Chapitre 9 : Solitude partagée

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  La mystérieuse femme poussa violemment son otage, que Célia attrapa dans ses bras. Aelia se cacha derrière elle, sanglotant de peur. L’inconnue sortit de la paroi rocheuse et avança vers les inséparables. Elle les menaça de ses machettes et attendit, parfaitement immobile. L’aînée fit reculer sa sœur et se plaça face à la créature fantastique. Elle essayait de paraître forte, mais ses jambes tremblantes et sa voix hésitante trahissaient sa peur.

  — Nous avons découvert cet endroit par hasard et nous nous y sommes réfugiées. Nous voyageons à la recherche de la Dame Légendaire. Une guerrière capable de vaincre les démons qui envahissent nos plaines depuis quelques mois. Je l’ai déjà rencontrée une fois, dans notre village natal. Elle a tué un ange qui voulait…

  — Un ange, vous dites ? Un serviteur de Sorane ?

  — Oui, il avait prononcé ce nom. Vous savez quelque chose ?

  Cette question sembla gêner son interlocutrice. Cette humaine possédait bien plus d’informations qu’elle ne le devrait. Elle rengaina ses machettes et changea d’approche.

  — Si la reine Sorane a demandé aux siens de surveiller ces plaines, alors elle le fait sans l’approbation du conseil d’Aldria. Erulyn doit être avertie au plus vite.

  — Erulyn ? Qui est-ce ?

  — L’actuelle souveraine des elfes et de Sylvae, capitale de la région des forêts envoûtées. Je m’appelle Tyane, son espionne personnelle et cheffe de l’Ordre des Racines.

  Les elfes. Encore des créatures fantastiques sorties des légendes des conteurs. Leurs récits parlaient d’un peuple magique aux longues oreilles et dévoué à la nature. D’autres textes auraient indiqué qu’à une époque lointaine, cette espèce se serait éteinte suite à une catastrophe naturelle. Avec le recul et ses esprits calmés, Aelia trouvait son visage d’une extraordinaire beauté malgré sa peau blafarde et l’étrange couleur de ses iris. Lorsque les yeux de Tyane se posèrent sur elle, l’enfant baissa la tête, comme coupable de l’avoir regardé.

  — Revenons au sujet principal : les anges et cette mystérieuse guerrière. Expliquez-moi tout ce que vous avez vécu. Vous avez toute mon attention.

  Sans attendre au risque d’attirer les foudres de cette impitoyable combattante, Célia rapporta dans les moindres détails les événements. De sa rencontre avec Jael jusqu’à l’apparition de la Dame Légendaire. Cependant, elle préféra garder pour elle l’horrible souvenir du monde en ruine et en proie aux ténèbres qu’elle avait vu. Tyane l’écouta sans l’interrompre, comprenant peu à peu ce que cela pourrait impliquer dans un avenir proche. Lorsque Célia eut achevé son récit, la créature fantastique posa une autre question :

  — Que savez-vous sur la magie et les Neantys ?

  — Rien du tout, répondit l’aînée des sœurs. Les Neantys, vous parlez des démons ? Je n’en ai jamais aperçu.

  — Vous êtes donc parties voyager sans une réelle connaissance de ce danger et armées d’une pauvre rapière ? Insouciance ou inconscience, vous avez une chance inouïe d’être encore en vie.

  Cette remarque resta en travers de la gorge de Célia qui serra les poings. Tyane avait raison, mais l’humaine n’acceptait pas que ses décisions soient remises en cause. Elle se retenait d’insulter l’elfe, qui reprit la parole.

  — Cette situation nous force à collaborer. Vos informations et votre témoignage sont d’une extrême importance et doivent être immédiatement rapportés à ma souveraine. Dans un intérêt mutuel, le mieux serait que vous me suiviez jusqu’à Sylvae. Là-bas, plus rien ne pourra vous atteindre et nous vous traiterons avec la bienveillance qui fait la fierté de notre peuple.

  Après ce qui venait de se passer, cette bienveillance paraissait bien présomptueuse. Comment croire une personne qui l'avait menacé, en plus d’avoir fait du mal à sa précieuse petite sœur ?

