Chapitre 12: Règlements de comptes

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Lorsque Wotsaben s’éveilla, la première chose qu’il vit était un pied.

Un pied botté qui frappait régulièrement une vaste zone brune. Le décor de cette scène surréaliste était impossible à identifier… il se modifiait sans cesse.

Wotsaben était secoué dans tous les sens, il tenta de se redresser, mais il était incapable de remuer le moindre muscle. Il comprit alors qu’il était sur un cheval au galop et que ce pied appartenait à son ravisseur.

— Plus vite, plus vite ! Meugla une voix rauque.

La voix de Zaragh.

Allait-il le livrer à son père ? C’était peu probable car il n’aurait pas eu besoin d’aller bien loin pour cela, ils étaient dans sa forteresse lorsqu’il avait perdu connaissance.

Henrik l’avait-il trahi et vendu à l’alvorc ? Certainement pas, il se souvenait d’une violente dispute entre lui et Zaragh. L’alvorc avait violemment frappé le Yukho puis il s’était tourné vers lui en disant : « Je suis désolé ». Wotsaben n’avait pas compris…

Il aurait dû s’excuser auprès d’Henrik.

Ensuite plus rien… il s’était réveillé sur le cheval de Zaragh, en route vers une destination inconnue.

Sans se soucier du confort du gamin, l’alvorc galopa à brides abattues pendant plusieurs heures… le soleil était à peine levé au moment ou Wotsaben s’était éveillé. Il était sur le point de se coucher lorsque l’alvorc se décida à s’arrêter en pleine campagne.

Il déposa le gamin sur le sol sans le moindre ménagement, il lui détacha les mains et lui donna deux grosses galettes dures et une gourde.

— Mange ! Ordonna-t-il. On a encore une longue route.

— Pourquoi m’avoir enlevé ?

— Pour l’or bien sûr… il y a des seigneurs prêts à payer une petite fortune pour t’avoir sous le coude. La prophétie de la Dame Rouge te donne une valeur monétaire que tu ne peux même pas imaginer… assez pour me payer mon propre ludus… et peut-être même un palais.

— Henrik vous retrouvera… il a les moyens, et il est allié aux Irildari.

— Ah, les elfes, ricana Zaragh. Les elfes sylvains et ce pauvre Oxidor… À l’heure qu’il est, je crois bien qu’il est mort… vois-tu petit, les Nadzirdari m’ont laissé entendre qu’ils me paieraient une belle somme si je les aidais à assassiner Oxidor, le seul Irildar qui soit vraiment dangereux. J’ai décliné l’offre, mais j’ai bien compris qu’ils tenteraient quelque chose, et que ce serait le chaos. Une occasion que je ne pouvais pas manquer. À l’heure qu’il est, Oxidor s’est probablement fait tuer – paix à son âme, c’était un bon compagnon – et d’autres elfes importants ont dû subir le même sort… les elfes sont en déroute, les Nadzirdari ont récupéré Hazvorbak et Henrik s’est réveillé ce matin avec une grosse grosse migraine et plus personne pour l’aider. S’il veut te récupérer, il devra me faire une meilleure offre que les autres : cinq-cent-mille pièces d’or, et ce n’est pas cher payé pour garder sa place de Yukho.

— Vous dites qu’Oxidor était votre ami ? Mais vous avez laissé les elfes sombres le tuer…

— Les amis ne font pas bon ménage avec la politique… et encore moins avec les affaires. De toute façon, je lui ai déjà sauvé la vie dans l’arène, je ne suis pas sa nounou ! Tu as fini de manger ? Je t’accorde cinq minutes de pause pipi et je te rattache pour la nuit… tu vaux trop cher pour que je prenne le moindre risque.

Une fois détaché, le gamin s’approcha d’un arbre en titubant… ses jambes ankylosées avaient du mal à le supporter.

— Tourne la tête, ordonna-t-il. Je ne veux pas que tu me regardes !

— Désolé gamin, mais il n’en est pas question… mais sois tranquille, même si tu es très mignon, tu n’est pas mon genre.

— Mon père disait toujours qu’il ne fallait jamais faire confiance à un orc… Henrik aurait mieux fait de l’écouter. Ils sont pires que les animaux ! Même les métis. Et vous en particulier… pourquoi vous ne répondez rien ?

Wotsaben réajusta ses braies et se retourna vers Zaragh. Il était transpercé de part en part par un long javelot d’acier dont la pointe était plantée dans le sol, ce qui maintenait debout l’alvorc agonisant.

Assourdi par son propre verbiage, le gamin n’avait entendu ni le sifflement de l’arme, ni le cri de surprise de son ravisseur… Une étrange créature volante se posa à une vingtaine de mètres. Il reconnut un des deux hippogriffes des Torildari.

