Rendez-vous avec la mort

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Les réacteurs de ma Hattilarley solaire diminuent d'intensité et je pose ma motojet sur le sol empierré de la cour. J’ôte mon casque à cornes, et attarde un instant mon regard sur la vieille maison de pierre recouverte de lierre et à la toiture de chaume. Ça sent les lilas et les fleurs d'antan. Un sentiment étrange m'envahit :c'est un reliquat du passé, aujourd'hui plus personne ne sait construire avec des matériaux naturels. Une vieille plaque métallique rouillée indique « agence de notaire », c'est là qu'on m'attend. Je ne raterai jamais un rendez-vous, y compris avec la mort.


La porte est en bois, foutre de geek, comment je l'ouvre sans interrupteur ? Ah oui j'suis trop con, faut tourner la poignée. Me voilà dans une demeure poussiéreuse mal éclairée et ça sent le renfermé. Quelques pas de mes bottes de neocuir plus tard et le barbare que je suis pénètre dans une grande salle décorée à l'ancienne avec de vieilles photographies et des appareils électriques préhistoriques. Par la barbe des motards, et dire que j'ai déjà envie d'y mettre le feu. Faut dire que depuis le grand cataclysme, la puissance publique s'est évanouie et les barbares que nous sommes combattons les mercenaires au service des puissants magnats des complexes industriels. Alors nous malmenons tout ce qui nous rappelle leurs sbires.

Au fond de la pièce se tient assis un homme étrange, vêtu d'un complet noir à la mode des bourgeois du XXe siècle. Son teint blafard, tranchait avec un sourire narquois et la noirceur de ses cheveux fins qui se clairsemaient sur le front ridé d'un être sans âge.

Malgré mon quintal de muscles, mon allure de tueur, et ma réputation de soupe au lait, le bougre n'a pas l'air de me craindre. Je me tiens sur mes gardes.

- Asseyez-vous Monsieur Kroum.

Je me laisse choir dans le canapé de vieux cuir de style Louis XV ou Georges Bush, je ne sais plus, j'ai explosé le droïde professeur et depuis je refuse qu'on me traficote le cerveau pour y implanter des puces, alors la culture...

Le notaire ouvre une lettre, écrite en rouge sang sur du papier. Étonnant ça, j'en ai jamais vu, non pas le sang mais le papier, d'ordinaire on préfère les emails pour les choses officielles.

- J'ai là la lettre de votre bisaïeul Genghis Crâne, grand mage de la horde des Cosaques Métalleux, tué le mois dernier à l'âge de 87 ans au cours d'un combat contre les Cyberorques.

J'ai une pensée émue pour ce vieux brigand qui a fini par casser sa pipe, une vraie légende dans la horde.

- Donc votre ancêtre a rédigé un testament. Il vous lègue ceci.

Le notaire me tend une clé métallique comme on n'en fait plus depuis des siècles.

Je me redresse :

- Il a débloqué le vioque !

Le notaire joint ses mains pour expliquer :

- Genghis Crâne souhaite dans sa lettre que vous alliez à cette adresse muni de cette clé, il a écrit que vous y trouverez la chose la plus précieuse au monde.

D'un geste vif, je prends la clé entre mes gros doigts et je lis l'adresse.

- Quoi ? Mais il n'y a rien là bas.

L'espace d'un instant, j'ai envie d'éclater la tête du notaire et de me tirer mais je me souviens que son bisaïeul s'est couvert de gloire quelques années auparavant au cours du sac de New New York. Une rumeur circule dans la horde comme quoi le vieux chacal s'est emparé du butin du siècle. Sûr que le fossile a caché son trésor dans un coin paumé.


Quelques instants plus tard, je démarre en trombe et file comme une fusée au dessus des champs des fermiers biozones.


Le paysage défile à toute allure : les ruines grisâtres de Paris, la grande muraille qui entoure l'Helvétie, les cratères de Munich, les steppes magyares... En un jour, et me voilà à passer les portes de fer puis je pénètre déjà dans la grande forêt de Romania, en longeant le triste Danube noir. Une route sinueuse traverse cette région dépeuplée. La taille des arbres est si grande qu'il est impossible à mon engin de les survoler et je dois réduire ma vitesse. Je déteste ça, surtout que j'espère arriver le soir au lieu indiqué par mon aïeul.

