Par-delà les mers
A présent nous étions sûrs de nous en tirer. Je regardais autour de moi, encore un peu sonné par les évènements. Mes oreilles bourdonnaient et ma vision était trouble. Je fis quelques pas, vacillants, et m’assit lourdement sur le plancher. Devant moi, la mer, calme. Le soleil se couchait sur l’horizon, l’enveloppant de ses bras de lumière. Nous l’avions fait. Nous nous en étions débarrassé, enfin. Je ne réalisais pas ce qui m’arrivait, ce que nous venions d’accomplir. Tout ça, toute cette horreur, c’était terminé.
Je jetai un coup d’œil aux alentours. Le capitaine regardait sa boussole, l’air concentré. Ses sourcils étaient froncés, comme d’habitude. Ça lui donnait un air sévère, mais nous savions tous qu’il ne s’agissait que d’une façade car il était l’homme le plus gentil et le plus juste que j’avais eu la chance de rencontrer. Il leva les yeux et vit que je l’observais. Un sourire se dessina sur ses lèvres, creusant les rides sur ses joues tannées par le soleil et le grand air.
—Où allons-nous, capitaine ? lançai-je, ragaillardi, commençant à reprendre le contrôle de mes émotions.
—Au port, répondit l’homme bourru en se passant une main dans sa barbe. Nous avons rendez-vous avec la terre ferme, mon p’tit gars !
Je ne pus retenir un sourire éclatant. Je rêvais de retourner chez moi depuis longtemps. Ma famille me manquait terriblement, et je n’avais pas beaucoup de nouvelles. Je pensais à Mary, orpheline, que j'avais laissée avec ses frères. La pauvre devait s'occuper de son foyer seule, alors qu'elle n'était qu'une enfant. Généralement, je lui rapportais un peu de pain que je volais en douce à la boulangerie où je travaillais. Ce n'était pas grand chose, mais je ne pouvais rien faire de plus. Je tirais une photographie de ma poche. Une charmante jeune fille, vêtue d'une robe à fleurs souriait. Elle devait avoir beaucoup grandi, à présent, la petite Mary. Tout comme moi.
Je n'étais qu'un gamin lorsque j'ai décidé de venir travailler sur ce rafiot, histoire d’avoir un peu d’argent à la fin du mois. Mais la guerre avait éclaté et bien sûr, le Dragon avait été réquisitionné et armé pour entrer dans la cour des grands. Les batailles s’étaient succédé, j’avais perdu beaucoup d’amis chers à mon cœur. Mais aujourd’hui, tout cela était derrière nous. Voilà plusieurs mois que je ne m'étais pas regardé dans une glace. Je sentais que mes joues s'étaient creusées et mon corps fortifié. Une barbe drue recouvrait mes joues, et je me demandais si à mon retour, Mary me reconnaitrait.
Ces pensées en tête, je marchais le long du pont principal, et montai sur la proue. Là, les jambes balançant au-dessus de l’écume, je tentais d’apercevoir le continent. Fini l’angoisse, la peur, la souffrance. Fini, de ne plus dormir tant la crainte et la faim vous nouent l’estomac. Nous étions enfin libres, enfin ! La guerre était terminée, et maintenant, je rentrais chez moi. J'avais tant de fois rêvé ce moment.
Il n'y avait plus besoin d'espérer. Nous étions sûrs de nous en tirer.
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