Psaume 91
"Dear Land Lord,
We discovered this wonderful house during our 3 days hike through this marvellous area.
Our group of 15 people felt free to make use of the warmth of your house. We used it with respect and left it as found.
Thank you veerryy much and Gods blessings for the rest of your life."
("Cher propriétaire,
Nous avons découvert cette merveilleuse demeure au cours de nos trois jours de randonnée dans cet endroit merveilleux.
Nous groupe de 15 personnes s'est senti autorisé à profiter de la chaleur de votre maison. Nous l'avons utilisée avec respect et laissé comme nous l'avons trouvée.
Merci Beaaaauucoup et soyez béni pour le restant de vos jours.")
Le mot avait été laissé évidence sur la table, il ne comportait aucune date. Comme il ne parlait pas l'anglais, elle le lui traduisit.
Elle découvrait émerveillée ce petit coin de paradis, dans la montagne de Chartreuse, qu'il avait choisi de ne pas fermer à clef pour que chacun puisse en profiter.
Lui était heureux de voir que ce groupe d'étrangers était parti en laissant le refuge dans un état irréprochable. Les randonneurs avaient laissé quelques petits aménagements alentours : un tas de bois bien sec sous la pente du toit, des toilettes creusées dans le sol avec des rondins pour les signaler et en améliorer le confort. A l'intérieur tout était propre et rangé.
Ils posèrent leurs sacs de randonnée et commencèrent à s'installer pour passer la nuit. Il s'occupa de démarrer un feu pour faire des braises car ils avaient prévu des pommes de terre au dîner. Elle monta les sacs de couchage dans le dortoir et installa les matelas parallèles et proches de quelques centimètres. Dans la pièce du bas, elle disposa des photophores sur toute la longueur du muret de béton et cacha deux gros paquets d'allumettes dans une vieille boîte en fer puis elle sortit.
Le feu démarrait doucement. Il tourna la tête vers elle et lui adressa un sourire. Son coeur bondit dans sa poitrine. Quel meilleur endroit, quel meilleur moment pour lui avouer enfin ses sentiments? A la lueur des bougies ce soir, elle trouverait le courage.
Il ajouta des morceaux de bois plus gros dans le foyer et proposa une petite balade aux alentours. Ensuite ils ouvriraient une bouteille de bière pendant qu'elle était encore fraîche.
Plus loin sur le chemin, ils découvrirent un abreuvoir qui recueillait l'eau d'un petit ruisseau. Malgré la chaleur caniculaire de ces derniers jours, le débit restait important.
Ils plongèrent les mains dans l'eau fraîche et s'aspergèrent en riant. Elle lui montrait des plantes qu'elle reconnaissait, des trous dans les troncs qui trahissaient la présence d'un pic vert ou des branches de sapins qui poussaient de façon surprenante. Lui cherchait à débusquer le sentier de randonnée qui menait au col de Fontagnieu. Il souhaitait monter jusque là-haut. Souvent, il marchait quelques pas devant et elle dévorait du regard cette silhouette qu'elle adorait. Ils s'étaient rencontrés lors d'une fête de village. Depuis ils étaient allés au cinéma ensemble, boire des bières dans un pub en ville, avait fait des barbecues avec des amis communs mais il restait mutique sur sa solitude. Elle connaissait sa maison, son travail, ses amis mais pas les secrets de son coeur.
Ils redescendirent doucement vers le refuge. Près du feu, elle emballa les pommes de terre dans du papier aluminium et il servit la bière. La soirée passa. Il racontait ses souvenirs de jeune homme avec son père dans ce minuscule village et comment il était devenu propriétaire de ces quelques hectares de forêt et de cette cabane. Elle égrainait des anecdotes de son premier emploi de jeune femme dans une colonie de vacances dans le massif.
Le soleil se coucha.
La bière fut bue, les pommes de terre dévorées.
La fraîcheur les fit frissonner.
Il bailla et souhaita se coucher. Elle le suivit dans le dortoir.
Tandis qu'ils enlevaient leurs polaires, leurs chaussettes et leurs pantalon pour se glisser dans leur sac de couchage, elle crut bon de justifier le peu d'espace qui les séparait.
- Si on a froid cette nuit on pourra se coller l'un à l'autre pour se réchauffer.
Pour toute réponse il lui sourit. Il souffla la bougie.
- Même dans le noir on peut continuer à parler si tu veux.
- Ca tombe bien, j'ai quelque chose de spécial à te dire.
Et elle se jeta à l'eau.
Elle lui dit combien elle se sentait apaisée quand il était avec elle, que tout lui paraissait simple et doux. Que depuis longtemps déjà elle rêvait qu'il la prenne dans ses bras. Qu'un soir d'été, l'année dernière, alors qu'il sirotait un verre de vin sur sa terrasse, elle avait réalisé qu'elle l'aimait.
Il ne répondit pas mais se tourna vers elle et s'approcha très près. Il prit ses lèvres. Elle en eût le souffle coupé. Ils cherchèrent leur peau précipitamment et firent l'amour longuement.
Au petit matin, il n'était plus auprès d'elle. Elle entendit dans la pièce en dessous qu'il préparait un petit déjeuner. Elle laissa échapper un long soupir d'aise dans un sourire.
