Le Chasseur

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— En es-tu certain, Karghil ?

— A ce niveau de ressemblance Sire, le doute n'est plus permis.

— A quand remonte le dernier ? Près de dix cycles, non ? Tu as pu te tromper. Le temps déforme les souvenirs.

— Pas ceux-là, Majesté. En outre, j’ai eu tout le loisir de l’observer hier soir, lors du dîner. Même ses mimiques me semblaient familières. C’en est un Sire, j’en mettrais ma main encore valide au feu.

De rage, Karyl Khan Pradesh envoie valdinguer sa coupe qui vient percuter l’épais mur de pierre puis le sol dans un fracas métallique. Il lance, amer :

— Je pensais en être définitivement débarrassé ! Ca ne finira donc jamais !

Silencieux, l’homme se penche pour ramasser le récipient d’argent, en prenant garde de ne point marcher dans les relents de vin répandus sur la pierre. D’homme, il n’a d'ailleurs plus guère que l’allure. Son visage est couvert de cicatrices, vestiges probables d’anciennes brûlures. Son nez n’est plus qu’un moignon, ses oreilles aux bords déchiquetés évoquent une grossière dentelle. Sur son crâne à la peau fripée subsistent quelques rares touffes de cheveux gris. Deux doigts manquent à sa main gauche. Si pour le profane, ce corps meurtri semble porter les marques de la lèpre, les rares initiés ne s’y trompent pas. C’est le Mal Céleste qui a imprimé dans sa chair sa signature, ponctuée çà et là de cicatrices laissées par l’acier des épées.

Karghil dépose la coupe en argent sur la table. Le souverain, debout, bras croisés face à une large fenêtre, semble perdu dans ses pensées. Il parcourt l’horizon du regard en soupirant.

— Et tu dis qu’il appartient à la Cour d’Orient …

— Oui Sire. Pour être précis, il fait partie de la suite de Dame Shirin. C’est un scribe.

Ces arrivistes du fin fond du Levant, encore ! Le souverain peine à cacher son exaspération. Il lui faut envoyer un signal fort. S’il passe l’éponge encore une fois, il finira par les retrouver assis sur son propre trône !

— Tue-le !

— Il en sera fait selon vos désirs, mon Roy. En toute discrétion.

— Oublie la discrétion. Débrouille-toi pour que l’on ne puisse remonter jusqu’à toi, mais ne tente pas de maquiller ça en accident. Il est grand temps de rappeler à ces intrigants qui gouverne ici !

— Bien Sire.

— Quant à toi, mon bon et fidèle Karghil, je crains malheureusement qu’il ne te faille reprendre la chasse …

***

Dans l’aile est du Palais Royal, un étage entier abrite les quartiers du personnel attaché au premier Cercle des hauts dignitaires en visite à la capitale. Bien moins ostentatoires que les fastueux appartements des membres de la cour, ces logements n’en demeurent pas moins fonctionnels et confortables. Aman, scribe attaché à la Maison d’Orient, jouit ainsi d’une chambre spacieuse qu’il occupe seul. C’est un peu par hasard qu’il s’est vu désigné pour accompagner sa maîtresse à Kendr-Kâ-Shahar, le secrétaire particulier de Dame Shirin ayant dû renoncer au voyage en raison d’une mauvaise fièvre qu’il traîne depuis maintenant près d’une lune.

Outre le couchage, la grande malle et une tablette d'ablutions, la pièce abrite le mobilier nécessaire à son labeur : un petit secrétaire, des candélabres, deux chaises dont l'une, confortable, est recouverte d'un cuir patiné. La chambre est séparée du couloir par une petite antichambre censée assurer à l'occupant des lieux un surplus d'intimité et de quiétude. Et ce soir justement, Aman, qu'habituellement un rien réveille, dort d'un sommeil que rien ne vient troubler.

La nuit est déjà très engagée lorsque l’ombre se glisse dans le corridor. Elle va d'un pas léger, si aérien que c'est à peine si le bruissement de sa longue cape vient perturber le silence religieux qui s'est emparé du Palais. D'ordinaire, quelques éclats de voix des soldats en ronde ou leurs pas sur la pierre hantent la citadelle endormie, mais ce soir, cette partie du Palais semble abandonnée de tous.

Bien que l'allée soit bordée de plus d'une vingtaine de portes sur chacun des côtés, l'homme s'immobilise face à l'une d'elle sans une parcelle d'hésitation. Il tend l'oreille. Rien. Mais lorsqu'ilessaie d'ouvrir le battant, il lui résiste.

Fermée de l'intérieur.

Il frappe trois coups discrets, sans succès. Insiste. Mais rien ne bouge. Il tambourine maintenant avec plus de vigueur, priant pour ne pas ameuter l'un ou l'autre voisin.C'est avec soulagement qu'il entend le verrou glisser, à l'intérieur. Le scribe entrouvre à peine la porte, méfiant,pour s'enquérir de ce qui lui vaut cette visite nocturne.

— Votre maîtresse vous fait mander. Un courrier urgent qu'elle souhaite env...

— Ma maîtresse ? Dame Shirin ? A cette heure ?

— Une urgence, répond l'homme.

Jamais sa maîtresse n'a à sa connaissance convoqué un scribe en pleine nuit, et depuis qu'il est à son service, elle l'a toujours fait mandé par une de ses servantes.Cette intrusion au coeur de la nuit lui paraît dès lors doublement suspecte. Il repousse vivement la porte mais déjà, l'homme à inséré son pied entre le battant et le chambranle. La décharge d'adrénaline achève de réveiller le jeune Aman, mais il est trop tard. L'homme se jette sur lui, le saisit à la gorge et plaque une main sur sa bouche, l'empêchant de crier. Du pied, il referme l'huis. Sa victime se débat comme un beau diable quand il la traîne vers l'appartement. L'ombre la jette au sol, que la tête du jeune homme heurte violemment. Le chasseur prend garde de clore la porte qui les sépare de l'antichambre. Sa proie aura beau crier, sa voix ne risque pas de porter bien loin. Mais deux précautions valent mieux qu'une.

— Si tu cries, tu meurs dans la seconde.

Tu mourras de toute manières re, quoi qu'il advienne ...

— Es-tu activé ?

Le scribe le regarde, hagard.

— Que ... que voulez-vous dire ?

— Réponds-moi ! As-tu été activé ?

— Je ne comprends pas, je ...

Le coup le frappe en plein visage, explosant sa pommette et libérant un cri de douleur. Mais l'homme n'en a cure, il s'entête à le questionner.

— Où sont tes frères ?

— Je ... je ne comprends rien à ce que vous me voulez, je n'ai ni frères ni ...

Il n'a pas le temps de terminer sa phrase, le tueur est maintenant sur lui à califourchon, sa main mutilée plaquée sur la bouche du garçon qui n'y comprend rien. De son bras droit, Khargil se saisit de sa dague et l'enfonce lentement dans la clavicule du malheureux. C'est d'une voix mécanique qu'il réitère sa question.

— Es-tu activé ?

Le jeune Aman se tord de douleur, il voudrait crier mais ses hurlements étouffés ne trouvent que les murs pour lui répondre. Il tente de secouer la tête. Non, non !

C'est maintenant dans son cou que la dague s'enfonce doucement. Le regard suppliant laisse place à la terreur.

— C'en est fini pour toi. Puisse-tu trouver la paix ...

Seul un immonde gargouillis lui répond, tandis que le sang gicle à flots, emportant avec lui les derniers souffles de vie.

— ... si toutefois tu as une âme.

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