Chapitre 1

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Léo regarde le paysage défiler au travers de la fenêtre, le coude appuyé sur le rebord de son siège. Les soubresauts réguliers du train le bercent et la musique classique dans ses oreilles le fait voyager au gré des violons pleurant leur amour éternel ainsi que les notes de piano émouvantes les accompagnant dans leurs lancinantes symphonies. Tout est presque parfait… Si ce n’est pas pour le vacarme qu’occasionne une bande de gamins sortis du collège à l’autre bout du wagon. Leurs cris et leurs chamailleries le font grimacer d’agacement et lui donnent limite des envies de meurtres. Retirer ‘limite’ de la phrase précédente ; il a carrément envie d’encastrer leur mini-enceinte Beats dans la gueule pour les faire taire et retrouver un semblant de calme. Décidément, les parents d'aujourd'hui n’inculquent plus rien à leurs gosses… C’est absolument désespérant ! Le soir tombe et il tente de se réconforter dans l’idée qu’il sera bientôt arrivé à destination. Plus que quelques arrêts, et il pourra enfin échapper au bruit assourdissant de ce train bondé de monde et respirer l’air frais de cette soirée d’hiver. La vitre partiellement embuée et assombrie par l’obscurité dehors lui renvoie son reflet. Ses yeux bleus se fixent distraitement dessus tandis que son esprit flotte d’une pensée à l’autre au rythme saccadé des secousses.

Lorsque le train s'arrête enfin, il expire un long soupir avant de se lever de son siège en jetant rapidement un œil derrière lui pour être sûr de ne rien oublier. Il se fraie un chemin au travers de la foule et la pile de sacs à dos agglutinés dans l’allée du wagon en jurant. Malgré les obstacles encombrants, il finit par sortir du train et pose pied sur le sol graveleux du perron. Il étend ses bras paresseusement au-dessus de sa tête, fait craquer les jointures de ses mains et réprime un bâillement fatigué en regardant autour de lui, appréciant le décor familier de la gare. Les gens sortis du même train se dirigent tel un amas de fourmis vers le tunnel menant aux autres perrons ainsi qu’au parking. À peine une minute plus tard, il se retrouve presque seul sur le quai. Un sourire en coin remonte le bord de ses lèvres alors qu’il marche tranquillement en direction opposée du tunnel, vers la passerelle surplombant les rails. Il aime particulièrement ce pont en fer massif pour la vue qu’il lui offre ainsi que le peu de monde qui s’y trouve. Se pencher sur son rebord lui donne toujours un sentiment de nostalgie et de sérénité, ainsi que peut-être l’impression d’avoir un pouvoir absolu sur le monde en dessous de lui. Il monte les marches, les mains dans les poches et une fois en haut, une bourrasque le fait frémir. Profitant de l'instant, il s'appuie sur la rambarde, qui au premier contact avec son bras nu le fait frissonner. Il reste là un long moment à regarder le train sur lequel il se trouvait repartir lentement. Ses yeux le suivent jusqu’à ce qu’il ait complètement disparu derrière l’horizon. Les lumières nocturnes éclairent l’ancienne bâtisse de la gare et quelques personnes attendent leur train en silence. Son regard finit par se perdre sur le parking un peu plus loin, là où l'attend sa voiture et il se décide à quitter son perchoir. Les courbes de la carrosserie bleue métallisée miroitent sous les lumières des lampadaires à mesure qu'il s'en approche. Il lui a fallu pas loin de deux ans pour mettre la main sur toutes les pièces manquantes pour la restaurer, et c'est toujours un plaisir de la conduire, même pour un tout petit tour.

D'habitude, Léo ne prend jamais la peine de prendre le train, mais aujourd'hui, il avait une conférence à laquelle il devait assister dans la ville voisine pour promouvoir son travail. Comme l’endroit était sujet aux accidents et au vandalisme, il n'a même pas risqué de voir l'une de ses voitures abîmées par un jeune con voulant foutre la merde. Même si dans l'hypothèse, l'assurance couvrira tous les dégâts. Il possédait en tout trois voitures, et celle-ci était de loin sa préférée, une magnifique Jaguar ancienne de 1948.

