Chapitre 11

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Je distingue enfin une once de satisfaction dans le regard d’Astaroth.

— C’est bien. Tu apprends vite, me dit-il de sa voix enivrante tout en posant un baiser délicat sur mon front.

Ok....? J'admets que ça, je ne l’ai pas vu venir. Là, tout de suite, maintenant : je suis sur le cul. D’autant plus qu’en dehors de la bise avec certaines camarades, je n’ai pas le souvenir d’avoir été embrassée une seule fois. D’ailleurs, est-ce vraiment un baiser ? Est-ce une marque de sympathie, d’affection ou une façon condescendante de me récompenser comme on le ferait avec chien qui donne la patte ? Je suis perdue. Il est tellement dur de discerner la douceur de la violence chez cet être.

Mon trouble ne passe pas inaperçu.

— Ne sois pas surprise. Je sais me montrer doux et agréable. Il ne tient qu’à toi de me mettre dans cette condition.

Je me disais aussi…

Astaroth s’éloigne et me fait signe de le suivre. Je me ressaisis, joins mes bras dans le dos et m’engage à sa suite.

Nous n’empruntons pas le même passage, mais avançons vers un pan de mur où une porte se dessine à l’approche du maître des lieux. Le charnier s’agite toujours sous chacun de mes pas, me donnant la nausée. J’avance et frissonne d’épouvante avant de m’arrêter net devant la porte. Un homme et une femme l’encadrent, debout, tenant chacun au-dessus de sa tête le symbole sanglant d’Astaroth, directement planté dans leurs mains. Leur cage thoracique est ouverte, béante, le rouge écarlate de leurs organes offre un contraste lugubre avec leur peau ivoire. Cette fois, je m’efforce de ne pas croiser leurs regards, je ne me sens pas capable de supporter l’horreur qui s’y trouve.

Je ne veux pas finir comme ça. Peut-être aurais-je dû accepter l’échange avec Qiao ?

Non.

Les deux seules options acceptables sont de soit quitter cet endroit… soit finir dans le couloir. Bien consciente que mes réelles options sont plus restreintes que ça, je ravale mes larmes, fixe mon attention entre les omoplates de mon hôte avant de le suivre.

Nous arpentons de nombreux couloirs, de nombreuses pièces : salles d’armes, salles de tortures… Aucun de ces lieux n’est vide : des esclaves, des victimes, des créatures immondes (semblables à celles de la plage noire) s’y activent et toute activité s’y arrête à l’entrée d’Astaroth, attendant religieusement ses instructions, ses ordres. Un simple et subtil hochement de tête de sa part suffit à ce que toute l’horreur reprenne son train infernal.

Plus nous avançons et plus la chaleur monte et pourtant je tremble. Mes entrailles font les montagnes russes, ma nuque est hérissée de chair de poule, je sens mes mains moites, mon champ de vision diminue tandis que mon sang semble quitter mes extrémités. Si j’avance encore, ce n’est que par crainte de mon bourreau, mon instinct de survie, lui, me hurle de fuir.

Nous nous arrêtons enfin devant une porte titanesque, d’un noir abyssal. Je tiens à peine debout quand Astaroth daigne tourner son regard vers moi, il semble agréablement surpris. Je distingue vaguement un sourire sombre sur ses lèvres avant qu’il ne se tourne et tende sa main face à la porte, celle-ci disparait alors en volutes de fumée épaisse, dévoilant l’origine de la peur acide qui s’est glissée sous ma peau.

— Je te présente mes légions, annonce-t-il simplement.

Aussi loin que porte mon regard, je ne vois que des monstres, des créatures humanoïdes et inhumaines. Ils sont de toutes tailles et de toutes formes. Pourvus de pattes, d’ailes, de crochets ou de bras tranchants… Tous s’affrontent, se battent sur un terrain sombre et rocailleux, sous un ciel rouge. Ils sont des milliers, des centaines de milliers, peut-être plus. Une violente bourrasque, chaude et putride me pousse en arrière. Tout espoir m’a quitté, la seule émotion qu’il me reste est la terreur.

Sans même m’en rendre compte, je me recroqueville, mais je reste incapable de dévier mon regard. Mon corps ne m’appartient plus. Il tremble, traversé par de violents et douloureux spasmes d’effroi à l’état pur.

Le démon lève à nouveau sa main, faisant apparaître un voile de fumée obscure, refermant finalement la porte infernale. Il se penche légèrement vers moi, le regard froid.

