Chapitre 8

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Alors qu’il enjambait la barrière pour revenir sur la route, l’Ankou entendit des murmures entre ses passagers, ils cessèrent dès qu’ils le virent. Ils étaient mortifiés, sauf Bilal dont le regard grave trahissait le vécu, le déjà-vu.

Il fallut une force considérable à l’Ankou pour prendre la parole d’une voix claire et assurée.

— Rose, tendez les bras je vous prie.

Elle s’exécuta sans trembler.

La faux et ses missions venaient sans instruction, aussi l’Ankou agissait-il à l’instinct. Tenant l’enfant dans son bras gauche, il contorsionna son bras droit pour se saisir de son instrument, il laissa glisser sa main au plus près de la lame et avec toute la douceur dont il est possible de faire usage avec un tel outil, il toucha le buste de l’enfant avec la pointe de la lame, priant tous les dieux que cela suffise. La tension quitta ses épaules lorsqu’il vit que c’était le cas ; l’enfant disparut de son étreinte pour rejoindre celle de Rose qui le serra contre elle.

Tous les regards étaient sur le nouveau passager, les pleurs s’étaient tus ; l’Ankou put enfin profiter d’un instant de silence et de calme.

— Je me demande comment il s’appelle… demanda doucement Jacqueline.

— C’est une fille, elle s’appelle Célia.

L’Ankou s’étonna de ses propres propos. Comment pouvait-il savoir ça ? Il avait suffi qu’il se pose la question pour que la réponse lui vienne. Son regard se porta sur le jeune homme, jusqu’ici son identité l’indifférait, mais à présent qu’il s’interrogeait, il savait. Antony Dubois, mort à dix-neuf ans.

D’abord surpris, les passagers acceptèrent l’information sans la remettre en question.

— Pauvre petit ange… murmura Rose. Elle aura à peine gouté à la vie…

— Ses parents vont être dévastés… renchérit Jacqueline, la voix tremblante. Mon premier fils est mort de la rougeole alors qu’il n’avait que deux ans, je ne me suis jamais remise de sa perte...

— Oh… Je comprends votre peine. Ce n’est pas dans l’ordre des choses, très chère… Je sais que c’est une maigre consolation, mais aujourd’hui, vous allez enfin être réunis.

Le sourire que Rose lui offrit était doux et chaleureux, Jacqueline lui rendit son sourire tout en frottant ses yeux humides.

Bilal observait la scène avec tristesse et lassitude, quant à Antony, son regard était fixé sur le bébé. L’Ankou avait du mal à déchiffrer son expression ; pensait-il à ses parents et à leur peine ? Réalisait-il le gâchis de sa mort ? Eprouvait-il des regrets ? Ou bien pensait-il à un frère ? Une sœur ? Lorsque les larmes se mirent à glisser le long de ses joues, l’Ankou ressentit le besoin de lui offrir une épaule sur laquelle pleurer, après tout il n’était encore qu’un enfant… Mais il n’en fit rien et cela le rongea de l’intérieur. La journée allait être longue pour ce jeune homme, une journée entière à s’interroger et à regretter. L’Ankou détourna finalement son regard, il avait déjà le poids de sa mission sur les épaules, il ne pouvait en porter davantage. Antony avait fait un choix, un choix terrible qui l’avait conduit sur cette charrette, il lui fallait à présent accepter les conséquences de ces actes.

Le temps s’étira sur cette portion de route, un temps silencieux où chacun réalisa la dimension de son être et de la perte qu’elle représentait pour les autres. Ce fut Bilal qui mit fin à cet instant de recueillement.

— Et maintenant, mon pote ? On va où ?

La question interpella doublement l’Ankou. Mon pote ? Il aurait pu en rire si la question ne le dérangeait pas autant ; à présent que les pleurs s’étaient tus, que devait-il faire ? Si le temps lui semblait long, il ne s’était probablement même pas écoulé une heure en temps réel. Il décida de demander l’avis de ses passagers et plus particulièrement de son prédécesseur de manière détournée.

— Sachez que le temps passe plus lentement dans ce monde et que je n’ai personne d’autre à aller chercher, pour l’instant. Enfin, nous ne pouvons pas voir les vivants, nous sommes seuls.

Il se tourna vers ses passagers.

— Je dois vous déposer à minuit devant la paroisse Saint-Corentin. Souhaitez-vous vous rendre quelque part en attendant ?

Bilal s’apprêtait à prendre la parole, mais Antony s’exprima en premier.

— Est-ce qu’on peut retourner là où vous m’avez trouvé ?

Toute forme d’agressivité avait quitté ses traits et sa voix, cette dernière était presque effacée.

— S’il vous plait… ajouta-t-il dans un murmure à peine audible.

L’Ankou vit son prédécesseur hocher très légèrement la tête à son attention, il acquiesça à son tour de manière claire en direction du jeune homme.

— D’accord. Allons-y.

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