  — Si nous refusons, vous nous éliminerez pour que votre secret perdure ?

  — Bien que je vous accorde que notre premier échange ne va pas dans le sens de la paix, vous tuer serait à présent contre-productif. Si ce que vous affirmez est avéré, c’est que quelque chose se trame. J’insiste sur le fait que vous trouverez grand intérêt à collaborer avec nous plutôt que vivre avec la peur d’être terrassées à n’importe quel instant.

  Tout ce que souhaitait Célia, c’était retrouver la Dame Légendaire et voilà qu’elle se heurte à une vérité qu’elle n’acceptait pas. Sa tête lui faisait mal, tout tournoyait dans son esprit. Elle ne savait plus quoi penser et voulait s’isoler. L’humaine se dirigea la tête basse vers la sortie de la caverne, Aelia la retint par le bras.

  — J’ai besoin d’être seule… soupira-t-elle en se dégageant.

  Elle s’éloigna sous le regard triste de sa cadette qui préféra ne pas insister. Aelia avait ressenti chez elle une immense détresse. Elle cherchait d’avance un moyen de l’apaiser, lorsque Tyane posa une main sur son l’épaule. L’elfe attendit que Célia ne puisse plus les entendre pour s’adresser à la jeune enfant.

  — Elle a l’air d’être quelqu’un de têtu mais capable de se sacrifier pour autrui. Dommage que son impulsivité la desserve.

  — Célia a toujours peur que quelque chose m’arrive. Quand l’occasion se présente, elle essaie de prouver qu’elle peut être une personne sur qui compter. Si elle poursuit la Dame Légendaire, c’est pour obtenir des réponses. Elle la considère comme une héroïne et souhaite de tout son cœur qu’elle l’aide à devenir plus forte pour combattre les démons.

  Ces mots sincères prononcés, elle marcha vers le pommeau de la rapière brisée et le ramassa. Elle approcha ensuite du bord du puits et y planta l’objet, à la manière d’un monument mortuaire.

  — Je me sens un peu coupable d’être un fardeau pour ma sœur. Tout ce que je veux, c’est qu’elle accomplisse ses rêves et j’espère être là pour le voir.

  Les paroles d’Aelia ne laissèrent pas l’elfe indifférente. Célia avait peut-être confirmé l’image que de nombreuses créatures fantastiques se faisaient des humains, mais elle trouvait ces deux personnes fascinantes. Elle resta songeuse quelques instants avant de se diriger à son tour vers la sortie.

  — Que de nobles ambitions, mais attention à ne pas finir aveuglées par vos propres désirs. Ne bouge pas d’ici, je vais lui parler.

***

  La nuit ne faisait que commencer. L’astre lunaire s’élevait doucement dans un ciel à la couleur charbon. Un pâle halo de lumière se reflétait sur la surface du lac. Célia alla s’asseoir en tailleur sur un gros rocher. Elle laissa le vent du soir rafraîchir son visage et apaiser sa conscience. Les sons de la nature venaient perturber ce moment calme mais ne lui étaient pas désagréables. Les feuilles des arbres se frottaient les unes aux autres, les grillons chantaient leur mélodie nocturne et des grenouilles coassaient au bord de l’eau. Rester seule et réfléchir devenait presque une habitude pour la jeune femme depuis quelque temps. Elle pleurait en silence, quand une voix parvint à ses oreilles.

  — La solitude permet de prendre du recul pour retrouver le contrôle de nos émotions.

  Tyane se tenait derrière elle. L’humaine se retourna et la fixa d’un regard assassin, prête à se défendre si nécessaire, même désarmée. L’elfe ne prêta pas attention à cela et contourna le rocher. Elle posa son dos contre et croisa les bras.

  — Mais elle est aussi une cruelle ennemie, car elle nous écarte de ce qui nous est le plus cher.

  — Vous parlez comme si vous connaissiez cela plus que quiconque, cracha Célia. Laissez-moi tranquille et disparaissez…

  Devant autant de mépris, Tyane aurait perdu patience depuis longtemps. Cependant, elle commençait à cerner le caractère de la jeune adulte. Si elle voulait l’atteindre, elle devait toucher un point sensible.

