Le doute

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Edit 20 mars 2024 : toujours rien de capital dans ce relifting : je ne fais que mettre la narration au passé plutôt qu'au présent.


Les rigueurs de l'hiver faisaient doucement place aux douceurs du printemps. La nature s'éveillait et les corps exhultaient. Fille n'était pas dupe, Layna se montrait ce soir plus exigeante encore qu'à l'accoutmée. Elle s'était emportée, prétendant que le bain n'était pas à température. Fille était convaincue qu'il était exactement comme le jour d'avant, et tous les autres d'ailleurs, mais c'était peine perdue que de tenter de la raisonner. Il lui avait fallu en vider une partie et compenser par une dizaine de seaux d'eau très chaude.

La Favorite s'était maintenant calmée. Elle s'abandonnait tandis que les doigts de Fille s'affairaient dans sa longue chevelure, la rassemblant en deux longues nattes comme elle l’affectionnait. Ronan aussi d'ailleurs. Ce soir, la maîtresse tenait manifestement à plaire à son seigneur. La jeune fille s'en réjouit, elle pourrait enfin dormir tout son saoul. En attendant, elle profitait de l'instant présent. Il y avait quelque chose de terriblement apaisant dans ce rituel journalier. Au fil du temps, la jeune fille et sa maîtresse avaient développé une réelle complicité. Elle se manifestait de bien des manières, depuis les longs silences où les yeux suffisaient à tout exprimer, jusqu'aux conversations parfois endiablées en passant par des moments d'intimité qui depuis quelques temps, amenaient Fille à s'interroger sur la nature du lien qui les unissait. Car bien que son professeur émût tous ses sens, elle n'avait ni le courage ni l'envie de renoncer à Layna. L'eut-elle d'ailleurs voulu que cette dernière ne l'aurait pas permis.

— As-tu déjà tué un homme ?

La question était d'autant plus inattendue qu'elle venait briser un bien long silence. La jeune fille hésita quant à la conduite à tenir mais décida de jouer la carte de la franchise, celle qui lui réussissait le plus souvent avec la concubine

— Oui Maîtresse.

Dame Layna marqua un silence, ses yeux demeuraient clos. Tentait-elle de s'imaginer sa servante occire un être humain, ou s'abandonnait-elle simplement aux douces mains qui s'activaient dans ses cheveux ? Car s'il y avait quelque chose de voluptueux à caresser une aussi belle chevelure, sentir des mains s'y activer procurait également un réel sentiment de bien-être.

— Qu’as-tu ressenti sur l’instant même ? Et par après ?

C'était maintenant Fille qui tentait de rassembler ses idées, elle prit tout son temps pour répondre.

— Sur l’instant même ? De la fureur et de la peur. Après, ma Dame, je préfèrerais ne pas en parler.

Un long moment s’écoula avant que Layna ne rebondisse.

— C’est bien. Tu en auras besoin lors du tournoi.

— Ma Dame ?

— La fureur, la peur … tout ça.

— Seth prétend que la peur est une bonne assurance vie, à condition de pouvoir la gérer et la surmonter. Par contre, il est convaincu que la fureur au combat altère la capacité de jugement et mène à la défaite. Il prône la non-pensée. Je ne comprends rien à ce qu'il attend de moi sur ce plan.

— Et moi je n’ai que faire de vos histoires d’escrimeurs. Débrouille-toi juste pour gagner.

— Qu’adviendra-t-il si je suis vaincue ma Dame ?

— J’imagine qu’alors tu mourras.

En l’espace de quatre lunes, la jeune fille en avait suffisamment appris sur les joutes. Point d’épées émoussées ici, les lames étaient parfaitement aiguisées et les combats violents. Le vainqueur obtenait souvent sa victoire dans le sang. Quant au vaincu, il pouvait s’estimer heureux s’il n’était que blessé. Fille ne voulait pas mourir. Maintenant moins que jamais. Elle ne voulait pas non plus décevoir sa Maîtresse.

— Et si je survis, mais sans être victorieuse ?

— Va-t-en savoir. Avec un bras en moins ou ton joli minois défiguré, tu trouveras peut-être à faire aux cuisines ou aux latrines des domestiques.

Layna avait au moins la décence de ne pas ponctuer ses dires d’un rire dont elle avait le secret. Bien au contraire, elle s’était assombrie et son visage se faisaitt grave. Elle soupira.

— Mais débrouille-toi pour être victorieuse. Je n’ai pas envie de te perdre.

***

Avec le retour des beaux jours, c’était toute la ville qui à nouveau respirait. La vie reprenait ses droits, les rues se paraient d’étals colorés, les cris des marchands résonnaient. Les odeurs, tantôt suaves et enivrantes, tantôt nauséabondes, s'affranchissaient de leur prison de neige et de glace. Les effluves chatouillaient les narines et selon qu’elles se faisaient caressantes ou au contraire désagréables, génèraient des sourires de ravissement ou des froncements de nez. Les Dames délaissaient les lourds vêtements de laine et de peaux pour des robes légères et vaporeuses, parfois fleuries. C’était un pur enchantement pour l’oeil. Les catins se faisaient aguicheuses et ne cachaient que très peu leurs charmes, provoquant chez les messieurs frivoles moult taquineries et goguenardises.

