Au coeur de l'hiver

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Seth et Fille chevauchent de concert. Un coup d’oeil du jeune Maître et Fille lance sa jument au galop à l’instant précis où il éperonne son étalon. Deux lunes à peine qu’il a pris la jeune fille sous sa coupe, et déjà ils ont développé une rare complicité. Les deux montures galopent côte à côte, soulevant un nuage de neige, une poudre fine et cristalline qui, sous l’effet du vent léger mais glacial, dessine des arabesques féériques. Elles scintillent de mille feux sous les effets des rayons rasants du soleil.

Les journées suivent un rythme immuable. La fin de nuit, avant le lever du soleil, est consacré à fortifier le corps. Très vite, Seth a été impressionné par l’endurance de la jeune fille, capable de couvrir à la course d’impressionnantes distances sans discontinuer. Aussi a-t-il décidé d’accorder plus d’importance au travail de la force qui demeure la principale faiblesse de son élève. Il leur faut chaque jour rejoindre le château pour le lever du soleil. Fille a alors juste le temps de faire ses ablutions, le plus souvent en avalant prestement une ou deux tranches de pain beurré si elle veut être à l’heure pour assister sa Maîtresse pour son lever.

L’après-midi est consacrée à la technique. Maniement de l’épée, de la masse d’arme, du bâton bien sûr, même si Seth n’a pas grand chose à lui enseigner en ce domaine. Mais est tout de même de bon conseil, corrigeant çà et là une posture, renforçant sa stabilité ou affinant la précision du geste. Après tout, un bâton long n’est finalement qu’une épée à deux bout.

Le tir à l’arc n’est en rien négligé. Fille y excelle, aussi Seth a-t-il décidé de renforcer encore ce point fort. Il a d’ailleurs rarement vu autant de potentiel chez un jeune archer. C’est aussi ce qu’ils sont venus pratiquer dans cette vaste clairière.

Quatre fois par lune, Layna libérait Fille bien avant le dîner, l'élève et le Maître mettaient à profit ces journées pour découvrir de nouveaux terrains d'entraînement. Quand il faisait beau, comme c'était le cas aujourd'hui, ils emportaient qui un jambon, qui un fromage et une miche de pain et improvisaient un dîner sommaire en pleine nature. Ils partageaient alors leur repas, parfois dans un silence religieux, parfois en devisant à bâtons rompus sur des sujets aussi divers qu'inattendus. Fille chérissait ces instants de liberté arrachés à la routine du château et à sa vorace Maîtresse.

***

Ils mettent pied à terre, Seth tire de ses fontes plusieurs palets de paille compacte. Ce sont des cibles, leur diamètre ne dépasse pas celui d’une grande tourte. Il avise quelques arbres épars et décharnés et fixe sur chacun d’entre eux un palet.

Fille est intriguée. La clairière, toute en longueur, ne permet pas le recul qui rendrait l’exercice difficile.

— Voilà, crie Seth. En selle.

— C’est donc ça, je devrai tirer depuis ma monture ?

— Pas tout à fait, non. Tu décocheras tes flèches depuis ta monture lancée au galop.

Fille ne cache pas son scepticisme, aussi le jeune Maître enfourche-t-il lui aussi son cheval.
Il trotte jusqu’à l’extrémité du découvert, saisit son arc.
Il marque un temps d’arrêt, comme pour se concentrer. Le puissant animal s’ébroue dans sa propre vapeur d’eau, le spectacle est fascinant. Il frappe le sol d’un coup de sabot, hennit avant de s’élancer au galop.

Fille observe, fascinée, le cavalier décocher une flèche qui vient se ficher dans la première cible. Il est si rapide pour s’emparer de la seconde flèche et la tirer que son bras semble n’avoir fait qu’un rapide moulinet. Pourtant, le trait vient se planter dans le deuxième palet. Le troisième manque sa cible, contrairement au dernier qui la percute, il est vrai, de justesse.

Seth revient vers Fille au petit trot, hilare.