Un elfe se dirigea vers lui. Oxidor Trucidel.

— Vous n’êtes pas blessé ? Allez rejoindre Messire de Hautecour, il va vous ramener chez vous. Je vous rejoindra avec le cheval de Zaragh.

L’Irildar s’approcha de Zaragh, dont seule la respiration sifflante indiquait qu’il était encore en vie.

— On peut dire que tu as sacrément merdé… Pourquoi as-tu fait cette connerie ?

— L’or… murmura Zaragh dans un souffle.

— Bien sûr l’or, répéta l’elfe sylvain. Tu aurais reçu une belle prime si tu étais resté, mais certainement beaucoup moins que ce que tu voulais… finalement, tu es comme Skazat.

L’alvorc ouvrit la bouche et cracha un jet de sang… Oxidor lut sur ses lèvres les mots qu’il n’arrivait pas à prononcer.

— Tu… le… pou… « tue-le pour moi ! » traduisit-il. Oui, je le ferai ! Je le ferai pour toi et pour tous ceux qu’il a envoyé à la boucherie.

L’orc eut un bref sourire, puis il mourut.

* * *

La brillante cité de Solarys étincelait sous le soleil de printemps dont les rayons jouaient à cache-cache dans les dômes cristalins du Palais Impérial.

C’est aux portes latérales nord du palais que deux visiteurs se présentèrent. Le quartier du harem… le lieu le plus surveillé de l’Empire.

Un des deux visiteurs était un officier de haut rang portant le blason du Sirkoth, la province frontalière du territoire des Irildar. Le second portait une épaisse capuche de moine qui dissimulait son visage.

Six hommes d’armes les accueillirent. Leur officier détailla soigneusement les nouveaux arrivants… l’idée d’ordonner au « moine » ou prétendu tel de retirer sa capuche lui traversa l’esprit, mais la plaque en or qui ornait la poitrine du premier visiteur l’en dissuada. Il aurait été dangereux de mettre son nez d’officier de seconde zone dans les affaires d’un invité de l’empereur.

— Quel est l’objet de votre visite seigneur ? Demanda-t-il d’un ton qui se voulait à la fois autoritaire et aimable. Si vous êtes là pour rendre l’hommage du Sirkoth, il faut passer par l’entrée principale.

— Je suis ici pour une visite personnelle, nous sommes attendu par le Yukho du harem.

Un ventripotent dignitaire sortit du bâtiment pour rejoindre les visiteurs. Il était accompagné par une jeune esclave aux yeux bridés.

— Ah Monseigneur ! Quelle tragédie, quelle tragédie… déclama-t-il d’une voix de soprano. La reine vous attends, bien entendu. Je suis trop occupé pour vous guider jusqu’à ses quartiers, mais sa camériste vous y conduira. La mort de Skazat nous affecte tous, et c’est très élégant de votre part de lui présenter vos condoléances en personne…

Il se tourna vers l’officier et baissa la voix :

— Bien sûr, le motif de cette visite ne doit pas être ébruité. Après tout, Skazat exerçait un métier infâme mais nécessaire. Il serait mal vu qu’une personne de haut rang pleure publiquement son décès… à propos, ou en est l’enquête sur cet abominable crime ? Un assassin qui se cache sur les toits, abats un serviteur de l’empereur et s’enfuit sans être inquiété, ça ne devrait pas être possible ! En tout cas, je compte sur votre discrétion.

L’officier fit signe à ses hommes de s’écarter et s’inclina.

— Bien sûr, noble Yukho ! Les désirs de son altesse sont des ordres. Vous pouvez passer messeigneurs.

L’esclave guida ses visiteurs dans les couloirs du palais, jusqu’à une porte ornée de dorures en mithril et surveillée par quatre gardes impériaux qui cédèrent le passage aux visiteurs sans poser de questions.

— Vous m’avez manqué, minauda la camériste. Je présume que c’est la dernière fois que vous venez au palais ?

— Je vous prie de m’excuser, mais nous ne nous sommes jamais rencontré, s’exclama le visiteur.

— En effet, c’est la dernière fois, répondit le moine.

Et l’elfe sylvain abaissa sa capuche.

— Seigneur Tengo, je vous présente Reyta, la camériste de la Reine Kurima – plus connue sous le nom de « Reine Sombre », une des nombreuses filles illégitimes de l’Empereur. Reyta, je vous présente le Seigneur Tengo, premier officier du Prince Wotsaben de Sirkoth qui vient de signer une trêve de vingt ans avec les Irildari. Ne vous fiez pas à son jeune âge, il s’est distingué par son courage et sa loyauté.

