibre à l'endroit dit, puis Pierre se hasarda dessus.

  - Miracle, ça tient !

  - Oui, mais dépêche, Pierre, la porte ne va pas tenir longtemps. Attrape le talkie, ce sera plus facile pour moi !

  Le garçon grimpa sur une branche, tendit les mains puis saisit l'objet lancé par son amie.

  Soudain, dans un fracas de fin de monde, la porte s'écroula par terre. La vieille dame, semblable à une furie, surgit dans la pièce comme dans un cauchemar. Saisie d'un haut le coeur, la jeune fille posa un pied hésitant sur la planche, mais c'était trop tard. Brunhild Wotan était là.

Elle allait attrapait la violoniste, quand elle poussa un cri et se débattit : Pierre avait lancé sur elle le talkie walkie.

  Brunhild perdit de précieuses secondes à s'en débarrasser. Lorsqu'elle le jeta par terre, Mazarine était déjà de l'autre côté de la planche avec Pierre. Ils se laissèrent lestement glisser jusqu'à terre, avant de courir au trou et de se glisser de l'autre côté du grillage. Ils laissèrent derrière eux la belliqueuse dame âgée, qui semblait enragée.

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