— A toi maintenant !

***

Assis sur une souche au bord de la rivière gelée, Seth tire du sac les restes d’un chapon de la veille et une miche de pain. Il fait si froid que malgré qu’il ait pris soin de les conserver dans une fonte posée à même le dos de sa monture, la viande est presque gelée. Fille a dû briser la glace d’un des méandres pour faire boire les chevaux. Elle veille à ce qu’ils se désaltèrent avec retenue, l’eau est si froide qu’il leur faut être prudents, puis rejoint son professeur. Ce n’est pas tant le froid piquant qui est la cause de son humeur renfrognée que ses piètres performances de la matinée. Elle ne parvenait pas à décocher ses flèches suffisamment rapidement, sa monture ayant à chaque fois déjà dépassé la deuxième cible avant qu’elle ne décoche sa flèche. SI elle avait atteint plus d’une fois son but sur la première cible et en de rare occasions sur la troisième, les troisièmes et quatrièmes cibles étaient demeurées intactes.

— Que croyais-tu donc, lance Seth. Pensais-tu y parvenir du premier coup ?

Elle ne répond pas, manifestement fort contrariée. L’homme enchaîne :

— Tu excelles au tir et tu es bonne cavalière. La preuve en est que tes premières flèches atteignent leur but. Tu dois progresser en vélocité, parvenir à saisir la flèche suivante, à bander ton arc et à décocher avant la seconde cible. Et crois-moi, il en va plus de la précision des gestes que de leur vitesse. Tes doigts doivent se poser directement au bon endroit. Et n’essaie pas de viser trop précisément. Tu dois faire corps avec ta monture, c’est autant elle que toi qui décide du moment où tu lâches la corde.

— Tout cela semble bien facile, expliqué comme ça.

Il rit, Fille sourit.

— Nous reprendrons, mais tu peux aussi t’y entraîner seule au château. Attraper la flèche, la placer sur la corde, bander. Nul besoin de décocher, tu peux pratiquer cet exercice dans ta chambre si tu le souhaites. Je te déconseille de le faire dans les appartements de Dame Layna, ou assure toi bien alors de ne pas décocher malencontreusement.

Ils rient de bon coeur, tous les deux. Il lui choisit la plus belle cuisse et la lui tend avant qu’elle n’y morde à belles dents. Tous deux contemplent au loin les majestueuse collines toutes de blanc vêtue, baignées par la lumière rasante du milieu l’après-midi. C’est décidément une bien belle journée, pense Fille.

***

Ils rentrent au pas, côte à côte, profitant des derniers rayons de soleil de cette fin d’après-midi. La conversation, très animée, s’est tarie, ils vont en silence.

— Maître ?

— Fille ?

— Connaissez-vous un érudit ?

— Que veux-tu dire ?

— Un lettré, un savant. Un bibliothécaire.

Il la regarde, suspicieux.

— Les livres sont interdits, tu le sais.

— Foutaises. Chacun sait que nombre d’entre eux ont échappé au Grand Bannissement et sont jalousement conservés dans le plus grand secret par des gardiens de la connaissance. J’ai peine à croire qu’il n’y en ait point, si pas à Saad-Ohm, dans quelque manoir reculé à distance de la ville.

— Ce sont des colportages. Qui prendrait le risque de se mettre à dos l’Inquisition Royale ?

— Ce ne sont pas des rumeurs. Mon Père avait plus de mille livres. Je les ai tous lus.

Seth reste un moment silencieux avant de reprendre :

— Ton Père est bien fol. Ceci-dit, tu ne m’avais jamais parlé de ta famille.

Fille baisse la tête.

— Je n’ai pas de famille. Je n’ai même pas de nom. Tabor m’a recueillie avant même que je ne sois en âge de marcher.

— Mais il t’a élevée.

— Oui. A mes yeux, il reste mon Père.

Elle arbore maintenant une mine d’une tristesse à fendre le coeur.

— Je me suis enfuie sans même me retourner, telle une ingrate. Il me manque.

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