L’appel

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Courbés sur leurs montures, ils luttaient contre le vent cinglant qui chassait la neige à l'horizontale. Devant elle, un cheval et son cavalier s'écroulèrent dans une congère. Coincé sous la bête inerte, l'homme poussa un cri. Fille mit pied à terre, tenta de l'aider, mais déjà Lando la rejoignait. Il cria pour couvrir le hurlement du vent, lui intima de remonter en selle, mais elle n'en avait cure. Elle poussait, tirait, mais rien n'y faisait, elle ne parvenait pas à dégager le malheureux. À l'endroit ou sa jambe blessée disparaissait sous la carcasse de l'animal, la neige se teintait de rouge.

Lando sauta au sol, brassa la neige pour la rejoindre. Il l'agrippa par le bras.

— Laisse-le donc ! Remonte en selle, nous devons continuer !

— On ne peut pas le laisser ! Si on le laisse, il va mourir !

Le visage de Lando était déformé par l'inquiétude et la colère, ravagé par le froid glacial. Ses pommettes et son nez bleuis étaient en train de tourner au noir.

— Il est déjà mort, hurla-t-il. Ce n'est qu'une question de temps ! Nos chevaux sont épuisés, nous ne pouvons l'emporter !

Elle se débattit, échappa à sa poigne, s'époumona à nouveau.

— J'irai à pied ! Qu'il prenne mon cheval !

— Alors c'est toi qui mourras avant la nuit, petite sotte ! Remonte sur ce cheval !

Tandis qu'il tentait une nouvelle fois de l'attraper, elle lui asséna par inadvertance un coup en tentant de lui échapper. L'aide-de-camp s'écroula dans la neige, face au manteau couleur de linceul.

— Landooooo ! hurla-t-elle.

Péniblement, elle le retourna, il était inconscient. Elle tenta de le ranimer, en vain. Ce n'était pourtant qu'un coup de coude !

— Lando ...

C'était une plainte à peine audible qui s'échappait de ses lèvres. Quand elle releva lentement la tête, ce fut pour constater que leurs deux montures continuaient leur route. Elles ne devaient pas être bien loin mais déjà, leurs silhouettes s'estompaient dans le blizzard dense. Elle s'élança à leur poursuite, paniquée. Elle essaya de courir, brassa la neige, mais la gangue poudreuse entravait ses mouvements.

Les traces ! Suivre les traces !

Par chance, les quelques survivants creusaient derrière eux un sillage net dans le coton épais. Elle se démenait, mais n'avançait que très lentement. Et plus elle avançait, plus la neige recouvrait la trace. Arrivée sur une petite crête, il n'y avait plus rien. À perte de vue, que du blanc et, là-haut, du gris.

Elle cria, hurla, courut. Des pas !

Des pas dans la neige !

Elle courut encore, haletante, avant de comprendre qu'elle piétinat ses propres traces et qu'elle tournait en rond.

Alors elle s'effondra, vaincue.

À genoux, lasse, elle regarda ses mains enfoncées dans la ouate.

Mes gants ! Ou sont mes gants ?!

D'un geste vif, elle extirpa ses bras, et contempla ses mains. Elle n'avait plus ses gants ! Elle fit mine d'ouvrir son manteau, peut-être les avait-elle simplement ôtés pour...

Mais elle constate avec horreur qu'elle n'avait plus son manteau. Quand elle porta sa main à sa tête, au lieu d'une cagoule, c'est son crâne nu qu'elle trouva sous ses doigts. Et quand elle baissa les yeux vers son ventre, elle comprit. Elle était nue. Entièrement nue dans la neige, au coeur de la tempête. Elle n'avait plus ni bottes, ni braies, rien.

Quel est ce sortilège ?

Curieusement, elle n'avait pas froid.

Décidée, elle tourna le dos à ses compagnons qui, si cela se trouvait, n'avaient pas même remarqué que trois d'entre eux manquaient à l'appel. Elle pria pour qu'ils s'en sortent. Un dernier regard vers le midi, vers ses amis. Mais c'est vers le nord qu'elle devait aller ! Elle le savait maintenant ! Elle marcha pieds nus dans la neige, sereine. Au contact de son corps, cette dernière s'agglutinait en petites masses compactes. La glace s'amalgamait dans son nombril, emprisonnait ses seins dans deux coquillages translucides dont seuls dépassaient encore deux tetons durcis. Elle s'en amusa et ce fut à cet instant qu'elle trébucha. Elle se releva et de son pied nu, frappa le tas de neige oblong. Un visage émergea du magma blanc. Sa pâleur était tachetée de noir. Lando ! Trois pas plus loin, on devinait encore la forme du cheval mort et de son cavalier. Mais... il sembla à Fille que la tache rouge avait bien grandi.

Elle prit peur quand elle constata qu'elle s'étalait encore. Encore, et encore ! Elle pataugeait maintenant dans le liquide carmin, tiède et gluant, qui déjà s'étendait sur une surface équivalente à celle d'un étang. Sa peur se transforma en terreur quand elle sentit la tièdeur envelopper ses cuisses et envahir son sexe. Elle baignait maintenant jusqu'à la taille dans ce liquide qu'elle n'osait nommer, et le niveau n'en finissait pas de monter. Jusqu'à son cou. Jusqu'à son menton.
Elle poussa un hurlement quand elle sentit le sang s'immiscer dans sa bouche.

— Fille ! Fille !

Lando ?! Elle était en nage.

— Fille ! Calme-toi ! Calme-toi bon sang !

Lando ? La neige ... le sang ! Tout ce sang ...

— Calme-toi ... tu as fait un mauvais rêve. Il nous reste encore un peu de temps, rendors-toi.

Quel horrible cauchemar. Pas question qu'elle se rendorme. Elle préfèrait se lever. Elle en profiterait pour pratiquer, elle n'en avait pas eu beaucoup l'occasion ces temps-ci. Elle se redressa prestement et s'empara de son sabre, traversa la pièce, enjambant ses compagnons d'arme qui endormis, qui réveillés par son cri, se retournèrent en maugréant. Elle trouverait bien un coin tranquille pour s'exercer jusqu'à l'aube, pensa-t-elle.

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