Chapitre 28-2 : Perspectives

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  –Ça m'plait pas vraiment – mais de toute façon y a rien dans c't'histoire d'cavale qui m'plait – mais j'préfère ça à t'savoir planquer tout l'temps parce qu't'as ces connards aux culs. C'est pas une vie, ça. Dans un aut' pays, t'auras plus d'problèmes si sont pas aussi cons qu'nous. Tu pourras faire c'que tu veux.

  Cette fois, je reposai ma cuillère, incapable d’en avaler une de plus. Quitter le village m'angoissait déjà assez, alors le royaume ? Cette idée ne m'avait jamais traversé l'esprit. Enfin, si. Quand ma mère me parlait de Wiegerwäld, de ses paysages, de ses maisons à colombages colorées, de ses légendes, de sa vie là-bas, j'espérais qu'un jour, elle m'y emmènerait. Que je pourrais voir tout cela de mes propres yeux. Elle me l'avait même promis ! Puis Zirka l'avait appelée à elle et sa promesse, ce rêve, était mort avec elle. Je n'y avais plus repensé depuis.

  –Ali ?

  –Désolée. C'est juste... (Je pris une profonde inspiration, expirai un bon coup et relevai la tête.) Wiegerwäld, donc ?

  –Vu qu’tu sais causé leur langue, c'est c'qui a d'mieux pour toi, confirma Fearghus. L'gamin a dit qu'y z'étais moins cons qu'nous.

  –Moins xénophobes, le corrigea l'intéressé, toujours concentrés sur les cartes. Nous sommes moins tolérants que vous concernant d'autres... tares.

  J'opinai distraitement, me rappelant soudain que je n'avais pas encore trouvé pourquoi il ni ce qu’il avait fui.

  Fearghus balaya nos précisions d'un revers de main.

  –Si y'avait un pays parfait, ça s'saurait et c'est pas d'main la veille qu'ça va changer. En attendant, c'ui-là, c'est l'mieux pour toi, gamine.

  Je concédai d'un geste de la tête.

  –Donc... direction Portdam, murmurai-je.

  C'était là-bas qu'avait lieu nos échanges avec Wiegerwäld, là-bas que les ressortissants ou les visiteurs wiegerwälders comme ma mère et Jäger débarquaient et repartaient.

  –Aye, ce s'rait l'mieux. J'crois pas qu'les soldats savent qu’ta vieille v'nait d'là-bas. Y d'vraient pas s'méfier.

  –Mais quelqu'un pourrait le leur dire, fis-je remarquer.

  –Ne vous inquiétez pas pour eux, déclara soudain Jäger. Ils seront trop occupés à me courir après.

  Je me tournai vivement vers lui, imitée par Fearghus. Le chasseur manipulait toujours les cartes avec fluidité, mais son foutu tic à la mâchoire était de retour et il semblait s'être légèrement tendu en sentant notre attention se poser pleinement sur lui.

  –Je dois aussi partir, s'expliqua-t-il d'une voix encore plus basse. Avant le lever du jour.

  –Pourquoi ? fit Fearghus, le ton tinté d'incompréhension. La fée va t'innocenter d'main. Pourquoi tu veux t'casser avant qu'elle l'fasse ?

  Alors que je ne croyais pas ça possible, Jäger serra les dents encore plus fort.

  –C'est justement ça le problème, compris-je en me rappelant l'étrange expression qu'il avait laissé filtrer en apprenant la venue de la Tírnanienne. Il ne veut pas qu'elle l'examine. Si tu ne t'étais pas senti obligé de m'empêcher de tuer Luned ni de s'assurer que je rentre bien à l'auberge, tu serais même déjà parti depuis longtemps, pas vrai ?

  Et voilà qui expliquait pourquoi les soldats étaient autant sur leur garde : ils savaient que Jäger était au courant de la venue de la fée et se tenaient prêt à une potentielle fuite.

  Le chasseur ne confirma ni n'infirma quoi que ce soit, mais les cartes glissèrent moins souplement entre ses doigts.

  –Pourquoi tu veux pas la voir ? demanda Fearghus. Les soldats ont raison, c'est un sorcier ou un mage noir qui t'as filé ta résistance ?

  –Non.

  –Alors quoi ?

  –Rien qui vous concerne, se referma Jäger avant de nous accorder enfin son attention, de nouveau impassible. Tout ce que vous devez savoir, c'est que je dois partir en même temps que mademoiselle NicConall et que les soldats me suspectent toujours d'être impliqué dans la présence du fenrir. Par conséquent, ils se lanceront à ma poursuite dès qu'il se rendront compte de ma disparition. J'avais prévu de m'éclipser discrètement afin d'avoir de l'avance, mais je peux le faire de manière assez remarquée pour qu'ils me prennent en chasse tout de suite. Cela vous laissera le champ libre pendant un ou deux jours, conclut-il en me regardant.

  –Pourquoi tu ferais ça ? m'enquis-je. Il est pas question d'un ou deux soldats.

  C'était d'un escadron entier envoyé afin de tuer un fléau des dieux dont nous parlions. Des hommes faisant partie de l'élite de l'armée. Même avec son étalon qui n'en était pas tout à fait un, il risquait de se faire attraper.

  –Parce que je suis tout aussi responsable que vous du marquage de Madame NicConall. (Fearghus et moi haussâmes un sourcil dubitatif.) J'aurais pu vous en empêcher et je ne l'ai pas fait, s'expliqua-t-il.

  Je dus concéder. Il n'était peut-être pas au meilleur de sa forme, mais il restait un foutu chasseur qui avait tué un fléau des dieux à lui seul. Il n'aurait eu aucun problème à me tirer hors de la maison ou m'arrêter en court de mutilation, s'il l'avait voulu.

  Mais... un instant....

  –Quand tu dis que tu dois partir, c'est pas seulement de Gormchaid, c'est du royaume, on est d'accord ?

  –Oui.

  –Donc tu rentres en Wiegerwäld ? (Il acquiesça et le coin de mes lèvres se souleva.) Eh ben, la voilà, la solution.

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