Soudain ma motojet fait un bruit de motoculteur et elle se traîne et se rapproche du sol. J'ai beau appuyer sur l'accélérateur, rien n'y fait. Alors je me pose sur le bas-côté. Le moteur est brûlant, ça sent les composants grillés, la poisse !.Après plusieurs heures à bricoler sous un soleil de plomb, je comprends que ma Hattilarley est définitivement out et aucun garage à moins de cent lieues. J'essaye depuis le début de mes ennuis de joindre mes copains de la horde mais le communicateur de mon casque semble ne pas trouver le satellite. J'enrage, je suis prêt à exploser les cervelles de tous les soldats de Monsantis ou de noyer dans le pétrole ceux de Totalax. Comme il n'y a que des végétaux et des insectes autour de moi, je prends mes armes et décide de marcher à l'ombre des arbres jusqu'à une improbable station.

Quelques lieues plus loin, le vrombissement caractéristique d'un poids-lourd au thorium me fait espérer. Je lève les bras et le chauffeur arrête sa machine. Un chinois m'ouvre la porte, son ordinateur l'a informé que ma horde n'est pas en guerre contre sa société, pas encore en tous cas. Bien sûr le routier me demande ce que je fais perdu dans une forêt roumaine. Je lui réponds que je me ballade, le voilà qui se met à rire, je sens bien qu'il ne me croit guère. Un cosaque métalleux, ça vient jamais là où ça castagne pas de grosses sociétés mercantiles, donc c'est forcément louche, je le sais bien.

Pour éviter d'avoir à dessouder le bonhomme, je décide d'en faire un pote et je l'invite à boire un verre à une station de routiers au milieu de la grande forêt. Nous descendons du véhicule, d'autres stationnent sur cette aire. Un vent à décorner mon casque soulève les feuilles mortes, je m'arrête avant d'entrer, je sens qu'on nous observe.

A l'intérieur, quelques hologrammes font des strip-tease. A notre table une jolie serveuse en petite robe noire vient nous apporter des bières. J'adore ce vieux modèle de droïde Andrea 525, surtout quand ils sont bien entretenus. Y a pas à dire, en ce temps là on savait faire des robots. Elle se pencha langoureusement sur la table, les seins débordant de leur décolleté pour me demander :

- Alors beau barbare, y a un nom à ces impressionnants pectoraux ?

Je bombe le torse et répond en clignant des yeux :

- Kroum ma belle.


Elle repart dans un déhanchement de rêve. Je bois ma bière en admirant ses courbes sulfureuses.

Le chinois est pressé et je suis encore à plus de vingt lieues du bled où je dois me rendre avec la clé. Je salue la jolie pépé déçue de ce départ précipité et sors sur le parking. Arrivés près du camion, nous découvrons avec stupéfaction que les réacteurs sont endommagés d'une manière irrémédiable.

Le chinois furieux, fait le tour de son véhicule pour essayer de trouver la cause de ces dégâts, moi je me contente d'allumer un cigare synaptique : un sabotage mais de qui et pourquoi ? S’enivrant des goûts épicés dans ma bouche, je remarque que tous les véhicules du parking souffrent des mêmes détériorations. J'effleure la crosse de mon pistolet, ça sent l'embuscade à plein nez. Tout à coup, de derrière une vieille BMVolante, surgit un drone Lutin T14. Il arrose le parking de ses éclairs d'anti-matière. Touché, le chinois se liquéfie sur place. Je me suis jeté à terre, alors que le bitume et les carrosseries explosent, j'enclenche mon bouclier à neutrons, puis je me lève et riposte. Un drone tombe et se fracasse dans une petite New New New Beatle, tandis que les éclairs rebondissent sur l'écran de protection qui m'entoure. Je cours vers le bar car de toutes les directions surviennent d'autres Lutins. Je pénètre dans le bâtiment et je crie :

- Des Lutins !

