Au Cœur de l'Ombre (Français)

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  Il y longtemps, existait un petit village dont personne ne se souvenait jamais du nom. Ses habitants y résidaient toute leur vie. Si vous étiez nés ici, vous mourriez ici. Ce village, perdu dans les bois, était plutôt considéré comme un hameau. Quelques étrangers venaient y vivre, mais aucun n’y restaient. À l’exception de Jessica, venue avec ses parents. Nous avions aujourd’hui 22 ans, et avions l’intention de partir. Dernièrement, beaucoup de personnes partaient sans jamais dire au revoir… ils se contentaient de prendre la voiture de nuit et de rouler à travers la forêt, sûrement vers une plus grande ville.

Un jour d’été, nous avions annoncé au maire que nous partions bientôt. Contrairement aux autres, nous voulions dire au revoir. Il n’avait pas l’air ravi d’avoir été mis au courant de ce départ soudain. Après tout, nous étions les derniers jeunes à vivre ici, évidemment qu’il aurait voulu que nous restions. Ce soir là, nous sommes allés dormir chez mes grands-parents, pour leur dire au revoir. Cette nuit, comme toutes les autres, Jessica était sortie courir. Mais cette nuit là, contrairement aux nuits précédentes, elle était déjà de retour quelques minutes plus tard. En ouvrant la porte, nous l’avons vue aussi pâle qu’un macchabée, avec des larmes qui coulaient le long de ses joues, encore rouges à cause du froid de la nuit. C’était pourtant l’été, les nuits n’étaient pas censées être froides. Elle tremblait toujours, même après s’être assise dans le canapé. J’ai bien cru qu’elle perdait la tête, répétant en boucle : « C’est venu pour nous, ça reviendra ». Cette nuit, elle n’a rien dit d’autre, ni même dormi. Elle s’est contentée de s’asseoir dans le canapé et de nous répéter : « c’est venu pour nous, ça reviendra ».

  Le matin suivant, nous avons décidé de partir immédiatement. Jessica était trop effrayée pour rester ici. Nous avons donc prit nos affaires, et sommes montés en voiture en direction de l’hôpital le plus proche. Nous devions traverser les bois pour y arriver. Il faisait une chaleur estivale dehors, toutes les fenêtres de la voiture étaient ouvertes. Dans mon rétroviseur, je voyais le maire. Il me paraissait en colère.

Et il l’était. « Comment ont-ils bien pu survivre?! » pensait-il. « malheureusement pour eux, La Bête n’a pas finie de chasser »

  J’étais très inquiet pour l’esprit de Jessica, je voulais arriver le plus vite possible mais il était impossible de rouler trop vite, la route était très abîmée, comme si elle n’avait pas été utilisée depuis des centaines d’années. Soudainement, je me rendis compte que nous avions commencé à faire de la buée en respirant. Il faisait froid alors même que le soleil brillait plus fort que jamais. C’est à ce moment là que Jessica éveilla ses sens, comme une proie face à son prédateur. Elle brisa le silence pour dire : « C’est venu pour nous, ça reviendra ». Comme elle ne s’arrêtait pas de répéter cette même phrase encore et encore, j’ai finalement décidé de regarder à l’extérieur, peut-être qu’elle avait aperçu quelque chose dehors. J’ai levé les yeux pour regarder dans le rétroviseur, uniquement pour voir une ombre. Une ombre d’un noir profond qui grossissait. En réalité, ça ne grossissait pas, ça se rapprochait !

  J’ai écrasé la pédale d’accélérateur, j’essayais d’échapper à cette chose, tandis que Jessica continuait à répéter la même phrase en boucle. Il y a encore quelques minutes, j’entendais les oiseaux chanter, et le moteur tourner. À présent, tout ce que je pouvais entendre était le silence de l’ombre. Ça avait été plus rapide. Plus rapide que moi. Peut-être même plus rapide que tout ce que je pouvais imaginer. Et d’un coup, je n’entendais plus rien, pas même le silence. Je ne voyais plus rien, pas même mes mains. Terrifié, je cherchais Jessica, je devais la protéger. Je devais protéger l’amour de ma vie. Je sentis sa peau sous mes mains. Peut-être son bras, je ne voyais rien du tout. Peu importe ce que c’était, je savais que c‘était elle, alors je l’ai attrapé et décidé de ne jamais la lâcher.

  J’ai eu l’impression que ce moment a duré une éternité. Je n’arrivais plus à réfléchir correctement. J’ai eu l’impression que ce moment a duré une éternité.

  Je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite, mais on me secouait. En ouvrant les yeux, j’entendais un bruit. Plus qu’un bruit, c’était une voix de femme … Jessica ! Je me levais soudainement, cherchant de l’air. Jessica était à côté, et la voiture quelques mètres plus loin. Quelqu’un d’autre se tenait derrière. Un grand chapeau, de grosses bottes, un long manteau en cuir, avec un pistolet dans une main et un couteau de chasse dans l’autre. Ce « chasseur » ne paraissait pourtant pas dangereux. Une fois mes esprits retrouvés, il nous expliquait que quelque chose nous pourchassait. « Mais maintenant, c’est fini » dit-il d'une voix rauque, en nous montrant la voiture. Avec Jessica, nous sommes donc allés voir ce qu’il voulait dire en pointant ainsi la voiture. Comme deux chiens effrayés, nous avancions doucement, parcouru de frisson à chaque bruit qui sortait des bois. Quelque chose de sombre était écrasé contre la voiture, une ombre. Plus nous nous approchions, mieux je la voyais. Ce n’était pas tant une ombre, mais plutôt un nuage noir, avec quelque chose à l’intérieur. L’esprit humain ne pouvait comprendre ce qui s’y cachait. Cela ne venait pas de chez nous, où d’un endroit connus de l’espèce humaine. C’était impossible de décrire cette chose. Mais c’était certain, ça ne venait pas de cette planète.

  À force de parler avec ce genre de chasseur - « cow-boy », nous avons appris que notre petit bourg n’était pas humain non-plus. Il était contrôlé par quelque chose de plus gros, et de l’extérieur. Et pour « Eux », les humains étaient de la nourriture. Pendant que nous mangions du bœuf, « Eux », mangeait des êtres humains. Pendant que nous mangions du mouton, « Eux » nous mangeait.

 J’en suis maintenant persuadé, cette nuit là, le maire était avec « Eux ». Jessica n’a jamais parlé de nouveau depuis, à l’exception de mon nom. Je suis sûr que cette nuit là, elle les a vu « Eux ». Cette nuit qui aurait pu changer notre vie.

  J’ai eu l’impression que ce moment a duré une éternité.

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