La densité des ombres

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On pense que les ombres sont plus sombres en fonction de l'éclairage.

C'est plus compliqué.

La mienne est très claire. Quand je cours le long d'un mur blanc, on la voit à peine, juste une tâche grise.

Quand je suis dans le noir, elle fait de la lumière. Si je pouvais, je la regarderais pour me repérer, j'essaye d'ailleurs, mais à force je fais la toupie, ça me donne le vertige et mal à la tête.

J'aime beaucoup comparer les ombres. Celles des adultes sont intéressantes, elles sont presque noires, mais elles ont encore des tâches plus claires, un peu comme les gens qui ont la peau noire et des tâches blanches dessus. Comme des zèbres.

Puis, il y a l'ombre de papy.

Elle, elle était tellement noire il y a un an, que j'avais l'impression qu'elle pouvait m'engloutir. Papy parlait constamment de son ombre, tout le temps.

Son ombre, c'était sa vie.

Puis un jour, papy il a fait un malaise, et il est tombé sur son ombre. On l'a emmené à l'hôpital, il s'était cogné la tête. Il a fini par ressortir.

Papy avait un peu de mal au départ, mais à part la blessure, ça avait l'air d'aller.

Tout le monde trouvait papy normal, mais j'ai remarqué que son ombre avait un peu changé.

C'est comme si elle s'éclaircissait. Puis, il y a eu des tâches sombres qui se sont déplacées dans son ombre. Parfois, on aurait dit qu'il avait les pieds à la place de la tête, ou l'inverse.

C'était difficile à comprendre. Mais l'ombre était de plus en plus claire. Et papy, il parlait toujours de son ombre, mais c'était de moins en moins... clair.

Son ombre a continué d'être derrière lui, mais elle changeait. Et lui, alors qu'il était si gentil, il commençait à devenir méchant. Il a commencé à se perdre dans son jardin, puis dans sa maison.

Un jour, son ombre était si claire que la mienne était de la même couleur, elles pouvaient même se confondre. J'ai même vu des morceaux de la sienne rejoindre mon ombre. J'ai eu peur qu'il me la prenne, mais en fait, il me donnait la sienne.

Il m'a regardé, et il a froncé ses sourcils, avant de me demander :

"Qu'est-ce que tu fais chez moi, fils ?"

J'en ai parlé à mes parents, et ils l'ont emmené à l'hôpital.

Lorsque je l'ai revu, il y avait tout un tas de vieux dans une grande maison. Ils avaient des ombres comme celles des enfants plus petits que moi.
Un mois après, mes parents m'ont dit qu'il était parti.

J'ai toujours pensé qu'il avait perdu de son ombre, parce qu'il nous en parlait.

Maintenant, quand je cours le long d'un mur blanc, j'y vois ses tâches.
Un jour, mon ombre sera la tapisserie de celles qui se sont effacées.

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