Chapitre 6

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— Sale enculé d’ta mère… Je vais te faire la peau… Petite merde bridée…

Le flot d’injures allait bon train, mettant un terme à l’échange cordial entre Rose et Bilal. Ce dernier avait d’ailleurs lancé un regard noir à L’Ankou lorsqu’il était revenu vers la charrette, l’Ankou l’avait ignoré et avait repris sa marche macabre vers les prochains pleurs.

Les lamentations le menèrent devant un EHPAD. La façade de l’établissement était lugubre à la lumière blafarde des réverbères. L’Ankou lâcha la bride de l’équidé et pénétra seul dans le bâtiment, il ne pouvait se présenter devant cette nouvelle âme avec le jeune homme qui ne cessait de l’insulter.

Les couloirs étaient sombres, tout juste éclairés par les indications de sorties de secours, pourtant l’Ankou n’était pas gêné par l’obscurité, il voyait clairement son environnement. A mesure qu’il s’enfonçait dans les couloirs, les insultes disparaissaient, étouffées par les ténèbres. Les pleurs, quant à eux résonnaient de plus en plus fort, amplifiés par l’écho, avant de s’éteindre soudainement. Un frisson désagréable traversa l’échine du vieil homme, il roula des épaules pour s’en débarrasser. Il songea qu’il allait lui falloir un moment pour s’habituer à tout cela… Il prit une profonde inspiration et franchi le seuil de la chambre sur sa gauche.

Une vieille femme était assise sur le lit, dévisageant son corps allongé, éteint. Comme Rose et le jeune homme, elle sembla percevoir sa présence avant qu’il n’ait le temps de s’exprimer. Elle se retourna et le découvrit avec stupéfaction.

— Qui êtes-vous ? demanda la dame. Que faites-vous dans ma chambre ?

— Vous êtes décédée, j…

— Merci, j’avais noté cet événement ! Cela ne répond pas à ma question : qui êtes-vous et comment osez-vous m’importuner dans ma chambre alors que je fais face à ce moment difficile ?

Sous l’apparente colère, l’homme en noir lut le choc et la peur dans son regard.

— Je suis l’Ankou. Je viens pour vous chercher et vous emmener vers l’Après.

Elle le dévisagea, déconcertée.

— Vous… ? Mais vous êtes… Enfin, vous n’êtes pas…

L’Ankou décela une note de dégoût dans sa voix. Il resta silencieux, curieux d’entendre ce qu’il était ou n’était pas. Ce silence semblait mettre la femme mal à l’aise. Les lèvres pincées, elle finit par s’écrier.

— Enfin, voyons ! L’Ankou est une légende bretonne ! Vous n’êtes pas Breton, à l’évidence ! A votre accent, je doute même que soyez français…

Les derniers mots étaient plus crachés que formulés. Bien que préparé à ce type de réaction, de propos, cela n’enlevait rien à leur rudesse. L’Ankou expira doucement et s’efforça de prendre un ton courtois.

— La légende est bretonne, vous avez raison madame, mais la Mort est universelle.

— Pff… Quelle honte… Des noirs, des arabes et même des jaunes qui s’emparent de notre patrimoine… J’espérais ne plus y être confrontée une fois morte…

La vieille femme dévisageait l’Ankou avec mépris.

— Et si je refuse de vous suivre ?

Encore un refus ? L’Ankou ne laissa rien paraître, mais il commençait à être proprement agacé par cette attitude réfractaire.

— Vous pouvez vous y opposer…

Un sourire naquit sur les lèvres fines de la femme, ainsi qu’une lueur d’espoir dans ses prunelles sombres. L’Ankou prit un malin plaisir à les détruire.

— Mais je serais alors beaucoup moins aimable et vous forcerais à me suivre.

Jusque-là, l’Ankou avait gardé sa faux le long de son corps, la lame en arrière vers le sol, cachée dans l’ombre et par les plis de son vêtement. Dans un geste lent et gracieux, il révéla son arme aux yeux de son interlocutrice. Le visage de la vieille femme se décomposa. Tenant son instrument à deux mains, il fit une dernière offre.

— Me suivrez-vous de votre plein gré, madame ?

La terreur la privant de la parole, elle hocha vaguement la tête. L’Ankou fit quelques pas de plus, son regard plongé dans le sien, avant de la faucher.

L’Ankou n’attendit pas de voir disparaître les dernières volutes de fumée pour tourner le dos à cet endroit.

Un an.

Un an de labeur l’attendait. Un an de refus. Un an de solitude. Un an de pleurs. Un an de morts.

Ses épaules s’affaissèrent ; il avait espéré être débarrassé des lamentations des pleureuses avec cette âme, il n’en était rien, il en entendait d’autres, beaucoup plus lointaines. Résigné, il arpenta les couloirs vers la sortie, les insultes l’accueillirent avant la vision même de sa charrette.

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