Date de retour

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Il y avait de la musique, j'en suis sûre. Ce n'était pas une musique triste qui vous donne envie de pleurer instantanément, c'était une musique joyeuse et pleine de vie. Je ne me souviens pas bien de l'air, mais je sais qu'ils avaient fait de la musique.

Avant d'y aller, ma mère m'avait demandé si je voulais être habillée comme les adultes. Je ne comprenais pas ce que ça voulais dire alors j'ai répondu oui. Je n'aurai sans doute pas dû. J'aurais peut-être réussi à faire afficher des sourires sur le visage des autres. L'innocence de la jeunesse. Je ne sais plus quel âge j'avais. J'étais petite. Ma mère me l'avait annoncé comme ça, de but en blanc, en sortant du carnaval de l'école, c'était un 28 février, mais je ne sais plus l'année. Je devais encore être pleine de confettis dans un costume d'elfe, ou de princesse, ou de princesse elfe, j'avais déjà réussi à faire les deux en même temps, et j'en étais très fière. C'était toujours ma maman qui me faisait des costumes. Peut-être avais-je la robe bleu avec le parapluie sur lequel on avait passé plusieurs heures à accrocher des perles en forme de gouttes d'eau, ce qui était dommage, c'est que ça faisait des nœuds. En bref, je ne sais plus quel costume c'était. Nous marchions le court trajet qui nous ramènerait à la maison, 5 minutes de marche, tout au plus. On parlait de tout et de rien et le sujet de la mort est arrivé sur le tapis je ne sais comment peut-être a-t-on vu un oiseau mort le long du trottoir, je ne sais plus. Maman m'a dit avec son tact légendaire "ah oui, au fait, à propos de mort, Lolo est mort aujourd'hui à l'hôpital". Je ne sais plus ma réaction, c'est toujours dur d'avoir une réaction parfaite quand on vous dit ça. Peut-être ai-je seulement dit "Ah" sans aucune émotion, c'est étonnant la mémoire, on se rappelle des phrases qu'on nous dit, mais impossible de se rappeler de ce qu'il s'est passé dans notre tête. Je crois que j'ai été triste. Je l'aimais bien, en fait, c'était même plus que ça, pour moi, il faisait parti de la famille, je l'avait toujours connu. La nuit où je suis née, c'est lui qui a gardé mon frère à la maison après avoir attendu les contractions de maman avec d'autres amis en faisant de la musique toute la nuit. Ils avaient même composé une musique pour l'occasion. Elle est belle. Elle s'appelle "en attendant Louise". Je l'aime beaucoup, c'est un souvenir très précieux qu'il m'a laissé de lui. Papa et maman ne jouent pas dedans, c'est seulement Lolo, Éric, et Dji. Dji, je ne sais plus qui c'est. C'est comme Lolo et Éric, je les ai tous toujours connus, mais Dji, je ne sais plus qui c'est. Je ne suis même pas sûre de savoir comment ça s'écrit. Éric, je me souviens qu'il a récupéré un instrument de musique qui appartenait à Lolo. C'était un cistre je crois, avec une incrustation de nacre dans le manche, j'ai toujours trouvé cet instrument très beau, c'est papa qui l'avait fabriqué exprès pour Lolo. Papa, il était cuisinier avant, mais aujourd'hui, il est Luthier, il fabrique des instruments médiévaux. Il en a même inventé un !