  — Cette Dame Légendaire que tu admires tant, ne se sent-elle pas seule à l’heure qu’il est ?

  Le sujet fit mouche. Célia releva la tête et tourna son regard larmoyant vers Tyane. Cette dernière avait réussi à capter son attention et ajouta son propre vécu dans la balance.

  — Protéger dans l’ombre ceux que le soleil illumine tous les jours, un grand sacrifice que peu supporteraient. À Sylvae, tous connaissent la nature de mes pouvoirs obscurs. Ils ont peur à juste titre que je retourne mes lames contre eux, d’autant plus que la situation actuelle concernant les Neantys ne plaide pas en ma faveur. Je dois ma vie à Erulyn qui m’a défendu lorsque tous voulaient ma mort. À la moindre trahison, mes congénères m’exécuteraient sans hésiter et j’accepterais ce destin.

  Des paroles qui interpellèrent profondément Célia. La jeune femme ne pouvait imaginer ce que cette personne pouvait ressentir, tout comme la Dame Légendaire. Dans un sens, elle s’identifiait dans ses préceptes. L’humaine commençait à changer d’avis sur Tyane, mais pour s’assurer de sa sincérité, elle lui posa une seule question et exigeait une réponse claire.

  — Si nous partons avec vous, nous la retrouverons ?

  — C’est ma mission et comme toutes les précédentes, je l’accomplirai. Mais ton témoignage concernant les anges devient prioritaire sur tout le reste et ma souveraine doit être avertie. Je peux néanmoins te promettre une chose. Si ton souhait est de gagner en force afin de faire face aux Neantys, alors je pourrai t’aider à développer tes capacités.

  Cette proposition sonnait comme un maître voulant prendre une disciple sous son aile, mais la confiance demeurait limitée envers cette créature fantastique. Cela dit, cette puissante combattante poursuivait également la guerrière à l’épée enchantée et s’allier avec elle augmenterait leurs chances de survie. À cette réflexion, s’ajoutait la sécurité d’Aelia. Elle l’avait autorisé à la suivre pour qu’elle ne souffre pas de son absence, mais elle se doutait qu’elle ne tiendrait pas physiquement le rythme.

  — D’accord, nous partons avec vous…

  Une sage décision que Tyane salua d’un signe de tête. L’elfe était satisfaite et surtout soulagée. Sans cette conversation avec Aelia, elle n’aurait jamais réussi à trouver les mots pour convaincre Célia. Pendant ce temps, l’enfant était sortie de la caverne et se précipita dans les bras de son aînée, qui la consola et lui expliqua la situation. Tyane reprit une expression sérieuse.

  — Puis-je connaître vos noms ?

  — Célia. Et elle s’appelle Aelia.

  — Nous nous mettrons en route dès ce soir en direction du sud. Il nous faudra six jours pour atteindre l’entrée des forêts éthérée. Il y a un village proche d’ici, nous y subtiliserons des chevaux.

  Le principe même de voler rebutait Aelia, mais elle ne se voyait pas marcher sans ralentir les deux autres. Avant de quitter les lieux, la cadette avait récupéré des provisions et la couverture. Tyane et Célia rebouchèrent complètement la cavité pour que nul ne découvre la grotte par hasard et toute la magie qui y dormait. Cela fait, le groupe retrouva un sentier qui les mena au bout d'une vingtaine de minutes vers une hauteur. De là, elles avaient une vue d’ensemble sur leur destination.

  Éclairé par des torches, ce village ne comportait que six habitations semblables à celles d’Uleth. Une scierie et ce qui les intéressait : des écuries. Aucun champ agricole, cet endroit semblait plutôt spécialisé dans le travail du bois. Aucune palissade ne le contournait, ce qui pouvait rendre le larcin plus facile.

  — Ne bougez pas, ordonna Tyane. Je vais l’inspecter.

  L’elfe se tourna vers une zone d'ombre et y entra comme un fantôme traversant un mur.

