Après-midi

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Il est 19h15. Le sol est dur, les gravillons strient l’arrière de mon pantalon en coton de plis indélicats. Le vent commence à se lever, soufflant la poussière du chemin vers mes paupières las d’être ouvertes, après une nouvelle journée aux champs. J’ai 12 ans seulement, mais déjà fait de la binette et du diable mes armes de croisade. Du haut de mon pauvre mètre cinquante, je mène une existence simple pour ne pas dire simpliste.

La routine quotidienne est la même. Je me lève, y change une lettre, déjeune, fonce à l’école sur l’antique bicyclette d’avant-guerre puis revient vers 16h pour aider mes vieux aux champs. Aux alentours de 18h, je suis autorisé à étudier d’un reniflement réprobateur que je n’ai jamais su correctement interprété. Qu’y a-t-il de mal à se pencher sur les trésors de la littérature du monde, la logique mathématique du ciel, la physique qui gouverne nos pas et épancher sa curiosité informatique sur un site de streaming en quête de grandeur ? Vers 19h, je vais souvent m’asseoir aux abords des champs à siffloter une mélodie qui me trotte sur le moment dans la tête. Qui sait ? Je pourrais peut-être devenir un musicien un jour ?

J’aime la sensation de liberté que m’offre ma maison, mais n’ai aucune intention d’y passer ma vie entière. Quand je vois les publicités avec la belle Alice dans ces grands bâtiments de verre, où lézardent des familles entières raccordées au monde entier, je me surprends à mépriser le comportement de mes parents. Leur manque de considération pour mon éducation me désole de temps en temps. Des temps et des moments comme maintenant, où je me prends à utiliser des mots savants, des termes adultes qu’il ne me semble pas avoir entendus… mais vécus.

Je n’en ai jamais fait part à qui que ce soit, mais j’ai l’impression de vivre à reculons. Je ne comprends pas la différence entre futur et passé. Plus je grandis et plus mes années à la maternelle et l’école primaire de Meuzelle-sur-Odon, semble s’effacer comme un coup de craie sur un de ces antiques tableau vert que l’on voit sur les manuels usagers. En revanche, mon avenir me semble tout tracé… sauf qu’il ne correspond absolument pas à ce que j’imagine. J’aime la musique et l’écriture, pourtant semble destiner à m’avachir derrière un écran entouré d’une foule babillante.

Cet avenir ne me plait pas, mais en même temps ai-je le choix ? Beaucoup de personnes bien casés indiquent avoir seulement pourchassé leurs rêves. Ca ne semble pas difficile. La ville, elle, n’est pas du même avis. Plus je grandis et plus j’ai l’impression qu’on doit se conformer, se recroqueviller dans une toute petite boîte parfaitement agencée dans un grand rouage détruisant nos rêves et nos aspirations. N’y a-t-il pas un endroit pour les rêveurs ? Une toute petite place pour les grandes personnes qui veulent seulement changer de monde, même rien que par l’esprit ?

Alors que je regarde la lune flottant paisiblement dans les profondeurs lactées, je me dis que oui. Quelque part, à force de persévérance et de volonté différente, on peut rêver. Créer des mondes pour les autres, des univers entiers ou de simples personnages, pour laisser les gens s’évader. Le monde a besoin de rêveurs, sinon il s’effondrerait dans la folie. Pourquoi sinon y aurait-il des films, des livres ou des jeux-vidéos ? Au fond, ça ne sert à rien dans la ville, pourtant tout le monde en parle, échange ses points de vue ou des exemplaires. Pourquoi persister à mépriser les créateurs ou au contraire les ériger en divinité humaines ou légendaires pour les moins vivantes ? Ce ne sont que des hommes et des femmes qui ont juste décidé de rêver.

C’est décidé, j’aimerais être un rêveur. J’aimerais ne pas regretter cette décision et mener à bien une vie altruiste, tourner vers les autres, pour mourir la tête haute, entouré de ma famille. Je tâcherai de me jouer du destin, si tant est qu’un tel concept existe. Bigre… en voilà des mots compliqués pour une petite tête comme la mienne. C’est à peine si je sais épeler le mot “orthographe” et pourtant j’arrive à philosopher ? Philosopher… je ne sais même pas ce que ça veut dire, mais j’aime le son que le mot produit. Il est empli de mystère et d’aspirations séduisantes… j’espère vivre assez longtemps pour, un jour, en percer le mystère.

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