Prom of the Dead

7 minutes de lecture

Night of the Prom.

Payson High School. Arizona.

Dans un futur un peu trop proche.


Joe bave sur Sally qui mordille Emy qui morve sur Brandon qui bande contre la cuisse de Stacy sur une musique pecnoïde : celle d’un bal de promo garanti sans cageots. Des litrons de salive se déversent dans les bouches qui s’emmêlent dès lors qu’une tripotée de slow des faggots retentissent, du cultuel « Love me tinder » au prophétique « Save the last stance for me. » Les foules endiablées ne se calment pas, les caresses se multiplient.

Puis les moins voraces se séparent, hurlent, syncopés, sous l’artificielle canopée créée pour l’occasion par le club déco hot couture. Chaude et humide l’atmosphère poisseuse de cette jungle factice ! Surtout côté sous-vêtements : de petits râles égaient une ambiance festive qui ne laisse aucune place aux confidences. Fini les mots : tout se joue dans la collision folle des regards, des membres soumis à des envies charnelles pressantes : nul besoin d’être Nostradamus pour prédire les pertes de virginité - réelles et supposées - alors que les corps vacillent à l’unisson, dans un brouhaha assourdissant.

Stacy se révolte, face à cette apocalypse pré-coïtale qui prend des proportions gigantesques ! Elle n’est pas une fille coincée, mais il y a des limites, non ? Marre d’être ensevelie sous une montagne de mains baladeuses ! Ces phallus inopinés, indigents et indigènes, qui se dressent contre son anatomie, ces bouches qui lui creusent les joues, les lèvres, ces bras démultipliés de Shiva sous acide qui s’abattent sur elle, l’énervent au point qu’elle finit par fuir à toutes jambes la piste de danse. Plus que jamais, elle n’apprécie pas ces jeunes chiots fougueux qui se prennent pour des pitbulls et foncent tête baissée, les crocs en avant, tels des zombies attirés par la pression sanguine - et la cyprine.

Impossible de discuter avec ces écervelés qui sont prêts à la dévorer : ils ne parlent qu’en onomatopées ! Elle n’en peut plus ! Ces intrusions de plus en plus fréquentes dans son espace vital la dégoûtent ! Et la proxémique, bordel ? La proxémique ! C’est pour les chiens ? Pas de quoi en faire une polémique, lui répondit sa meilleure amie, avant qu’elle ne soit contaminée à son tour, voici une semaine, par l’étrange virus. Elle fut retrouvée, l’écume au sexe, derrière les poubelles du self, à convulser pendant que d’autres élèves lui fouillaient copieusement les entrailles, muqueuses à l’air.

Stacy aimerait se défaire à jamais de cette foule affamée, de plus en plus nombreuse et grouillante, sans avoir à se barricader dans une maison abandonnée. Ce n’est pas le titre de reine de la promo qu’elle risque de remporter haut la main qui la rassure. La menace est réelle : ils risquent de se ruer sur elle, ne serait-ce que pour la féliciter - et plus si avidité ! Elle s’imagine déjà crouler sous les caresses invasives et les baisers morsures, aussi prépare-t-elle une diversion en aiguisant ses armes.

Malgré sa beauté admirable, de celle qui suscite le syndrome de Gilles de la Tourette chez ses camarades les moins impulsives, Stacy s’est toujours tenue loin de ces simulacres : elle éprouve, à défaut d’approuver, une attirance indicible pour le professeur Rodriguez, un enseignant qu’elle n’a pas eu la chance de suivre dans son cursus et qu’elle imagine ainsi : un doux Saint-Bernard, rassurant comme un père, intelligent comme un savant, timide comme un enfant. Précédé d’une réputation excellente, il l’a toujours intriguée. Ce soir, alors que le pandémonium bat son plein, elle se dit : ce n’est qu’un homme seul, pas encore marié, qui surveille le punch d’un air distrait. Il s’assure que tout se passe pour le mieux malgré cette hystérie collective. Un homme sain, épargné par cette épidémie. Un miraculé, assurément ! Victime idéale ?

La doyenne, une veuve un peu trop noire, la quarantaine artificielle, lui tourne autour avec la rigueur implacable d’un prédateur ! Prête à lui bondir dessus, elle minaude, vacille à ses côtés en courbettes dérangeantes, et rires sonores. Voilà qu’elle pose ses mains graciles sur ses épaules, le fixe droit dans les yeux comme l’araignée sa proie : un spectacle insoutenable ! Manquerait plus qu’elle lui bave sa toile en plein visage, pour l’engloutir !

Agacée, Stacy aimerait le sauver de ce pétrin, avant que cette créature des enfers ne pose à jamais ses lèvres carmin sur sa bouche et ne le contamine, mais elle ne sait pas comment l’aborder maintenant que les cours sont terminés. Il ne lui semble plus légitime d’aller lui parler, pourtant toutes les conditions sont là pour une possible histoire d’amour ! Elle se surprend même à les imaginer en couple, dans une banlieue tranquille, derrière une clôture immaculée que personne n’oserait franchir.

Un peu d’imagination, que diable ! Allez Stacy, tu vas y arriver ! Trouve-un truc, bordel !

