Comme son nom l'indique...

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Il y a de cela un certain nombre d'années (quand j'étais jeune en d'autres termes), je fis une rencontre qui me bouleversa pendant quelques temps, à sa manière. Un beau jour, je tombai amoureux, presque au premier regard, et ne sachant pas vraiment comment m'y prendre pour susciter l'intérêt de la belle égérie, j'entrepris de lui déclarer ma flamme épistolairement !

Voici, in extenso et reproduit ci-dessous en caractères gras, ce que je lui écrivis. Si vous êtes niçoise ou niçois (qui mal y pense), ne cherchez pas dans votre mémoire à qui tout cela pourrait bien correspondre : tous les prénoms ont été modifiés. Tous ? Non, un seul prénom résiste à l'anonymisation...

C'est un peu long à lire. C'est très infatué (ben quoi, vous n'avez jamais été jeune ?). Mais c'est rigolo. Surtout lorsque l'on sait le fin mot de l'histoire. Lequel est à la fin, comme son nom l'indique...

Mademoiselle,

C’est en user d’une façon bien singulière, j’en conviens, que recourir aux mots pour dire, à la place de soi, ce que l’on ne saurait pas dire, sans doute, à force de paroles, de chansons ou de gestes. Las ! Eussé-je seulement essayé de vous glisser deux phrases en enfilade, ce matin, à la terrasse du café dans quoi vous exercez vos bons offices, que je me fusse trouvé, immanquablement, à bredouiller comme un enfant timide qui récite un poème - qu’il ne comprend pas ; qu’il comprendra plus tard, au jour où le regard d’une femme inconnue s’en viendra tout soudain transpercer la fragile cotte de mailles de ses premières certitudes - sur l’estrade immense des derniers jours d’école.

Cela n’eût pas manqué de charme, peut-être, et vous vous fussiez attendrie sur mon sort, aimable et magnanime, en m’offrant, comme un baume apaisant, ce beau sourire ineffable et merveilleux qui se trouve attaché pour jamais au souvenir que je garde de vous. Ce beau sourire-là, oui, malicieux et fragile à la fois, dont vous êtes, quand vous ne le sauriez pas, et l’icône bénie et l’âme évanescente…

Qui suis-je, moi ? Je suis ce jeune homme qui ne pense plus qu’à vous depuis quelques jours. Depuis, en vérité, un premier regard et quelques mots, parfumés de sourire déjà, échangés sur les premières heures du tumulte joyeux de la Place Rossetti qui muèrent, sans que j’y trouvasse quoi que ce fût à redire, deux beaux croissants adultes par mon estomac attendus en deux petites choses de la même espèce, en deux croissants enfants. Nous avions, deux amis et moi-même, débarqués ce matin-là sur la place en quête de quelque havre qui eût daigné nous accueillir pour déguster, dans la fraîcheur sublime de la vieille ville encore assoupie, un paisible petit déjeuner.

Quel havre ne trouvâmes-nous pas ? C’est vous qui étiez là, comme veillant sur le bonheur du monde, le sourire déjà en ordre de bataille et votre humble douceur, telle un vieux chien fidèle, allongée à vos pieds. Nous nous assîmes, forcément, et commençâmes, avant que la moindre effluve de l’auguste bombance à quoi nous nous étions apprêtés fût seulement parvenue à nos narines, de savourer la joie de ces instants de quiétude.

Vous vîntes alors, d’un pas presque nonchalant, cueillir nos doléances et la lumière se fit. Nous étions là, qui n’osions vous commander, qui mesurions nos mots comme pour ne les laisser exprimer qu’un souhait, et vous étiez, vous, qui preniez acte de notre insolence matutinale, le général en chef des armées de la grâce. Mes amis vous trouvèrent jolie. Charmante. Moi, je ne trouvai de mot. « Belle », même, n’eût pas fait l’affaire tant il eût été loin du compte. Tant il n’eût fait, en vérité, qu’effleurer.

Il n’est pas de mots pour vous dire. Vous êtes l’idée même du sourire incarnée.

Dans les jours qui suivirent cette précieuse rencontre, je vous vis accoster, accompagnant une amie, aux rivages tranquilles de la rue Bunico. J’étais attablé, avec mon vieux camarade de débauche vespérale, à la timide terrasse du snack où nous jouons au go - un antique jeu chinois tout plein de chinoiseries… - lorsque vous entrâtes toutes deux.

