Les collègues lèvent leur verre, et font mine de se réjouir pour Léo.
"A cette nouvelle promotion, ce nouveau palier franchi vers les sommets de verre".
Léo l'attendait depuis un moment. Au centre de la pagaille, il sourit. Droit et fier. Il sait ce qu'il vaut. Pour l'occasion, il a passé un veston, qui recouvre son uniforme quotidien. Ces chaussures, qu'il doit cirer plusieurs fois par jour, en cachette, dans les sanitaires. Ce col de chemise, à chaque étape de carrière plus blanc. C'est que sa sueur est de l'amidon. Toute l'énergie de son corps est dirigée vers un seul but. Suivi des mails en vacances, pas de maladies, aucune absence. Plus présent et fiable que les murs de l'entreprise. Léo a fait des sacrifices pour en arriver là.
A ma connaissance, il est le seul finisher de cette terrible équation. "Comment performer, sans passer pour un lèche-bottes, tout en étant apprécié par l'entièreté du service?" Beaucoup s'y sont cassés les dents. C'est qu'on la redoute, cette mise au catalogue.
A la photocopieuse, les pies veillent. D'aucuns sont habillés exprès pour. D'autres se trainent pour de vrai. Celui-là pour de faux. Pendant que les vigiles opèrent, Léo est au pair. Pour son bébé, il est aux petits soins. Son projet grandit à vue d'oreilles. Les rumeurs parlent d'une croissance à trois chiffres. C'est une mitose, moteur de l'avancée du paquebot.
Mais surtout, derrière l'artiste, on pleurera l'homme. D'une humeur égale, Léo est présent pour chacun. C'est le copain qu'on rêve d'avoir. Il ne juge pas : il accompagne. Il ne s'apitoie pas : il conseille. Il ne dédaigne pas : il est empathique. Le stagiaire est autant considéré que le patron.
Les obligations rappelent peu à peu les collègues, et la salle de réunion se vide.
Les lumières s'éteignent.
Une dernière fois, il actionne son badge.
Ce soir, Léo part.