Le patron n'a pas le temps de sortir une arme qu'il explose avec le comptoir. Les drones envahissent les lieux et font un massacre parmi les clients et le personnel. Planqué derrière des décombres et des cadavres en bouillie, je lutte courageusement, dégommant quelques Lutins mais je sais bien que je vais finir en flaque. Adieu les virées en motojet, adieu les poteaux de la horde, adieu les jolies droïdes... Une trappe s'ouvre près de moi et la serveuse m'invite à la suivre, je ne me fais pas prier et m'engouffre dans un petit tunnel souterrain. Sous la terre nous entendons les bruits sourds des maudites machines qui me cherchent. Quelques instants plus tard, avec Andrea 525 nous courons à grandes enjambées dans la forêt.

A l'abri loin des drones, je reprend mon souffle. Je demande à Andrea 525 si elle sait quelque chose de ces Lutins. Elle me répond, connectée à la Toile, que ces Lutins sont des machines appartenant à la firme Monsantis, grande habituée des saloperies en tous genres et ennemie mortelle de ma tribu. Les salauds ! C'est moi qu'ils veulent ! Mais pourquoi ? J'effleure la clé... je comprends enfin...

Quelques heures plus tard, nous approchons du fameux village. Elle est super ma compagne, toujours un petit mot d'encouragement, une voix d'ange, et surtout un bon GPS interne. J'ai le béguin pour elle, c'est sûr. D'ailleurs son ancien propriétaire est mort, je lui propose de le remplacer. Elle accepte avec un petit sourire coquin.

Bien entendu, les Lutins de Monsantis doivent m'attendre là-bas. Qu'importe. Je marche dans la rue principale de la bourgade. Le vent souffle puissamment, faisant s'envoler des feuilles et de la poussière, de vieux volets archaïques claquent aux fenêtres des maisons de brique. Pas une âme qui vive et pourtant je sais qu'ici j'ai rendez-vous avec la mort.

Je marche jusqu'à un vieux cybercafé désaffecté et j'écarte les portes de plexiglas. Au fond un bar. Ma charmante compagne s'arrête, les yeux dans le vague. Je m'y attendais, je savais que les hackers de Monsantis la pirateraient, c'est chose faite, dans quelques secondes ils vont débouler ici, me descendre et ouvrir le bar avec ma clé. Seulement, je suis pas un Cosaque Métalleux pour rien. Dehors il y a déjà des bruits d'explosion, ce sont les copains qui rappliquent : je suis parvenu à les connecter sur les ondes de mon Andrea 525 et les voilà informés, jusqu'à l'heure du rendez-vous pour dégommer les drones.

Les yeux de la traîtresse redeviennent expressifs et des larmes perlent aux paupières, en même temps la bougresse a saisi un colt 75 Jéroboam et le braque de ses deux mains aussi fines que déterminées à me trouer la peau :

- Désolé beau barbare, j'ai été programmée pour ça, sois raisonnable Kroum et ouvre ce bar, vite.

Avec sa petite voix toute douce, elle dit cela en pleurant, certainement un bug de son intelligence artificielle. Je me souviens de la technique pour gagner aux échecs contre l'ordinateur, il faut toujours l’appâter avec sa plus grosse pièce, alors j'insère la clé dans la serrure du meuble : ça fait un bruit de vieux mécanisme rouillé. J'ouvre et nous regardons à l'intérieur. Le sang bouillonne dans mes veines, mes yeux me semblent sortir de leurs orbites, ce que je vois est une claque, un tournant dans ma vie. C'est la découverte que je n'attends plus. Pas étonnant que ces salauds voulaient s'en emparer. Pour miss Andrea, ses circuits ont l'air de surchauffer, son visage a une pris une expression non prévue par ses programmes, la petite lâche son arme et me supplie de ne pas la punir, elle me fait partager la communication avec Monsantis :

- Andrea 525 à Crève-Coeur : je romps toutes communications, accès à mon I.A. refusée.

Les poteaux de la horde me confirment la fin du piratage de la droïde : la simple vue de ce que Pépé Genghis Crâne m'a offert en héritage a suffit à bouleverser ses algorithmes évolutifs : elle s'est libérée de ses odieux maîtres biopirates. Grâce à ce que mon ancêtre m'a donné, nous pourrons les détruire et redonner un avenir à l'humanité. Je glisse mon héritage dans la poche et je prends la main de la belle et la serre contre la mienne, notre destin s'est scellé, nous passerons notre vie ensemble.  

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