L'île

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Koryodris, fille de Breirra, monarque des plaines Boréales d’Artrein, vogue en cet instant vers une nouvelle destinée. Sans aller jusqu’à rechercher une existence supérieure, elle aspire depuis trop longtemps à la liberté. Le carcan de la royauté étouffe son existence depuis ses premières brasses. Alors, à l’aube septentrional de cette matinée, elle a décidé de s'envoguer vers de nouveaux horizons.

Bien que d'espèce totalement différente, Koryodris se rapproche de Sébastien. Ses rêves de découvertes, sa curiosité pour le siècle perdu l’ont poussé à changer de destinée. Les philosophes verbeux diront qu'il s'agit là de la quête du bonheur, la recherche de la grande Question. En réalité, il s’agit simplement d’Exister.

Du haut de ses trente newa, la voilà donc qui file vers les rives émergées craintes par son peuple. Moins d’une cinquantaine de kilomètres plus loin, trône fièrement l’une des rares îles de cette planète. On en compte peu et leur rareté les a érigé parmis les lieux sacrés du globe. Certains Sakin vont jusqu’à les considérer comme les écailles de Nevaltea elle-même. Toute intrusion sur ces terres est sévèrement puni par la Table des Lois. Cependant, en ce jour radieux, lors que le ciel et l’océan sont unis, Koryodris s’apprête à braver ses interdictions sans fondement.

Sur son esquif élancé, surfant parmis les dauphins de l’aurore, elle se dirige vers l’inconnue. A quelques kilomètres du rivage, elle se force à balayer son début d’inquiétude. Pourtant ce sentiment s’accroche à elle, avec la même hargne qu’un fongus Trineyen. Tandis que le sable éclatant caresse son embarcation, un long murmure parvient dans ses pavillons élastiques. De son vivant, jamais une telle mélopée ne lui ait parvenu ainsi. C’est bien la première fois qu’elle entendait un chant depuis une île naturelle.

L’île était pourtant déserte, dénudée de toute forme de vie dite civilisée. En revanche, Koryodris pouvaient entrevoir les silhouettes d’oiseaux colorés voletant entre des arbres recourbés à une poignée de pas de la rive granuleuse. La vie suivait donc son cours ici aussi, pensa t’elle. A elle les découvertes sur la faune de la surface mythologique. Son nom allait enfin entrer dans l’Histoire.

Les coeurs battants, elle amarre son navire le long d’un banc de sable et se dirige d’une pas décidé vers le bois bordant la plage. Il lui faut un moment avant de trouver son équilibre. Évoluer sur la terre des anciens est une expérience inédite. Sous ses pieds palmés, le sol est meuble, spongieux, lourd, la déséquilibrant de manière ingrate. Pour l’entrée conquérante, c’était rapé, au moins elle ne s’était pas vautré dans l’argile crayeuse.

Émerveillée, elle traverse le rideau végétal. Dans l’obscurité arboricole, le rayonnement des deux soleils Chaeqen et Kelren, fende la poussière de leurs faisceaux rassurants. Devant Koyrdoris, un nouveau monde s’ouvre. Au-dessus d’elle, des arbres millénaires entortillent leurs branches épaisses dans des ruines lazutlites. Alors qu’elle se tient entre les vestiges d’une ancienne arche ébène, la jeune princesse se perd dans la contemplation d’animaux dont elle n’aurait jusqu’à présent jamais envisagé l’existence. Le long du sentier parsemé de vestiges oubliés, des petits rongeurs duveteux évoluent entre les racines, quelquefois poursuivis par des couleuvres pourvus d’ailerons filandreux.

A pas lent, notant mentalement les trésors l’entourant, Koryodris remonte le sentier vers une trouée de cette végétation luxuriante. Plus curieuses que méfiantes, les créatures de l’île viennent se frotter contre ses longues jambes dénudées, renifler sa peau lustrée, éventuellement y balader leurs langues violettes. La jeune fille regrettait de rien avoir pris d’autre que son esquif, sa personne et deux-trois rations pour les jours à venir. Si cela ne tenait qu’à elle, elle aurait déjà distribué toute sa nourriture à la faune locale. D’autant que l’une des créatures, semblable à un gros félin rayé surmonté de longues oreilles pelucheuses, suit chacun de ses pas, chose qui n’est pas pour déplaire à Koryodris.

Aux abords de la trouée forestière, les bois sombres laissent place à une large plaine balayée par les vents chauds. Parsemée d’herbes brunes, de roches cuivrées et de petit lagons d’eau rouge enfumée, la surface particulière de cet endroit recouvre pratiquement l’entièreté de l’île. Protégé de son écrin de verdure des élans marins, les terres sont peu à peu grignoter par la végétation protectrice. Un détail que sa jeune visiteuse ignore totalement pour l’instant et à vrai dire, s’en contrefiche. Il faut dire que le spectacle qui s’offre à ses yeux, est bien différent de tout ce qu’elle a pu voir ou entrevoir de toute sa courte vie, jusqu’à maintenant. Certes, les plaines Boréales d’Artrein sont à moitié immergées et donc, assez particulière pour la civilisation Sakin, mais ce n’est rien en comparaison de ce que cette île possède.

