7

3 minutes de lecture

Constance se cambra, le dos griffé par le froid. Elle se trouvait là, debout face au lac gelé de son arrière-pays natal, avec une tête de moins. Elle le savait, parce qu’elle pouvait à peine atteindre la cabane à oiseaux suspendue dans le pommier, mais surtout parce qu’elle se souvenait du jour de ses dix ans.

Denise était là, un peu plus petite, qui marchait devant elle sur la glace. Elle se voyait tendre le bras, tenter de saisir dans sa poigne la silhouette déjà loin.

— Alors ? Tu peux aller plus loin qu’ça ? lança sa petite sœur.

Ce jour-là, le cœur de Constance cognait tellement fort qu’elle s’était persuadée qu’il était dans sa tête ; là, juste derrière ses tympans. Malgré l’angoisse et l’envie de rentrer au chaud, elle avait avancé une botte timide sur la glace – Cric – pressé le pas pour dépasser Denise, en finir du défi et rentrer près du feu – Cric.

— Voilà, je suis plus loin que toi.

Non, Denise avance, plus loin, elle glisse, elle patine sans patins sur ses petites semelles lisses.

Cric

— Et là, tu peux pas aller plus loin, hein ?

Constance déteste perdre. Pourtant, elle doit laisser sa petite sœur l’emporter, elle le sait.

— Non, t’as raison Nini, j’peux pas aller plus loin. T’as gagné. Allez viens, on rentre.

Ni une ni deux, Denise, aux anges, mime un triple axel qui n’y ressemble en rien et file en sens inverse, en direction du chalet. Cric. Sa grande sœur la regarde, soulagée. Bientôt le feu, bientôt le chaud…

CRAC.

La glace se dérobe sous son poids, sous ses pieds.

Tout n’est plus que froid, et liquide, et noyade.

À ce moment-là, Constance sut bel et bien que son cœur n’était pas dans sa tête. Car il se tordait, là, entre ses petits seins, crispé, figé, transi. Lorsqu’elle ouvrit la bouche par réflexe, pour crier, tout devint dur, crissant, d’un bleu glacial et hypnotique.

À ce moment-là, au porte du néant, pas de tunnel, pas de film de sa vie en accéléré, mais une seule image cristallisée sous ses rétines aveugles : son cœur, un diamant.

Elle ouvrit les yeux tout grands. Encore ce putain de cauchemar. Davantage qu’un rêve, un souvenir difforme. Depuis plusieurs années déjà, elle se demandait pourquoi il émergeait si souvent pour la ramener vers le fond, là où elle aurait pu mourir ; là où, aussi, elle s’était réveillée.

Lorsqu’on frôle la mort, on comprend quelque chose. Certains sortent de leur corps et se voient d’au-dessus. Cela n’avait pas été son cas. Tout au contraire, elle avait vu à l’intérieur, son devenir brut et polaire, un petit joyaux qui ne demandait qu’à être raffiné.

Dès qu’on l’avait tirée du lac, on l’avait trouvée changée. L’enfant, rieuse et pleine de vie, ne souriait plus qu’à peine. Les psychologues, pourtant, l’avaient jugée lucide, très mature pour son âge. Elle qui n’aimait pas l’école était rapidement devenue la meilleure et sa classe et, la fierté prenant le dessus, la famille avait cessé de s’inquiéter.

Le froid la lacérait toujours, hors de la couette qu’avait jalousement tirée à elle la beauté endormie. Si douce, si maigre, si blonde, si naïve.

Un sourire serein s’imprima aux lèvres de Constance, tandis qu’elle savourait cette petite gloire : baiser une fille plus riche qu’elle, dix fois au moins. Le coup du siècle. Puis elle glissa hors du lit, sans faire ni de bruit ni de vague. Faute de se souvenir où elle avait fait tomber ses vêtements, elle s’entoura d'un plaid qui lui passa à portée de main. Presque nue, les tétons encore roidis, elle disparut dans le séjour.

Annotations

Vous aimez lire Opale Encaust ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0