Seth tenait beaucoup à ce que Fille s’imprègne du terrain, aussi l’avait-il amenée à la Plaine des Sacrifices. L’endroit tirait son nom des rituels ancestraux, qui consistaient à présenter aux dieux une offrande, animale ou humaine. Le lieu servait maintenant aux exécutions publiques et accueillait également chaque année les joutes de printemps. Fille ne pouvait s'empêcher de penser aux combattants qui y avaient perdu la vie dans le seul but de divertir non seulement les nobles et les notables, mais aussi et peut-être surtout, le peuple, qui se montrait parfois plus assidu et plus cruel que ses dirigeants.

Il règnait une animation inhabituelle sur la large étendue de terre en friche. Des esclaves s’affairaient à monter trois immenses tribunes sous l’oeil attentif de plusieurs contremaîtres et de nombreux garde-chiourmes. Parfois, un fouet claquait, insufflant un regain d’ardeur chez les malheureux asservis. Les plus jeunes d’entre eux étaient affectés aux travaux de terrassement. Ils raclaient et égalisaient le sol défiguré par le long et rigoureux hiver. Ils soulevaient à présent un nuage de poussière dense qui transmuait les corps de chair et d’os en silhouettes éthérées. C’était comme si déjà, ils n’existaient plus. Un petit garçon tout affairé, chargé d’un sac de pierres grand comme deux fois sa tête, percuta Fille et laissa choir son chargement. Seth lui administra une violente tape dans la nuque et l’invectiva.

— Laisse le donc. Il n’y a pas de mal.

— Qu’il regarde où il va ! Maudit garnement.

Il le chassa d’un coup de pied, ne lui laissant pas même le temps de ramasser son chargement. Le gamin s'enfuit sans demander son reste

— Ce n’est qu’un enfant, lança Fille sur un ton de reproche.

Seth se radoucit.

— C’est avant tout un esclave. Dis-toi que ma claque lui a probablement évité un coup de fouet d’une de ces brutes, fait-il en désignant les gardes.

Fille frissonna. Elle n’osa imaginer la douleur provoquée par la morsure du cuir sur une peau juvénile. La brûlure devait être atroce. La petite esclave qui chaque matin, venait vider les pots de chambre de Dame Layna, avait le dos mutilé, strié de boursouflures et d'escars des épaules au creux des reins. Quel maître cruel pouvait bien infliger pareil châtiment à une enfant pas même pubère ?

Mais Seth, lui, était déjà ailleurs. Il entreprenait de lui décrire les lieux par le menu. Les tribunes, la zone d’attente, l’entrée des combattants, les gabarits de la zone de tir à l’arc … Une fois le sol en état, les hommes de la Guilde des Jeux viendraient baliser le périmètre de la cage, la zone des combats. Elle serait ensuite délimitée par deux rangées de pieux effilés tournés vers l'intérieur, rendant impossible toute retraite.

— Une fois dans la place, tu n’auras pas d’autre alternative que de vaincre. Ou être vaincue.

Fille affichait une mine sombre et se murait dans son silence. Elle veilla toutefois à s’imprégner de la consistance du sol, considèra l’orientation du soleil, jaugea la distance qui séparait la zone d’attente de celle des combats, tenta de matérialiser l’entrée de cette arène mortelle …

— Tu sembles contrariée.

Elle s'énerva.

— Contrariée ? Je ne suis pas contrariée ! Je suis inquiète. Je … j’ai peur. Dans trois jours, je serai peut-être morte !

Seth reste un instant décontenancé par la réaction de sa pupille. Son coeur se serra, il savait que leur amour naissant n'était pas étranger aux changements d'humeur de son élève. Il le savait pourtant bien, cette idylle était tout sauf une bonne idée. La plus grande force d'un combattant, c'était de n'avoir rien à perdre. Si la perspective d'une issue fatale lui était insupportable, il y avait fort à parier qu'il en aille de même pour Fille. Il l’attrapa par la main puis, d’un pas vif, l’amena à l’écart, à l’abri des vues derrière la tribune centrale, presqu’achevée. Il lui prit une main, la serra contre son coeur.

— Tu peux encore tout arrêter.

— Nous en avons déjà parlé et nous savons tous deux que ce n’est pas envisageable. On ne s’oppose pas à la volonté de Dame Layna. Moins encore maintenant que tout le monde se gausse d’elle et de sa lubie d’engager une demoiselle comme championne.

— Peut-être. Mais nous pouvons partir. Tout quitter.

— Et fuir éternellement ? Vivre dans la crainte ?

— Fuyons au loin ! Qui sait, peut-être pourrions nous tenter de rejoindre la Fédération.

Fille baissa la tête, résignée.

— Non. Je combattrai. Et je ne veux pas mourir, je n’ai d’autre choix que de vaincre.

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