Purifiée par le souffle de Nevaltea, Koryodris profite pour la première fois de la tranquillité d’esprit qu’elle a toujours recherché. Tandis qu’elle s’assoit sur l’un des rocs du plateau, le murmure qu’elle avait entendu en posant un pied sur la terre revint, plus puissant, plus proche. Il vient des profondeurs de la plaine. Elle poursuit donc son chemin, suivit de près par l’animal, prit d’affection par sa compagnie.

Au détour d’un amas rocheux, plus tranchant qu’une lame de rasoir, Koryodris peut apercevoir l’origine des voix qui l’attirent tant. Une étrange construction se trouve au centre de la plaine. Son architecture anguleuse tranche avec celle souple et arrondi des Sakin. Les longues arêtes fines sculptant les faces pyramidales de la structure se rapproche légèrement de certaines constructions Nolm, la race étrangère apparut peu après le siècle perdu. Cependant, la surface obsidienne diffère grandement de l’esthétique Nolm.

En des mots simples, Koryodris décrirait cette étrange artefact architectural comme un emboîtement de plusieurs pyramides noirâtres, dont les angles pointus semblent terminés par des sphères brumeuses captant le rayonnement des deux astres de Nevaltea. De par sa taille titanesque, tout indique le travail d’une civilisation sans doute éteinte. Pour la jeune fille, cela ne fait aucun doute : c’est là la manifestation concrète de l’existence d’un peuple effacé de l’Histoire.

Sans plus de considération, elle presse le pas en direction de la pyramide difforme, persuadée d’y trouver les réponses qu’elle cherche depuis plus de vingt newa. Dès son plus jeune âge, alors qu’elle était encore asynchronisé avec la Mère de tous, elle s’était interrogé sur l’obstination conservatrice des historiens à nier les événements du siècle perdu. Qu’avait-il bien pu se passer pour qu’aucun des conseillers, ni des mestres d’autres régions n’accèdent à ses requêtes répétées ? Devant ses yeux, se trouvait sans doute une partie de la réponse.

A mesure qu’elle approche, le son s’amplifie et la surface charbonneuse parait vibrer. Ses faces polies par l’usure, pulsaient régulièrement d’un rythme lent. Néanmoins, aucune menace ne semblait ni s’en dégager, ni se manifester. Fermant les yeux, Koryodris, entrevit une fraction des chemins à venir. Dans aucun d’entre eux sa mort ne figurait. Soulagé, elle soulève lentement ses paupières. Quand elle n’est plus qu’à quelques mètres, la structure s’ouvre en deux.

Stupéfaite, la jeune fille hésite à s’enfuir devant le caractère inattendu de la situation, car devant elle, le bâtiment se métamorphose complètement. Tel un gros coléoptère, il semble déployer des ailes anguleuses vers le ciel immaculé et faire pivoter ses faces géométriques dans une lente chorégraphie mécanique. Le haut devient le bas. L’Ouest passe à l’Est en un grondement assourdissant. Les oiseaux s’égaillent vers les cieux, alors que la terre semble se soulever.

Dans cette tempête de poussière, Koryodris a pour la première fois peur. Une peur viscérale, lui écrasant la gorge, pressant de tout son poids contre sa cage thoracique pourtant à l’épreuve des fonds marins. Elle se précipite aussi vite qu’elle le peut derrière le rocher le plus proche pour s’y recroqueviller, non sans jeter de coups d’oeils épouvantés autour d’elle. Aucun chemin ne lui avait suggéré cet avenir. Lors qu’elle se prépare à bondir vers la forêt, elle jette un dernier regard en direction du… du bâtiment ou quelque soit cette chose et c’est alors qu’elle l'aperçoit.

Le félin, ou tout du moins, la créature ressemblant plus que jamais à son ocelot hivernal, se tient immobile au milieu du maelstrom. Insensible en apparence au chaos ambiant, il contemple de ses yeux perçants l’ancienne structure évoluer. Ce n’est pas tant son immobilité qui retient Koryodris, mais les mouvements de sa mâchoire. L’animal semble parler comme un Sakin. Bien sûr, une pareille chose est normalement impossible, néanmoins rien n’empêcherait les créatures terrestre d’avoir pu développer de telles capacités. Cela dit, avant même qu’elle puisse se remettre de sa surprise, l’animal se précipite vers la structure en pleine mutation et bondit avec grâce entre deux chapes de métal pour disparaître à l’intérieur.

Le grondement s’amplifie. Le sol caillouteux se met à vibrer. L’eau rougeâtre explose en geyser brûlant. Puis tout d'un coup, le silence.

Aucun son. Pas un murmure, ni un bourdonnement, pas même le souffle du vent. La pyramide monstrueuse a laissé place à un déluge de formes géométriques entremêlées dans une incohérence fascinante. Seule sa couleur obsidienne est demeurée intacte. Koryodris se relève prudemment, avant de sortir de son abri improvisé. Elle regarde autour d’elle, hésitant à aller plus avant, néanmoins la transformation du bâtiment lui suggère davantage une invitation qu’une menace.

Si la force qui animait ce bâtiment l’avait voulu morte, elle le serait sans doute déjà. Cette petite réflexion la poussa à pénétrer à l'intérieur de la structure. Elle n’avait pas fait tout ce chemin pour revenir bredouille, bleu de honte devant le regard inquisiteur de son géniteur. Non, elle voulait rapporter une preuve de sa vaillance et de son utilité. Et si elle pouvait au passage mettre en lumière une époque obscure de l’Histoire de Nevaltea, alors elle n’avait qu’à faire un pas.

Ce qu’elle fit.

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