Nous avions échangé, vous et moi, à nouveau, un regard et un sourire. Sans un mot, presque anodinement. Je ne sais ce que les miens vous dirent. Je n’ose croire qu’ils vous furent agréables. Mais les vôtres signèrent ma damnation…

Je ne suis, depuis, pas parvenu à m’interdire de songer à vous.

Je vous rassure, cependant. Je pense à vous, oui, mais sans crainte. Je pense à vous comme on se souvient des jours heureux ou bien des heures sublimes que l’on aura connus en ces temps de fortune où nous étions enfants. Je pense à vous tendrement et vous sais devenue ma douce nostalgie…

Ne m’en veuillez pas.

Le lendemain, mon ami et moi-même retournâmes sur les lieux de cet enchantement. Jonathan, l’affable maître des lieux, à qui, la veille, j’avais parlé de vous sitôt que vous fûtes partie, m’accueilla avec le sourire espiègle des aînés qui en savent plus long que leurs ingénus cadets. Je compris, bien sûr, qu’il s’agissait de vous et m’empressai de m’enquérir de vos nouvelles. J’appris que vous cherchiez un appartement et que vous vous prénommiez : Catherine.

Il y avait Sainte Catherine, la Grande Catherine ou, chère au cœur des professeurs d’histoire de nos doux littoraux, Catherine de Ségurane. Et dix autres encore, toutes en italique.

Il y a désormais, pour moi, Catherine.

Chère Catherine,

Voilà que je commence de vous connaître un peu, malgré vous.

Malgré toi. Et toi tu ne sais rien de moi. Voici donc : Je m’appelle Baptiste et je ne cherche pas d’appartement. Nous sommes quitte. Pour ce que nous savons l’un de l’autre du moins. Pour ce que tu m’as donné, par contre, pour ce sourire rare et ce regard immense en d’autres termes, je ne sais comment te les rendre. Je te donne ces mots, trop nombreux, trop bavards peut-être, mais sincères. Je te les donne comme je déposerais un baiser sur ton front si j’étais quelque dieu de l’Olympe descendu, si j’avais ici bas quelque pouvoir insigne. Je te les donne et t’en demande pardon.

Ce matin, l’occasion faisant le larron, je suis venu, à nouveau, te voler un sourire et un regard. Je m’étais, avec ce même ami, installé au plus loin de ton comptoir. Je voulais, aux indulgentes heures du petit jour, te contempler un peu comme un jeune héritier embrasse du regard la paisible beauté d’un paysage sans bornes qui lui sera, sans qu’il n’y ait pourtant jamais pris garde, un beau jour échue.

Je voulais te voler un sourire et un regard. Tu m’en as donné mille…

Grâces t’en soient rendues. Pour jamais.

Quant à ceci, n’aie crainte, je t’en prie. Ce ne sont là, en vérité, que des mots. Ils disent le détour qu’a fait en mon jardin, pour quelques jours bénis, la félicité. Ils disent une impression fugace, une rencontre avec la lumière. Ils disent des instants cheminés au flanc de la beauté.

Ils savent se contenter du simple mérite d’avoir existé. Et moi, je ne suis rien de plus.

Baptiste.

Bon, c'est bien joli tout ça mais après ? ne manquerez-vous pas de me dire. Eh bien voici : je confiai cette lettre à mon ami qui habitait dans le Vieux Nice à cette époque afin qu'il la lui remit en mains propres dès le jour-même. Quoi qu'en rechignant un peu, il s'acquitta obligeamment de cette délicate mission. Ce soir-là, ainsi, Catherine sut que je l'aimais. Le seul petit problème - et c'est Jonathan qui me l'apprit d'un air contrit le lendemain - c'est que Catherine ne s'appelait pas Catherine. Ce gougnafier (à sa décharge, il était d'origine allemande et quoi qu'il parlat un français excellent, il arrivait que nous fussions obligés de nous y reprendre à deux fois pour nous bien comprendre) s'était trompé de muse ! Catherine était le prénom de l'autre, l'amie qui l'accompagnait ce soir-là lorsqu'elles vinrent lui rendre visite alors que mon compagnon de débauche et moi-même jouions au go, à la terrasse de son petit troquet.

À quoi tient une destinée ?

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