Chapitre 5
- Mes filles, dit maman. Je crois que je vous dois quelques mots.
Nous nous installâmes sur le fauteuil. Je me rendis compte que Greta et moi nous tenions la main. Les actualités défilaient à la radio, trop bas pour que l’on puisse en entendre le contenu. Maman sembla longtemps chercher ses mots. Ses lèvres s’ouvraient puis se refermaient sans qu’un son ne puisse atteindre nos oreilles. Enfin, elle parut décidée.
- Je ne sais pas pourquoi je suis comme ça vous savez j’aimerais que ce soit plus clair, qu’un évènement puisse tout expliquer mais non. J’imagine que c’est un mélange de choses. Ma mère n’était pas aimante, mon père… non plus. Puis il y a eu Renato, votre père, qui lui, ne m’a peut-être jamais aimée. Je tiens à m’excuser. Je suis désolée de ne pas être une mère comme les autres enfin… vous savez une mère poule. Je suis désolée de ne pas savoir vous montrer mon amour. Mais je vous aime plus que tout vous devez le savoir, fit-elle en éclatant en sanglots. Nous tombâmes dans ses bras. Ça n’aurait pas dû être si instinctif car nous ne faisions jamais ça. Pourtant, nos corps avaient agi tels des aimants. Bientôt, je me mis à pleurer. Puis Greta aussi. Un mélange de bonheur et de souffrance me déchirait le ventre. Une bouffée de je ne sais quoi se répandait dans mon corps. Peut-être était-ce cela, l’amour. Peut-être l’amour était ce je ne sais quoi. Un sourire — transpirant de larmes, immense, plus grand que nous — fendit mes lèvres. Nous demeurâmes toutes les trois, presque vissées les unes aux autres tandis que « Sara perchè ti amo » se répandait dans la pièce. Maman se mit à fredonner la mélodie. Nous rîmes en coeur. Je savais que c’était un moment rare. Je savais que ça n’arriverait peut-être plus. Comme une pluie d’étoiles filantes en décembre. De toute mon âme, je remerciai Cetta. De toute mon âme, je me promis d’aimer fort. Je me promis que cette chaleur nouvelle au fond de mon ventre ne s’en irait plus. Et nous pleurâmes longtemps encore. Jusqu’à ce que les rayons du soleil tarisse nos larmes.
Maman nous raconta notre père. Elle nous dit ce qu’on avait toujours voulu savoir, ce qu’on avait cru qu’elle nous devait.
- J’ai rencontré votre père au… (elle pinça les lèvres) club de strip-tease où je travaillais quand j’étais plus jeune. Pour payer mes études.
- Nan tu déconnes ! fit Greta. J’avais du mal à imaginer ma mère strip-teaseuse. Je me demandai combien d’autres choses elle ne nous avait pas dit.
- Ça payait bien, fit-elle. Nous rîmes.
- C’était un des gérants. Cela aurait dû m’alerter. Mais j’étais amoureuse. C’était un vrai gentleman au début. Puis… commença-t-elle, la voix déformée par la tristesse. Il est devenu de plus en plus agressif, d’abord par les mots puis par les coups. Il m’a mis enceinte. J’avais 19 ans quand tu es née, fit-elle à mon intention. J’ai arrêté d’aller en cours pour m’occuper de toi. Mais j’ai réussi mes examens. Votre père me trompait, c’était un vrai salaud, une enflure.
Nous n’avions jamais vu notre mère user de gros mots.
- Comme je l’ai dit, je l’aimais. Je ne voulais pas voir que.. que ça n’état pas réciproque. Puis tu es arrivée Greta. Cette ordure n’était même pas présente à l’accouchement. Il est parti, envolé en Amérique. Je ne l’ai jamais revu. Plus aucune nouvelles, rien. J’ai mis du temps à me rendre compte de l’homme indigne que c’était. Je pense que ça m’a dégouté de l’amour, ça m’a dégouté des hommes.
- Est-ce que tu nous as regretté un moment ? demandai-je.
- Oh non jamais. Mes chéries… dit-elle, aussi peu habituée de ce mot que nous l’étions, c’est vous qui m’avez tenu en vie. Sans vous, je ne me serais pas battue… même si c’était un combat intérieur, silencieux. Sans doutes trop.
- Merci maman, dit Greta. Je renchéris.
- J’aimerais que vous sachiez que vous pouvez me parler ou… enfin demander mon aide pour je ne sais pas trop quoi, dit maman timidement.
Je sentis que rien ne serait plus pareil. Je sentis aussi qu’elle s’en voulait terriblement. Qu’elle avait dû se battre seule, contre elle-même. Mais nous étions ensemble à présent. Plus que jamais. A travers la fenêtre, le soleil s’élevait encore haut dans le ciel orange. On entendait la mer murmurer son amour au sable chaud. Et la brise matinale danser avec les arbres.
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