— Par contre, poursuivi Reyta d’un ton légèrement moqueur, c’est sa première visite à la capitale il me semble… il ne semble pas familier au métier de diplomate.

Tengo retint un soupir de dépit. Il savait bien sûr qu’à Solarys, les esclaves préférés de l’Empereur avaient plus de valeur que les seigneurs des provinces éloignées, mais il ne s’attendait pas à en faire les frais aussi rapidement.

— Et bien c’est le moment de tester ses compétences… Dites moi Tengo : pourquoi sommes nous ici ?

— Officiellement pour présenter des condoléances suite à la mort de Skazat, récita l’ambassadeur improvisé. Mais ce n’est qu’un prétexte : la véritable raison est de confirmer à la Reine Kurima que son honneur a bien été vengé.

— Et cela aussi est un prétexte, compléta Oxidor. Un prétexte qui satisfera la curiosité ou l’ego de ceux qui veulent en savoir plus que les autres… Votre mission est simplement de me permettre d’entrer et de sortir du palais et de donner le change. Ma mission est beaucoup plus délicate et doit être ignorée de tous, et en particulier de l’Empereur… Reyta ! Annoncez-nous à votre maîtresse et signalez-lui discrètement que le Seigneur Tengo est digne de confiance.

La Reine Kurima reçut rapidement ses visiteurs. Résultat heureux ou malheureux d’une aventure de jeunesse de l’Empereur, c’était une métis demi-elfique d’origine nadzirdar, raison pour laquelle elle était surnommée « la Reine Noire ». Tengo avait déjà compris qu’Oxidor et Kurima s’étaient déjà rencontré, et il préféra ignorer si l’elfe sylvain était aussi proche de la reine que de sa camériste.

— Voici donc le nouveau commandant des troupes du Sirkoth, demanda-t-elle. Soyez assuré Seigneur Tengo que j’userai de toute mon influence pour que personne ne puisse remettre en cause votre trêve avec les elfes sylvains… elle n’engage officiellement que votre province, mais la frontière est telle qu’on peut difficilement partir en campagne sans l’accord de votre Prince. J’ai quelques personnes de confiance pour sonder les intentions de vos voisins et je recevrai personnellement leurs ambassadeurs pour les inciter à la sagesse… Mais nous avons une autre affaire, beaucoup plus délicate à gérer.

— Je vous remercie, votre altesse, répondit Tengo en s’inclinant. Dois-me retirer ?

— Non, au contraire… il est bon que vous sachiez de quoi il retourne, au cas où, dans un avenir proche ou lointain, notre affaire ait des répercussions plus ou moins fâcheuses…

Elle claqua des mains. Aussitôt, quelques esclaves se dirigèrent vers un mur vide de tout ameublement et y ouvrirent un passage vers une pièce dissimulée… Une chambre d’enfant ou une fillette de quelques années était sous la garde d’une nourrice.

Une fillette au sang nadzirdar.

— Voilà le résultat de la dernière folie d’Hazvorbak, Seigneur Tengo. La demi-sœur de votre seigneur… Si mon père, l’Empereur connaissait son existence et mettait la main sur elle, la protection dont jouit votre Seigneur serait fortement remise en question. C’est pourquoi elle doit quitter Solarys, le plus rapidement et le plus discrètement possible. Le Prince Telathir devait lui fournir une nouvelle identité, son fils Thénarion s’en chargera… du moins je l’espère pour nous tous.

La Reine Sombre ne prononça aucune menace, mais il était évident que l’avenir du Prince Wotsaben et du peuple Irildar dépendaient fortement de la survie et du bien être de sa fille.

— Des parents elfiques lui ont été trouvé, ils ont reçu des titres et des terres en contrepartie et ils ignoreront toujours l’origine de l’enfant. Tout est près pour la recevoir, y compris le sortilège qui lui fera oublier ses premières années.

Un nuage de tristesse assombrit encore davantage le regard de la Reine sombre alors qu’elle regardait sa fille comme si c’était la dernière fois.

— J’ai essayé de ne pas m’y attacher… Je n’ai pas réussi. Mais si mon père découvrait son existence, elle deviendrait un enjeu pour « La survie de l’Empire », et tous nos ennemis chercheraient à s’emparer d’elle… Emmenez-la loin d’ici, c’est la seule chose que je peux lui offrir.

— Elle partira demain à l’aube, et aucun solarien ne connaîtra son existence.

Il n’y avait plus rien à dire, les visiteurs prirent congé.

Leur entrée au harem du Palais et le motif de leur visite fut consignée dans un registre sous le label : « visite de courtoisie » et le nom de la personne visitée ne fut pas mentionné.

Le registre fut ensuite rangé dans un bâtiment d’archives que nul ne consulte jamais.

FIN

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