Lolo quand il était à la maison, il jouait avec Nestor. Nestor, c'était le chat. Un chat tout doré qui savait tout faire, avec ma sœur une fois, il s'était mis à faire du toboggan. Ma sœur, je me souviens qu'elle avait fait des concerts avec Lolo, c'était beau. Ma chanson préférée, c'était Milou, on peut l'écouter sur YouTube. Ma sœur, c'est Galadrielle, un prénom d'elfe. En vrai, c'est ma demi sœur, mais je n'aime pas dire ça, c'est ma sœur en entier, c'est tout, je l'aime pas à moitié ! C'est pareil pour mon autre frère, Quentin, c'est mon demi-frère, mais on ne le dit pas. C'est pas parce qu'on a pas le même papa que je ne vais pas l'aimer en entier. Je suis la petite dernière de la famille, et j'en profite, je peux faire comme si je ne comprends pas ce qu'ils disent alors qu'en vrai, j'en loupe pas une miette. C'est bien d'être un enfant. Celui qui à un âge le plus proche du mien, c'est Jean. "Petit jean" comme disent les grands. On a deux ans d'écart. Gala et Quentin, ils ont un peu plus de 10 ans de plus que moi. Jean, je me souviens qu'il a pleuré quand Lolo est mort. Moi non, il a pleuré pour moi, tout comme j'ai pleuré pour lui, quand le chat est mort. C'était très peu de temps avant, alors j'ai pleuré une seule fois pour les deux événements. J'aurais sans doute dû pleurer deux fois, mais ça s'est trouvé comme ça. Je crois que j'ai pleuré intérieurement. J'ai dû préférer cacher ce que je ressentais pour ne pas rendre les autres plus tristes, j'aime voir les gens heureux, alors quand je suis triste, je le garde pour moi pour que les gens que j'aime ne soient pas affectés. Et puis, quand tout le monde est triste, il faut bien finir par trouver quelque chose pour être à nouveau heureux. Et ce quelque chose, j'aimais bien en prendre le rôle. J'étais là plus petite, alors on me pardonnait quand je disais une bêtise, mais ça faisait rire alors je continuais. La veille de l'enterrement, maman m'avais donc demandé si je voulais être habillée comme les adultes, et cette réponse franche "baaahhh oui" était une incompréhension de ma part. Pourquoi aurais-je été habillée différemment ? Pourquoi les enfants devraient ils être habillés différemment. Je n'avais pas compris que cette réponse me ferait porter la chose que je détestais le plus : une robe noire, jusque-là ça va. Mais dedans, j'avais juste l'impression d'être un pouf. Pas une pouffe, mais bien UN pouf, le genre de truc où les gens posent leurs pieds devant la télé, on en avait deux à la maison, carrés, verts, en tissus, bref rien pour plaire. Et dans cette robe, j'avais l'impression d'être transformée en pouf, je ne saurais pas expliquer pourquoi. J'ai quand même dû la mettre, je faisais petite-fille très sage, trop sage même, tout le monde sais que les enfants ne sont pas sages, ils sont même là pour prouver l'inverse. Mais là-bas, je me suis tenue à carreau. Je savais que Lolo n'était pas croyant, pourtant, il y a eu une cérémonie à l'église, je ne sais pas s'il aurai voulu ça. C'était un enterrement en grandes pompes. Il n'avait à proprement parler pas de famille, seulement des amis, il s'était trouvé quelqu'un à aimer et était aimé un peu avant de partir. Je n'aimais pas cette femme particulièrement, mais tant qu'il était heureux, ça m'allait. Il avait le diabète, je sais ce n'est pas sensé faire mourir quelqu'un, mais il avait en prime, un cancer de je ne sait pas quelle partie du corps, mais un cancer, ce n'est jamais bon. Moi-même étant athée, la cérémonie m'a quelque peu ennuyée, je sais, c'est mal de dire ça, mais c'est la vérité. Je crois que dans l'église, maman lui a joué un morceau d'accordéon, je ne suis pas sûre, elle en a joué à un moment, j'en suis sûre, elle chantait aussi, mais je ne sais plus si elle l'a fait dans l'église, ça aurai du me marquer, on est pas habitués à entendre un accordéon dans une église. Devant le grand trou où ils ont mis le cercueil, je crois qu'on a refait de la musique, ça aurait été normal, il aimait la musique, nous aussi, alors c'était dans l'ordre des choses d'en faire quand il partirait. C'était beau. Pour un enfant, un enterrement ça paraît long, triste aussi, mais long. La musique, ça m'a fait oublier que c'était long. Ce jour-là, c'était juste beau. Après ça, on est rentrés. Gala, Quentin, Maman, Papa, Jean, Moi, on était triste, mais pour moi, c'était passé, c'est comme ça un enfant, ça laisse filer les événements, et ça s'arrête pas de vivre à cause d'un ami qui est parti plus tôt, trop tôt, jamais assez tard. On voudrait qu'il revienne, mais ça ne marche pas comme ça. C'est comme partir en voyage sans prévoir de date de retour, et pour les autres, la date de notre retour, le jour des retrouvailles, c'est le jour où ils partiront à leur tour.

P.S. cette histoire est inspirée de faits réels qui sont arrivés il y a déjà pas mal d'années...

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