Chapitre 7

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« Jeudi 11 août 2022. hum… hum.

Je… je vais tenter une expérience nouvelle. J’espère la conduire à terme… indemne. C’est pour ça que je fais cette vidéo en direct. Toutes mes expériences engrangées… non… engagées jusqu’à maintenant ont été faites avec des poissons. Sauf une. Un test réalisé avec un petit jouet miniature radioguidé. Cet essai, effectué il y a 10 jours… ou 12, je sais plus. Vous regardez la date dans la vidéo. Elle est sur cette chaîne. Bref, on y voit le modèle réduit d’un sous-marin traverser le portail, dans un sens comme dans l’autre, sans être aspiré. Or, forte est.... hum hum. Pardon. Force est de constater que, pour l’ensemble des expérimentations que j’ai menées moi-même et personnellement, parce que je suis seul à le faire… et bien à chaque fois, toutes les races de poissons, même les plus voraces que j’ai prélevés de mes autres aquariums ont disparu sous le torii. Tous, sans acception. Exception ! De poids ou de taille ou même d’heure de passage. On peut alors commencer à envisager l’hypothèse que l’effet de disparition n’agirait probablement que sur les organismes vivants. »

Je prendrai bien encore une gorgée d’alcool pour me donner l’étincelle de courage qui me manque. Mais je viens de lancer la transmission directe. On va voir que je m’absente. Et tout ça pour revenir, un verre à la main. Et puis, je ne pourrais peut-être pas récupérer la vidéo pour couper les parties de cet enregistrement. Ah, je suis en direct. C’est vrai.

« Au total, depuis la réalision… pardon, la ré-a-li-sa-tion des clips, 43 poissons ont disparu. Mais, aujourd’hui je… je suis à court d’individu. Je n’ai pas pu aller m’approvisionner dans la journée pour raison de santé et le magasin ferme ses portes pour… euh… 15 jours. Il est temps, alors, pour moi, de faire une expérience. Un test que j’ai repoussé jusque là. »

Allez, tant pis pour le verre. Courage ! De toute façon, je n’ai pas grand-chose à perdre, hormis ça. Mais il m’en restera 9…

« Je vais maintenant passer le doigt à travers le portail, dans le même sens que celui emprunté par les poissons et vous dire, vous décrire toutes mes sensations. J’espère que ça va aller… »

Je plonge lentement la main dans l’aquarium. Le témoin lumineux de l’enregistrement continu à clignoter. Je tends l’index vers le petit torii. J’avance mon extrémité, centimètre par centimètre vers le portail, le bras immergé dans cette eau, trop claire, d’une douceur intruse et à la tiédeur malaisante. Des sueurs froides perlent sur mon front. Je ne pense pas que ce soit que l’alcool. Mes respirations, de plus en plus profondes, vont jusqu’à couvrir le bruit de la pompe. Malgré le stress, les tremblements, je me convaincs à poursuivre. Je passe le doigt, lentement, sous l’objet. Je gonfle une fois de plus mes poumons comme si j’allais m’immerger tout entier sous l’eau. Je me prépare au pire. La caméra sous-marine enregistre elle aussi. À côté de moi, le téléphone sans fil sur lequel j’avais précomposé le 15 reste à portée de main. En cas d’incident, je n’aurais plus qu’à valider le numéro et lancer l’appel. Je passe en revue tous les scénarii possibles. Je me rends compte que je suis trop tendu pour pouvoir décrire quoi que ce soit. Je demeure muet, transi par l’expérience et ses risques, en alerte, prêt à réagir à la moindre brûlure, au premier picotement ressenti.

La première phalange est désormais passée sous l’arche miniature. Je me penche alors davantage au-dessus du bassin pour vérifier si le bout de mon doigt est bien visible de l’autre côté. Je continue à avancer cette infime partie de moi sous le portail, centimètre par centimètre et reste à l’affût de toute sensation inhabituelle. Concentré, silencieux, l’index tendu sous ce petit élément de déco, je redoute un événement quelconque. En l’absence de toute perception notoire, je plie les phalanges, doucement, de l’autre côté du portail. Puis, décide d’y introduire le majeur, rejoint par l’annulaire. Rien ne se produit. J’attends. Je prolonge encore le moment. J’ai beau patienter encore et toujours, je pense que rien de particulier ne va naître de cet essai. Je viens juste de plonger la main dans un aquarium pour passer mes doigts sous un torii miniature… en m’étonnant de les voir de l’autre côté. Voilà tout. Fin de « l’expérience ».

Ça fait 5 minutes. Ma respiration s’est désormais régulée. Je sors le bras de l’eau, l’essuie et analyse mes doigts, cobayes de cette expérience. Mis à part les rides qui couvrent ces parties plongées dans l’eau, absolument rien de particulier n’est à signaler. Je coupe la diffusion du direct. Je me rends compte qu’avec le stress, j’ai complètement oublié de parler durant l’expérience. Pourvu que la vidéo n’ait pas été vue par quelqu’un de sérieux.

Voilà des semaines que mes recherches stagnent. Je n’arrive plus à avancer. Mon état de santé se dégrade, mes calculs n’aboutissent à rien. En l’absence de découverte récente, je suis dans une impasse. J’aurais peut-être dû rester optimiste.

Maintenant, autant reprendre un verre.

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