Réveil difficile

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- Alors Kaela, que voudrais-tu connaître qui pourrait assez te fatiguer pour m’accorder ce repos bien mérité ?

- Euh… Le monde, l’univers. Je veux tout savoir !

- Oh, quel enthousiasme ! Et bien peut-être pas tout mais quelques bribes si tu me promets de dormir tout de suite après.

- Oui promis…

La petite fille fit un petit sourire espiègle lui gonflant les pommettes, auquel il ne put résister bien qu’il sache que son trésor de tendresse comme il aimait la surnommer, était déjà une menteuse experte.

- Le Soleil est l’Oeil primordial, lequel se divise en tous petits yeux ici et là, les nuages sont ses pensées, les météores, ses messagères, elles ont apportées en des temps plus anciens ce que les gens du coin appellent des «Opales» mais toi et moi savons qu’elles sont plus que ça Kaela, rappelle-toi de ce que t’a faite la pierre du cabanon, c’était un épisode de transe.

Il y en a deux types, celles venues de la terre et les autres venues du ciel. Elles se ressemblent en tout point mais les opales célestes sont creuses car elles sont les dons de Matawa, l’araignée-mère aussi appelée «Mill’Oeil».

Une expression de dégoût se dessinait sur le visage de la jouvencelle.

- Les étoiles brillent quand elle ouvre les yeux, vois-tu. Elle se sert de chacun d’entre eux pour exercer son jugement au travers du temps et de l’espace, c’est un grand pouvoir qu’elle met à profit pour gouverner le monde, en toute bienveillance.

- Je ne peux pas croire qu’une araignée puisse nous vouloir du bien, tu te moques de moi grand-père.

- Et pourquoi-donc ?

- C’est moche et ça pique.

Au son de l’hérésie verbale, ses poils se hérissèrent, le vieil homme n’avait de cesse de le répéter, une araignée mord, elle ne pique pas, elle mord…

- Ce qui est puissant fait peur, ce qui fait peur est souvent laid, tu ne trouves pas ?

- Mouais, tu es fort comme un bœuf et très bel homme pourtant, plus que papa dit-elle en chuchots en cherchant le regard complice du vénérable conteur.

- Flatteries ! Tu es une mignonne petite menteuse, avec un petit nez et des petits yeux comme l’horrible araignée-mère. Guiliguiliguili Aaahhh. Allez hop, au dodo !

Il lui baisa le front puis éteignit la veilleuse.

-------

Tout ce qui est ici, est maître de l’espace et du temps, prédateurs incontestés n’ayant pas ou que très peu évolué ces derniers millions d’années. Ils sont bien les seuls à pouvoir incarner cet étrange sentiment d’asphyxie merveilleuse que ressentait Kaela en cet endroit.

Cela faisait probablement plusieurs heures, que son corps épousait nonchalamment le lit de l’affluent. Pourtant, ils restèrent immobiles, dorés au soleils, tandis qu’elle brûlait.

L’Oeil était à son zénith et le cadavre puait, le processus de putréfaction avait déjà commencé.

Plus que la frugalité des sauriens, c’est l’odeur qui l’étonnait davantage. Comment une telle pestilence ne put l’avoir réveillé plus tôt ? La boisson de la veille n’était pas seulement alcoolisée, elle en avait la conviction, mais pourquoi ?

La flamboyance lumineuse l’éblouit un instant, le réflexe de tourner la tête pour s’en protéger fût bien malchanceux, son poursuivant de la veille la regardait de ses orbites excavées dont l’une emplie de l’opale du cristallographe. L’absence de sang dans le corps donnait l’impression d’une mort déjà lointaine et pourtant…

Pleinement réveillée, c’est lorsqu’elle se leva, qu’elle eu son second sursaut. L’un des reptiles allongé sur les monolithes ocre, rejoignit l’eau nerveusement.

Craignant une attaque surprise en se rapprochant de la rive, Kaela préféra déguerpir non sans récupérer l’opale dont l’amateurisme de l’emboîtement laissait présager une volonté réelle de voir la pierre collectée. Son sentiment était celui d’une proie cernée de prédateurs aussi divers qu’insaisissables, épiée, étouffée, perdue dans l’hostile immensité du Pilbara qui fût sa maison, il y a maintenant bien trop longtemps. Il faut que je prévienne les autorités, je suis venu pour grand-père, j’ai l’Opale, inutile de m’encombrer d’un tel fardeau, si quelqu’un me veut du mal, il me faudra de l’aide.

L’aventurière remontait le chemin broussailleux, assez prudemment pour ne pas se faire surprendre puis regagnait le cabanon recouvert de tôles de son grand-père, lequel fût autrefois en briques, une digne maisonnette de l’Outback qui pour une raison ignorée, perdit sa toiture. En partant pour Tokyo avec sa mère, il y a désormais vingt ans, elle avait abandonné cette vie, ce pays et une partie de son âme tant cet homme bedonnant aux cheveux poivre et sel avait compté pour elle.

Maudit caillou, si tu ne m’apprend rien je te jette aux crocodiles.

Parmi les nombreuses piles de prospectus et autres affaires empilées selon un ordre cryptique connu par le seul maître des lieux, se trouvait le cristallographe dans un état relativement correct au regard des meubles qui n’avaient pas eu cette chance.

(switch inexpliqué passé-présent, sincères excuses...)

L’aventurière, à présent calmée, inspecte la pierre. L’éclat est d’un bleu-gris terne, pas plus grande qu’une perle, croûte épaisse je suppose, un souvenir de quelques secondes. Que voulais-tu me dire grand-père ?.