  Toujours impressionnées par cette magie, les humaines attendirent son retour. Elles discutèrent de la créature fantastique et se demandaient à quoi pouvait ressembler Sylvae. Célia pensait à des maisons construites au sommet des arbres, Aelia des huttes faites de branches avec un toit feuillu. Mais surtout, elles essayaient d’imaginer quels autres types de sorcellerie ses habitants maîtrisaient. D’autres pouvaient-ils faire comme Tyane, ou étaient-ils capables de choses encore plus incroyables ?

  Après quelques minutes, l’elfe réapparut et s’accroupit. Elle dégaina une de ses machettes et traça sur la terre différentes figures puis des flèches en même temps qu’elle expliquait comment elles allaient procéder.

  — Les écuries se trouvent à son côté ouest et nous sommes au nord. J’ai vu huit personnes dont cinq gardes en patrouille. Je vais attirer leur attention ici, pendant que Célia passera par là pour prendre deux chevaux et fuir par le sud. Nous avons de la chance, ils sont tous sellés. J’ai saboté les verrous pour te faciliter la tâche. Aelia ira directement à ce point en contournant par cet endroit. Tu décrocheras deux lampes à huile au passage. Des questions ?

  — Et vous ? demanda Célia. On devrait en voler trois, non ?

  — Je pense avoir démontré que je n’en avais pas besoin. Je suis capable de traverser ou de me cacher dans les ombres, y compris celles en déplacements. N’ayez crainte, lorsque notre voyage commencera, j’aurai un œil sur vous et je surgirai au moindre problème.

  Pas d’autres remarques de la part des sœurs qui se préparèrent à appliquer le plan. Aelia et Célia marchèrent en suivant leurs parcours respectifs, pendant que l’elfe se rendit discrètement vers le coin où elle voulait que les gardes viennent. Elle inspira et cria à pleins poumons :

  — Alerte ! Les démons arrivent ! Alerte !

  Des voix paniquées et des ordres militaires montèrent en même temps que des bruits métalliques qui accouraient vers sa position. Tyane entra dans les ténèbres mais laissa une manifestation magique là où elle avait plongé. Les humains s’avancèrent mais restèrent sur le qui-vive à une certaine distance, croyant qu’une créature obscure allait en émerger.

  Pendant ce temps, Célia avait atteint les écuries. Elle approcha vers le cheval le plus à gauche et essaya de le faire sortir de son emplacement. Elle tira sur le harnais à son museau mais l’équidé rechigna et secoua la tête, manquant de lui mordre la main. Elle insista, mais l’animal têtu refusa. Célia devait rapidement trouver une autre solution. Son instinct prit le dessus sur sa réflexion. Elle s’empressa de détacher tous les chevaux et ouvrit chaque porte qui les retenait. Elle empoigna ensuite une fourche plantée dans une meule de foin et frappa tout ce qui pouvait faire beaucoup de bruit tout en faisant de grands gestes agressifs. Les bêtes paniquèrent. Certaines sautèrent sur place à mettre des coups de sabot en arrière dans le vide, d’autres s’échappèrent et commencèrent à s’enfuir vers les bois. Peu importe où ils allaient, en rattraper deux ne sera pas un problème.

  Réveillés par toute cette agitation, les civils sortirent de chez eux. Ils essayèrent de calmer les animaux affolés pendant que Célia quitta le village. Elle courut vers le point de rendez-vous et y retrouva Aelia, avec une lampe à huile dans chaque main. Tyane arriva derrière elles, avec deux chevaux bruns.

  — Ce n’est pas ce qu’on peut appeler de la finesse mais le résultat est là. Maintenant, partons vite d’ici.

  Célia aida Aelia à monter sur l’un des équidés avant de grimper sur l’autre. À peine sur le dos de la bête qu’elle avait peur de tomber. Tyane lui donna quelques conseils d’équitation qui ne la rassura pas vraiment. Une fois le groupe prêt, elle montra la direction à suivre et disparut dans les ombres. L’aînée des sœurs ouvrit la route, leur voyage vers les Forêts Envoûtées commença.

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