— Je t’accorde quarante secondes pour retrouver une posture décente et vingt secondes de plus pour te redresser. Un. Deux…

Tant bien que mal, je tente de me redresser. En vain. Mon corps refuse de m’obéir, s’obstinant à trembler. La panique me gagne, ce qui n’arrange pas les choses.

— Vingt-deux. Vingt-trois…

Des larmes et de piètres gémissements de détresse m’échappent. Je parviens néanmoins vaguement à me mettre à genoux.

— Trente-quatre. Trente-cinq…

Putain, plus que cinq secondes.

Je lutte contre la douleur de mes tremblements et place un bras après l’autre dans mon dos.

— Trente-sept. Trente-huit…

Je sanglote pitoyablement tout en essayant de maintenir un semblant de posture. Les spasmes sont moins fréquents et moins douloureux, mais ils restent déstabilisants.

Alors que le décompte se termine, je suis à genoux, les mains vaguement dans le dos. Le regard que je lui offre est implorant. J’ai honte d’en être réduite à ça.

— Passable, dit-il avec une note de mépris. Un. Deux…

Les larmes inondent mes joues tandis que je m’efforce de me lever tout en étouffant mes gémissements. A « quinze », je suis enfin debout, ou du moins sur mes deux pieds.

— Vingt.

Le regard d’Astaroth est sombre. Il faut dire que je suis lamentable ; le corps recroquevillé, les jambes tremblantes, les bras peinant à se joindre dans le dos. Cette misérable posture sollicite toute mon énergie, j’appréhende de devoir marcher. Soudain, je sens des mains glacées se poser sur moi. Je regarde paniquée autour de moi, mais ne vois rien ! Simultanément, l’une se place autour de ma gorge et me tire vers le haut, me forçant à me redresser, deux autres tirent mes épaules en arrière, avant de glisser le long de mes bras pour s’en saisir et les rassembler dans mon dos, une autre paire force sur mes genoux… En tout, je sens une dizaine de mains me brutaliser pour finalement me maintenir parfaitement droite face à lui, dans cette posture avilissante.

— C’est ma dernière indulgence à ton égard. Tu es prévenue. Quelles que soient les circonstances, tu dois rester présentable. Digne de moi.

Indulgence ? Digne de lui ? Et puis quoi encore ! Mes émotions sont un vrai capharnaüm entre peur et dégoût. Je ferme les yeux et me concentre autant que possible sur le dégoût que m’inspire l’être qui me fait face.

Une à une, les mains glacées se détachent de moi, me rendant ma liberté. Une liberté bien chancelante. Un soupir de contrariété me fait rouvrir les yeux, juste à temps pour voir le déchu accrocher sa chaîne à l’anneau qui orne mon collier. Je ne me suis jamais sentie aussi humiliée, pas même par Solange.

A peine la chaîne est-elle attachée, qu’il se détourne et avance. Très rapidement, la limite est atteinte et tire sur mon cou. Je n’ai qu’une envie : résister ! Prouver que je suis quelqu’un et non quelque chose ! Ma résistance ne dure qu’une pitoyable fraction de seconde, à peine le temps d’y penser que je me mets en marche, suivant les pas du démon, trop effrayée pour essayer vraiment.

Nous marchons un moment, quand les couloirs me paraissent familiers. Il s’arrête finalement devant une porte noire, lisse, presque brillante.

— Approche, m’ordonne-t-il.

J’ai retrouvé l’usage de mon corps, aussi je m’exécute et me place à sa droite. D’un geste lent et gracieux, il tend sa main face à moi. J’hésite un instant avant de lui tendre la mienne, craintive… J’avais raison de me méfier : sans prévenir, il plante l’ongle de son pouce dans le creux de ma main, jusqu’à ce que ma paume soit remplie de mon sang. Je serre les dents à m’en faire mal, mais je retiens mes gémissements, j’ai bien compris que ce son était susceptible de le mettre de mauvaise humeur.

— Brave petite chose… murmure-t-il.

Avec mon sang, je l’observe dessiner un symbole sur la porte. J’essaie de retenir le tracé, en vain ! Ses gestes sont trop rapides, les traits complexes et pour compléter le tout, la porte semble boire le liquide carmin, ne laissant aucune trace.

Enfin, la porte s’ouvre. Nous sommes revenus au point de départ, dans la chambre.

J’ai peur.



* Oui, je sais, c'est pas cool d'arrêter ici x) *

* La suite au prochain chapitre, very soon, promis ! *

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