Le lundi matin suivant, elle travaillait, la tête ailleurs, le sourire aux lèvres. En fin de matinée elle reçut un sms :
"Je ne veux pas te faire de mal, tu m'es trop précieuse, mais je ne suis pas prêt pour m'engager dans une relation. Je pense qu'il vaut mieux que nous prenions un peu de distance pendant quelques temps. Par contre si tu le souhaites, tu peux aller aux Cloitres quand tu le veux"
Son coeur se déchira. Elle demeura dans un état de sidération tel que son chef de service la fit accompagner chez un médecin.
Le tocsin sonnait. Un couple de personnes agées effondrées sortaient de l'église. Il reconnut ses parents qu'il avait vu sur des photos. Il avait appris son décès quelques jours plus tôt par une amie. Il n'avait pas osé demander pourquoi on ne l'avait pas prévenu plus tôt. Il devinait aisément la réponse. Elle avait probablement fait en sorte que cela n'arrive pas.
Après ce dernier week end passé dans la montagne et ce sms assassin qu'il lui avait envoyé, elle n'avait plus donné signe de vie. Elle ne venait plus chez lui, elle n'était jamais présente aux soirées entre amis. Il avait pensé qu'elle avait mal pris cette fin de non recevoir mais n'étant pas amoureux d'elle il n'avait pas imaginé la violence avec laquelle elle avait reçu ce message.
Une grande femme brune, très belle, s'approcha de lui en pleurant. Il fût tiré de ses pensées quand elle posa délicatement sa main sur son bras.
- C'est allé si vite. Elle m'a demandé de te donner ça quand elle serait partie. Je l'ai supplié de se battre mais je voyais bien qu'elle n'avait qu'une idée en tête : partir. Mais qu'est-ce qui a bien pu se passer? D'un seul coup l'été dernier, elle est devenu un fantôme.
Il la regardait hébété, laissant doucement les mots cheminer jusqu'à son cerveau. Il resta là, sans bouger, au pied du parvis de l'église jusqu'à ce que le froid le fasse frissonner. La pluie se mit à tomber. Il se réfugia dans sa voiture et quand il voulut insérer la clé dans le contact il réalisa qu'il tenait une enveloppe dans la main droite. Il l'ouvrit en tremblant et lut les quelques mots écrits à la main :
"J'ai fait des Cloitres le sanctuaire de mon amour"
Il tourna la clé et prit la route de la Chartreuse. Une heure plus tard il gara sa voiture au bord du sentier. Il entama l'ascension sans réfléchir ni à l'heure, ni à la température qui descendait en dessous de zéro. Quand il vit la silhouette sombre du refuge la neige commençait à tomber. A l'aide de la torche de son téléphone portable il détailla la façade. Il n'était pas revenu depuis l'été dernier. Des charnières métalliques avaient été posées sur le panneau de bois qui servait de porte. Mais pas de clé, pas de verrou. Il poussa la grosse pierre qui tronait devant la porte et tira le battant. A l'intérieur, un vieux poele à bois avait été installé. Le tuyau de dégagement des fumées sortant par une pierre qui avait été dessertie du mur du fond de la pièce principale. Sinon, rien n'avait vraiment changé. Il chercha les allumettes et trouva des grandes bougies. Il illumina l'intérieur de la cabane et démarra un feu dans le poêle. Puis il s'assit sans avoir quitter son épais manteau de laine.
Il resta ainsi sans bouger. De sa mémoire, la silhouette fine de la jeune femme revint. Elle se pencha vers lui et lui sourit. Il crut l'entendre murmurer les mots qu'elle avait écrit pour lui avant de partir. Son coeur se serra et des larmes embuèrent son regard. Il les laissa sillonner ses joues quelques minutes et s'essuya d'un revers de manche. Il se leva et toucha chaque objet de la pièce. Il ouvrit chaque boîte, découvrit des sachets de thé, des couverts, des petits ustensils de cuisine, des crayons. Et au bout de la poutre, un carnet de format A4, avec une grosse couverture noire en imitation cuir. Il l'ouvrit au hasard et découvrit la même écriture que plus tôt. Entre certaines pages, une fleur séchait. Plus loin, une plume de geai. Elle avait fait des dessins d'oiseaux, d'arbres, du ruisseau. Tout au stylo noir. Sur la dernière page, il découvrit un portrait de lui saisissant de vérité, jusque dans son regard. Il commença la lecture au début du carnet. Elle avait passé ici chaque week end depuis l'année dernière. Jamais elle n'avait manqué une semaine. Elle racontait par le menu ces journées de solitude et souvent de chagrin. Parfois elle lui parlait directement, comme si elle savait qu'il allait lire ses mots. Elle lui redisait son amour.
Vers le début de l'automne, elle avait passé des nuits blanches à cause du froid. Elle avait donc acheté chez un brocanteur ce vieux poêle qu'elle avait installé elle-même.
Plus il avançait dans sa lecture, plus il réalisait la blessure mortelle qu'il lui avait infligé. Au petit matin, bien avant que le soleil ne franchisse la crête de la montagne, il posa le carnet qu'il avait fini de lire. Il escalada l'échelle qui menait au dortoir et découvrit une caisse en plastique qui renfermait son sac de couchage et son petit matelas. Il les descendit dans la pièce du bas. Il entassa toutes les branches sèches et les bûches qu'il trouva au milieu de la pièce par dessus le couchage puis il enflamma le tout. Il prit le carnet et redescendit d'un pas lourd jusqu'à sa voiture.
Psaume 91
1 Celui qui demeure sous l'abri du Très-Haut repose à l'ombre du Tout Puissant.
2 Je dis à l'Eternel : mon refuge et ma forteresse, Mon Dieu en qui je me confie!
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