Ce que femme veut

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C'est la gorge nouée que Fille pénètre dans les appartements de Dame Layna. Elle ne sait ce qui l'incommode le plus. Est-ce cette douleur lancinante qui irradie sa poitrine, une douleur physique, tangible, une pulsation soutenue par la brûlure qui lui barre le ventre d'un flanc à l'autre ? Ou au contraire, cet horrible mal-être, cette noirceur qui semble l'envelopper tout entière, comme un cocon répugnant dont elle serait à jamais prisonnière ? Car au goût amer de la défaite s'ajoute cette horrible impression d'avoir failli, d'avoir déçu la Favorite. Sa maîtresse. Son amante. Sans compter Seth qui depuis six lunes, lui a consacré le plus clair de son temps. Elle en pleurerait, sans toutefois savoir s'il se serait agi de larmes de rage, de honte ou d'amertume. Ou de chagrin peut-être ? La tête baissée et les épaules voutées, elle attend que se manifeste le courroux de sa Maîtresse.

— Approche donc.

Fille avance de quelques enjambées, puis s'arrête. La Concubine parcourt les derniers pas qui les séparent encore. Elle est maintenant si proche que Fille peut sentir son souffle sur son visage. Puis sa main sur sa joue, douce et caressante. Bien qu'elle s'y fût volontiers blottie comme un chaton en mal de câlins, elle serre les dents. Pour Layna, douleur et plaisir ne sont que deux faces d'une même pièce, elle sait comment utiliser l'un pour exacerber l'autre. Dans les deux sens.

— Je suis contente que tu sois en vie.

Layna s'est exprimée dans un souffle.

— Ma Dame ... ?

Fille a du mal à maîtriser sa voix chevrotante.

— Quand je t'ai vue dans cette fosse, gisant dans ton sang, j'ai cru t'avoir perdue.

La jeune servante n'y comprend plus rien. Elle a failli, elle s'en ouvre à la Favorite. Elle est si désolée de la décevoir, de n'avoir pas été à la hauteur.

— Que racontes-tu là ? Tu as dépassé toutes mes espérances.

— Mais ... Maîtresse ...

— Me prends-tu donc pour une sotte, ou pour une simple d'esprit ? Crois tu vraiment que j'imaginais qu'avec un si court apprentissage, tu allais pouvoir rivaliser avec les meilleurs combattants du royaume ? Tu es certes douée, mais tu n'es pas un démon ou une magicienne.

Les pensées se bousculent dans la tête de la jeune fille. Que lui conte-t-elle là ? Pourquoi l'avoir choisie si elle pensait la défaite inéluctable ? Sa vie lui importait-elle donc si peu ?

— Tu as combattu vaillamment. Sais-tu que c'est cet homme en noir qui a remporté le tournoi ? Il n'y a aucune honte à s'être inclinée devant un tel guerrier.

— Je ... je ne comprends pas ... si vous saviez, pourquoi m'avoir choisie moi ?

— Pour qu'on te voie. Pour que partout à Saad-Ohm on parle de la jeune guerrière téméraire et audacieuse. Que le soir, dans les tavernes de la ville, on évoque la ballerine qui danse avec la mort. Et le fait que tu renaisses ainsi de tes cendres ne fera qu'ajouter encore aux racontars. Tous t'ont crue morte. Alors laissons la légende prendre corps et l'histoire se répandre. Il serait inutile et contre-productif d'aller chanter sur tous les toits que tu dois la vie à ta bonne fortune.

— Mais ... pourquoi ? Pourquoi ? Qu'avez-vous à y gagner ?

— Ce sont là mes affaires. Tu le sauras bien à temps.

***

— Il n'acceptera jamais. Le simple fait de lui forcer la main suffira à ce qu'il s'y oppose, bougonne Ronan.

— Je vous demande juste d'essayer. La petite a démontré son potentiel. Même vous, vous étiez sous le charme. Elle n'a que dix-sept printemps, imaginez ce dont elle sera capable dans cinq, dans dix révolutions.

Ronan fulmine. Il sait qu'il va une fois de plus accéder à la requête de son aimée. Et s'il enrage, c'est bien de lui céder ou de ne pouvoir même lui opposer un semblant de résistance. Il sort du lit comme un diable hors d'une boite et se met arpenter la chambre de long en large, nu comme un ver. Les flammes de l'âtre soulignent ses muscles puissants mais creusent son visage tourmenté. Layna, elle, sourit, ce qui ne manque pas d'échapper à son amant. Maudite garce, il ne sait si c'est la vue de son corps athlétique ou la perspective de la victoire qui creuse ainsi cette adorable fossette. Car il en est sûr, il sent, il sait qu'elle pense avoir déjà gagné la partie. Il sait aussi qu'elle ne se donnera qu'après qu'il ait capitulé. Et il va capituler. Il maudit sa faiblesse, mais il ne pliera pas sans combattre.

— SI elle est si douée, pourquoi vous en défaire ? Si elle entre au service de Khaleb, elle mènera campagne avec lui dans les contrées lointaines, elle le suivra lors de ses tournées d'inspection. C'est durant deux, trois lunes, voire l'entièreté de la belle saison que vous devrez vous en passer. Qu'espérez vous qu'un tel sacrifice puisse apporter ?

— Ne soyez pas ridicule, mon ami. Ce n'est encore qu'une servante, de sacrifice il n'y a point. Mais la cantonner à des tâches subalternes reviendrait à gaspiller un potentiel bien rare.

Layna s'extrait des draps et s'approche de son amant. Elle se love contre son corps solide, se fait toute fondante.

— Vous vouliez m'offrir cette garde personnelle ? Eh bien je l'accepterai volontiers. Mais je veux pouvoir en choisir moi-même son capitaine. Sa capitaine.

Ce n'est plus le caprice de sa Concubine qui maintenant insinue le doute dans l'esprit de Ronan. Il a effectivement plus d'une fois évoqué la possibilité de la doter de sa propre garde, un petit Corps de soldats chargé de sa protection personnelle. Il pensait ainsi flatter l'égo de sa compagne et apaiser pour un temps ses velléités de mariage, mais Layna en avait fait peu de cas. Elle trouvait l'idée ridicule, la Garde du Légat pouvant selon elle sans problème se charger de sa sécurité à elle. Elle avait raison bien sûr. Ce brusque revirement cachait forcément quelque chose, la garce avait fort probablement une idée en tête, et cette idée n'avait rien à voir avec le fait de faire d'une soubrette une capitaine.

Mais le contact du corps tiède et sculptural a vite raison de ses dernières réticences. D'autant que lorsqu'elle se glisse à ses pieds, il durcit déjà. Au contact des lèvres douces et humides sur son sexe, il rend les armes.

— Je lui en parlerai. Mais la partie est loin d'être gagnée.

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