4 - UNE MISE À JOUR

6 minutes de lecture

Les deux frères établirent leurs quartiers dans la pièce où ils avaient atterri. Cette chambre orange remplie de boiseries d'où s'échappait une atmosphère chaleureuse, propre et fraîche, sans doute parce que la tante Berta l'aérait régulièrement, pas comme son horrible armoire à l'étage...

Pyotr ouvrit les yeux. Son esprit s'était déjà remis en route, les questions s'étaient remises à bouillonner dans son cerveau : qu'adviendrait-il de Gorfax ? Par quels moyens et dans combien de temps pourraient-ils y retourner ? Ou plutôt, pourraient-ils vraiment y retourner un jour ? Au fond, le Vampire s'inquiétait aussi du sort de son père et de celui de son frère. Calev pouvait se métamorphoser en loup à volonté sur les terres de Gorfax. Seules certaines parties de son corps étaient modifiées. Ses ongles devenaient des griffes, ses oreilles s’allongeaient, sa mâchoire aussi puisqu'elle prenait en partie la forme d'un museau canin, il avait aussi plus de poils sur le visage et les bras, mais il gardait toujours une corpulence humanoïde (deux bras, deux jambes, un buste, un bassin etc.) bien que ses expressions linguistiques se chargeassent de grognements et de sons plus proches du vocabulaire canin. Il n'avait encore rien du garou, pour l'instant c'était juste un jeune loup. Pyotr craignait que dans ce nouveau monde, les métamorphoses de son frère ne se remettent à zéro.

Sa première lune, si toutefois elle existait ici, ne serait certainement pas de tout repos…

En pleine réflexion matinale, l’aîné se leva pour se rendre dans une toute petite salle d'eau qui se trouvait juste en face de leur chambre. D'une traction, il ouvrit la porte et entra dans la pièce puis la referma derrière lui. Il s'avança devant la vasque et mit un certain temps avant de finalement comprendre comment ouvrir le robinet.

L'objet ne comportait pas de manivelle à tourner mais une sorte de levier qu'il fallait pousser légèrement vers le haut pour que l'eau glisse en dehors du tuyau. Prodigieux, se surprit-il à penser. Il s’aspergea le visage du liquide froid qui lui arracha un frisson. Il n'existait rien de mieux pour se réveiller le matin, se dit-il intérieurement en se redressant devant la glace. Lorsqu'il ouvrit les yeux, il sursauta au point de laisser échapper un petit cri rauque. Lui qui n'avait jamais eu de reflet ! Sa nature vampirique ne lui avait jamais permis d’observer la réflexion de son image sur une surface quelle qu’elle soit. Quelle ne fut donc pas sa surprise lorsqu’il contempla pour la première fois de sa vie son reflet sur la surface du métal.

Les projections d’eau l’empêchaient de voir nettement cette forme qui se dessinait dans le miroir. Il se passa la main sur les paupières à plusieurs reprises et sursauta lorsque son regard croisa deux yeux rouges sans pupilles, ni iris, un rouge incandescent et terrifiant. Le monstre du miroir avait la peau grise, marquée de scarifications profondes. Son expression faciale était figée dans un rictus carnassier. Ses lèvres noires dissimulaient à peine une dentition composée uniquement de crocs plus pointus les uns que les autres. Et ses gencives … D’une obscurité si profonde que le noir en paraissait gris à côté.

Pyotr pencha la tête de côté, le souffle haletant. Le monstre fit de même, de la buée s’échappait de sa bouche.

― Qu'est-ce que c'est que ce bordel...

Lorsqu'il se mit à parler, le monstre ne réagit pas, continuant à le dévisager de ses yeux incandescents. Pyotr posa sa main sur le miroir, se demandant si ça n'allait pas provoquer une quelconque réaction. Il s’attendait presque à y passer au travers à la manière d’un geist, mais le phénomène ne vint jamais.

Soudain, Berta fit irruption dans la salle de bains. Surprise de voir son neveu, elle comprit qu'il ne connaissait pas l'existence des verrous.

― Ça va jeune homme ? Tu sais, tu as le droit de fermer le verrou si tu veux être tranquille. Et tu as aussi le droit de ne pas laisser de traces sur les miroirs, lâcha-t-elle à la fois amusée et pincée. Je sais que vous les Vampires vous n'avez pas de reflets, mais ce n’est pas une raison pour s'appuyer dessus.