Expérimentée, Kaela sait plutôt bien se servir d’un cristallographe, enfin, savait…

Au travers de l’oeil de la machine, la jeune femme distingue péniblement un couloir poussiéreux à deux embranchements, un regard, celui au travers duquel elle voit, se pose sur des mains enchaînées et une bouteille plastique tout près. Les extrémités poilues et veinées pourraient être reconnaissables d’entre mille, c’est son grand-père, il soupire et la paume se tourne, ensanglantée.

- Non, putain, encore ! Non, non putain de merde !!!

D’un accès de violence peu commune, Kaela balaie les prospectus adjacents.

- Grand-père n’est pas mort mais comment cette opale est arrivée ici ? Quelqu’un veut jouer avec moi, très bien…

Elle quitte la pièce d’un air déterminé, d’un regard violent et entreprend le chemin vers Townee.

- Excusez-moi, oui bonjour, je cherche un ranger s'il vous plaît.

Le bâtiment à l’image de la ville, était fonctionnel mais vieillot, ventilateur en fin de vie, plancher grinçant, des stores manuels, bureaux remplis de paperasse et de poussières s’infiltrant au travers de fenêtres mal fermées.

- Bonjour mademoiselle, vous êtes dans un baraquement de brousse, nous en sommes tous.

L’air amusé qu’il prit agaça profondément Kaela, habituée à l’efficacité de l’administration japonaise.

- Je voulais dire, un garde pouvant s’occuper de ma requête.

- Me voilà !

- Devant tout le monde ? Vous n’avez pas un bureau ? Nous sommes à l’entrée tout de même...

- Ah ! Une habituée de la grande vie ! Hé les gars, on a une métro un peu timide et maniérée par ici.

- Oh et puis merde, quel con ! «IL Y A UN CADAVRE EN PUTREFACTION A NEUF-CENT PIEDS D’ICI, FAITES-VITE, IL Y A DES CROCODILES !!!

- Eh, ça va moins fort ! Vous allez provoquer la zizanie, c’est une bourgade tranquille ici, vous-êtes sûre que ce n’est pas l’alcool qui vous joue des tours ?

- à deux heures de l’après-midi ?

- Oh…J’en ai vu d’autres, vous savez.

- Non, ce n’est pas l’alcool, je peux vous y conduire, c’est à côté d’une maisonnette abandonnée en pleine brousse, sur le lit d’une rivière, le corps est dépourvu de sang, il y a une araignée entre les mains et les yeux ont été excavés.

Le ranger bourru, l’écoutait attentivement et les détails que l’aventurière lui donnait finirent de le convaincre. Ils eurent un cas similaire, quelques mois précédant l’arrivée de Kaela en ville.

- Une opale, une pierre, une pépite, y-avait-il quelque chose à l’intérieur des cavités orbitales ?

Il reprit un air sérieux et lança un regard pénétrant sur Kaela tout en cherchant l’appui de ses collègues dont il désirait connaître l’opinion pour mieux s’en faire une à son tour.

- Non rien, pas quand je l’ai trouvé en tout cas.

La jeune femme n’avait rien perdu de son talent pour la dissimulation, personne ne la suspectait d’y être pour quelque chose.

- Très bien, nous envoyons une voiture, montez-y !

L'ocre du limon terreux dessine par des notes plus claires, une voie de passage vers la rivière au travers du bosquet sec et désordonné. Les trois véhicules de l'ordre public restent en amont et leurs occupants s'engagent dans le sentier.

L’affluent est bloqué par une succession de petits monolithes en amont et du sable en aval, ce faisant, le point d’eau semble stagnant tant l’écoulement est faible.

La brigade se lance des regards fatigués suivis de soupirs, ils ne voient rien, Kaela non plus, le corps a disparu…

- Mmh, les crocodiles ont emporté le corps, je suppose ?

Le Ranger, incrédule, humilie Kaela en lançant une poignée de gravats dans l’eau, lesquels feraient apparaître un crocrodile s’il y en avait un…

- Plongez-y vous verrez par vous-même !

- Non jeune fille, je ne vais pas plonger, faites-le si vous y tenez tant.

- Très bien, ainsi soit-il.

Intrépide comme à son habitude et loin de se laisser impressionner par la condescendance du garde, l’aventurière enlève ses vêtements au grand bonheur de la brigade qui la siffle. Elle pénètre dans l’étang, plonge sur quelques mètres, tâte le fond en apnée puis revient, honteuse, et consciente de son erreur.

Kaela se rhabille sous les huées des gardes de brousse qui lui affirment que ce n’est pas nécessaire, il fait si chaud après tout…

Revenus au poste, les rangers hésitent à lui infliger un avertissement officiel pour s’être joué d’eux mais se ravisent, estimant que le plaisir visuel suffit à payer sa dette sociale.

Ils l’invitent au casino le soir-même et lui offrent une boisson qu’ils prétendent locale, la même qui a drogué Kaela le soir précédent. Se sentant contrainte, elle en boit quelque peu, non assez pour perdre de sa lucidité et part non sans remarquer le bras abondamment piqué de l’un des rangers restés au poste, tenant dans sa main une carte des environs.

D’un geste vif accompagné d’un sourire hypocrite, il la tend à la jeune femme, prétextant qu’une métro se perdrait dans sa baignoire sans cela.

Cherchant un terme familier, ses yeux se posèrent sur le cimetière de l’araignée dont le nom lui rappelait à la fois son grand-père mais surtout le cadavre de la bestiole dans le creux des mains de la dépouille, elle comprend que les fosses des morts sont sa prochaine destination.

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