Sentant l’urgence de la situation, elle presse le pas, et trébuche à cause du sol glissant. Elle manque de s’écrouler sur lui : un bien pour un mal puisqu’elle le sépare de la doyenne. Sans plus attendre, elle ouvre le bal en s’excusant de sa maladresse, maladresse qu’elle reconduit, en hoquetant comme une miséreuse sous le joug d’un jus de fruit acide et sans passion. Rouge de honte, elle renouvelle ses excuses, ce qui amuse Rodriguez, mais ennuie la doyenne. Le regard torve, cette dernière montre les crocs.

« Le monde de demain ! Quelle décrépitude ! Quel exemple vous donnez, Stacy ? Vous êtes une bonne élève, mais vous vous conduisez comme cette meute de dégénérés ! C’est désolant, ce manque de résistance ! »

Surprise de voir qu’elle n’est pas la seule femelle alentour capable d’aligner trois phrases tangibles, Stacy éprouve un soubresaut d’affection pour la doyenne malgré son air dédaigneux, ses remarques désobligeantes. Néanmoins, elle ne tient pas à lui tenir le crachoir : elle l’ignore aussitôt et s’adresse au professeur Rodriguez, les yeux dans les yeux. Seuls au monde, pense-t-elle alors, comme sur une plage avant le déferlement de la marée haute !

« J’ai savouré votre article sur la déchéance du langage chez la génération Z, et je dois dire que c’est impressionnant ! dégaine-t-elle, certaine de sa balistique, la flatterie étant, de toutes les armes, celles qui perce le cœur des hommes.

- Merci, articule-t-il laborieusement, gêné par cette timidité naturelle qui lui confére un charme unique.

- Cette façon d’analyser les comportements des jeunes, la peur de leur engagement humain qui se reporte dans la consommation excessive de drogues et le sexe, c’est tellement fort et symptomatique de notre époque ! J’ai reconnu tous les archétypes que vous avez mentionnés : la pom pom girl stupide, le quarterback aussi bête que ses muscles sont proéminents, les intellectuel(le)s autoproclamé(e)s qui brassent du vent dans des gazettes débiles pour se faire mousser, les geeks qui ne servent qu’à consommer pour enrichir la nation… Cette impossibilité de communiquer à tous les étages, malgré les moyens dont nous disposons : nos téléphones, internet… »

La doyenne, excédée par cette tirade dithyrambique et quelque peu dégoulinante, s’éclipse pour ne pas la subir outre mesure. Sans perdre de temps, elle se rue sur une nouvelle cible, qu’elle agrippe aussitôt. En l’espace de quelques secondes, elle tient la jambe à Monsieur Svaranski, le professeur de baise ball, un nouveau sport très prisé, aux règles si cryptiques qu’une équipe est toujours baisée de ne pas les avoir comprises.

Quant à Monsieur Rodriguez, visiblement intrigué par la logorrhée inhabituelle de cette jeune fille qu’il ne connaît que de vue, il se berce lentement en écoutant sa voix mielleuse et intelligible. Elle ne tarit pas d’éloges à son égard : c’est qu’il y prendrait goût !

Serait-elle sur la bonne voie ? Il semblerait qu’elle ait capté son intérêt : n’est ce pas les prémices d’un sourire qui se dessine sur ses lèvres ? Alors, au risque de passer pour une groupie fanatique, elle continue sur sa lancée, menaçant de faire un homme run.

« J’ai dévoré votre essai sur la zombification en monde estudiantin, comment le virus s’est installé dans la fraternité Bêta, comment personne n’a été épargnée. C’est admirable, et tellement visionnaire ! Je sais que vos thèses sont discréditées par certains pseudos scientifiques comme les Bugdanov, mais eux, ils ne travaillent pas sur le terrain, ils ne peuvent pas comprendre quel mal ronge la jeunesse : regardez, on a pas encore annoncé qui sont la reine et le roi de la promo qu’ils exhibent leur chair à tout va, s’entrechoquent pour quitter la piste. Ils ne sont même plus capables de dire au revoir à leurs soi-disant amis ! Là-bas, ils commencent à se dévorer. C’est pathétique ! Ils sont guidés par leur soif de sexe, comme les zombies par le sang. Monsieur Rodriguez, vous êtes un prophète ! Vraiment.

- … »

Stacy s’interroge quelque peu sur le long silence qui suit sa tirade un poil passionnée. Bien qu’elle soit certaine que le professeur n’en a pas manqué une miette, il ne réagit pas à ses compliments, ce qui l’embarrasse quelque peu. Partagée entre l’incompréhension et l’impatience, à cours d’arguments, elle exprime ses inquiétudes :

« Monsieur Rodriguez, vous allez bien ? Monsieur Rodriguez… »

Mais Rodriguez, qui peine à se tenir immobile, se contente de la dévisager jusqu’au fond des prunelles, comme un amoureux transi, un gynécologue peu scrupuleux ou pire : un maniaque sexuel. Les yeux écarquillés, il ne la quitte plus du regard, à tel point que c’en est presque gênant.

« Monsieur Rodriguez, vous m’inquiétez. Vous voulez un verre d’eau ? »

Point de réponse à l’horizon. Pourtant, ses lèvres s’entrouvrent doucement, dans un tremblement des plus étranges. Elles dévoilent une langue pâteuse, violacée et pleine d’écume. Un tremolo guttural, pour le moins inopiné, s’échappe enfin de sa bouche :

« Cerveauuuuuuuuuuuu ! »

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