Pyotr tout penaud retira sa main de la surface du verre argenté. Puis il regarda tour à tour le reflet de sa tante, et sa tante. Quant à lui, il n’avait à nouveau plus de reflet du tout. Son cerveau lui jouait-il des tours ? S’était-il égaré au point qu’il ne s’était en réalité agit que d’une illusion dû à la torpeur du réveil dans ce monde-ci ? Peut-être que tout simplement une présence habitait l’objet et qu’il l’avait vu grâces à ses capacités spéciales… Il fronça les sourcilles pointant du doigt le miroir d’un air accusateur.

― Berta, il y a un monstre dans le miroir !

La sorcière se mit à glousser et regarda son propre reflet.

― Oh bah merci du compliment. Punaise, tu es au taquet, tu n’en loupe pas une hein ? Moi je ne vois qu'une sorcière de 45 ans qui cherche sa brosse à cheveux.

― Non ! Ce n’est pas ce que je voulais dire... pardonne moi je ne voulais pas, balbutia Pyotr confus. Avant que tu rentres il y avait un monstre avec des yeux rouges qui me...

― Mais oui, et il y a aussi un chat noir qui parle dans la cuisine et un dragon sèche main dans les toilettes. Allons, Pyotr, ressaisis-toi, c'est la téléportation d'hier qui doit te jouer des tours. Le premier réveil entre les mondes est toujours le plus troublant.

Perplexe et en proie au doute, le prince aux cheveux de lin regarda une dernière fois dans le miroir avant de sortir de la pièce. Il alla réveiller son frère. Peu de temps après, Berta leur servit un petit-déjeuner copieux.

Une fois restauré, le plus velu des deux frères refoula un rot, et posa une question qui lui tenait particulièrement à cœur.

―Tata, je peux t'appeler comme ça ? Sais-tu quand aura lieu la prochaine lune ?

La personne concernée opina du chef et s'empressa de répondre joyeusement à son neveu. Il parlait si peu depuis qu'il était arrivé qu'elle eût d'abord cru qu'il était trop timide.

― Demain soir.

Sur cette réponse, le loup lança un regard désolé à son frère.

Berta passa la journée à leur apprendre à se servir d'un téléphone, à éteindre et allumer les lumières de la maison, à se comporter en communauté et à rester zen, garder leur calme en toutes circonstances.

Quand vint la présentation de la chaîne hi-fi et de ses haut-parleurs home cinéma, il se passa néanmoins un léger accrochage : Calev se jeta sur les enceintes haute définition et les balança par la fenêtre en hurlant.

―Mon ouïe saigne de douleur ! Parjure, ennemi des ténèbres à la clarté assourdissante disparaît ! Foutue sorcellerie de…

Il ne retrouva son calme que lorsqu'il aperçut l'appareil complètement démantelé en petits morceaux dehors. La tante soupira, Pyotr lui tapota amicalement l'épaule.

―Il est très sensible aux sons. Entre ça, l'écran plat et le micro... microtombe... micro-onde, il vaudrait mieux ne pas les allumer quand Calev se trouve dans la même pièce.

―Ce n’est pas faux. Moi aussi je vais devoir changer mes habitudes si je ne veux pas devoir réinvestir dans du matériel tous les quatre matins.

Calev se retourna en mordillant sa lèvre inférieure. Au regard que lui lançaient son frère et sa tante, il venait de comprendre qu'il s'était peut-être un peu trop emporté.

―Il faut que tu apprennes à nouveau à maîtriser tes pulsions, dit Pyotr.

En effet, il était conscient qu’après la première pleine lune de ce monde, s'il ne fournissait pas assez d’effort intellectuel et physique il serait susceptible de tuer au moindre écart.

Grâce aux ordinateurs, à internet et aux journaux locaux, les deux princes se renseignèrent sur les événements, personnes et lieux importants qui avaient marqué l'Histoire de la Terre. En apprenant comment était construite et comment cette société fonctionnait, Pyotr et Calev commençaient à mieux comprendre ce qui les entourait à présent.

Après trois mois d’intense information et de nombreuses galères, de situation controversée évitée in extremis, alors que Pyotr était confortablement installé dans le salon en compagnie de son frère, Berta s'approcha. Elle tenait un bol rempli d'une substance épaisse et malodorante. Comme elle l'avait préconisé il y a quelque temps, ce qui fut dit, fut fait. Elle teinta les cheveux laiteux de Pyotr à l'aide d'une teinture capillaire blonde. Qui ressortit platine. Puis lorsque Berta eut terminé, elle tenta de s'approcher du Vampire avec une paire de ciseaux. Ce dernier claqua méchamment des mâchoires, menaçant de la mordre si elle s'approchait davantage. Ce qui la fit abdiquer après quelques tentatives répétées.

― D'accord, soupira-t-elle le quatrième mois de cohabitation. Les cheveux longs, ça fera Rock'n'Roll.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Khepra ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0