Il se laisse glisser dans le siège et caresse furtivement le volant avant de démarrer le moteur. La route qui mène à son domicile est calme et à peine éclairée. Avec une légère touche de musique, Léo apprécie les virages et les rugissements doux de sa voiture à chaque accélération. Il lui fallut une vingtaine de minutes pour atteindre le portail d'entrée du manoir dans lequel il vivait. La grille massive s’ouvre à son arrivée et il remonte lentement l’allée menant aux garages situés en dessous de l’imposante villa.

Il finit par se garer en prenant grand soin que tout soit parfait avant de mettre fin au son caractéristique du moteur. Il jette encore un dernier coup d'œil sur le tableau de bord, par acquit de conscience. C'est satisfait de lui et sifflotant qu’il sort du garage pour rejoindre le hall d'entrée, les mains enfoncées dans les poches.

Le manoir possède un hall immense, avec un escalier en deux parties se rejoignant à l’étage, ainsi qu’une statue gigantesque d’un lion rugissant, faisant face à l’entrée. Oui, car sa famille ne connaît pas de demi-mesure quand il s’agit d’afficher leur richesse puante. Il accroche son manteau sur le portemanteau et hoche la tête en voyant s’approcher son majordome. “Miro… ”

L’homme lui sourit et s’incline brièvement avant de prendre la parole. “Monsieur, permettez-moi de vous informer que votre père vous attend dans son bureau pour avoir des nouvelles de votre conférence aujourd’hui.”

En faisant claquer sa langue contre son palet, Léo acquiesce en soupirant. “Je m’en doute… Merci quand même, Miro.”

Il se dirige d’un pas lourd vers l’escalier et monte les marches deux à deux. Il suit le couloir sinueux et décoré à outrance et s’arrête devant une porte en bois ciré affichant une petite plaquette dorée arborant le nom ‘Cunningham’. Une grimace s’étire sur ses traits en lisant le nom de son patronyme, ils avaient beau avoir le même nom, ils n’avaient strictement rien en commun, et ne s’appréciaient aucunement. Et puis, qui clouait une pancarte du genre dans sa propre maison, si ce n’est par pur égocentrisme ? Prenant une longue inspiration, Léo frappe sèchement sur la porte pour annoncer sa présence. Une voix profonde et agacée lui répond au bout de quelques secondes.

“Entre !”

Sans plus attendre, il ouvre la porte et se glisse silencieusement dans la pièce. Un bureau magnifique en bois d’olivier trône au centre et un sol en marbre noir se met harmonieusement en contraste avec la baie vitrée. Offrant une vue imprenable sur les jardins à l'anglaise du domaine. Assis sur une chaise en cuir, dans un recoin éclairé par une petite lampe de chevet, son père l’observe entrer par-dessus ses lunettes de lecture, un cigare nonchalamment tenu entre ses doigts. Une bouffée de fumée s’échappe de ses lèvres entrouvertes et Léo retient à peine son énervement. Autant l’odeur des cigarettes pourrait lui donner envie de recommencer à fumer, autant celle des cigares lui est insupportable.

“Alors… ?” Bougonne son père en lâchant un autre nuage de fumée âcre en reprenant la lecture du document qu’il tient en main.

Se raclant la gorge, Léo retient un nouveau claquement de langue et entame son résumé, annonçant la présentation réussie de son prototype pour un nouveau modèle de voiture. Étant un grand passionné du milieu automobile, c’était un projet qui lui tenait à cœur depuis très longtemps. Quelques années plus tôt, il avait eu l’opportunité de commencer à travailler pour Sun Motors, dont il est à présent vice-président. La boîte lui avait donné une chance en or, et il s’y est investi avec toutes ces tripes et son âme.

Il avait beau être l’héritier d’une immense fortune, il voulait faire les choses correctement et se prouver qu’il pouvait y arriver sans le soutien financier que son nom pouvait lui apporter. Ayant fini son compte rendu, son père acquiesça silencieusement sans plus d'intérêt que ça, et Léo s'éclipse de la pièce, envahie par l’odeur désagréable du cigare.

Soulagé d’être enfin libéré de ses obligations, il expire tout l’air de ses poumons et se remonte le moral en songeant à ce qu’il pourrait bien faire pour fêter cette journée réussie. Rien de tel qu’une partie de billard accompagné d’un bon cocktail exotique, se dit-il en sortant son portable de sa poche pour contacter sa sœur et le petit ami de cette dernière. N’obtenant pas de réponse immédiate, il enfouit son téléphone dans son jean et rejoint sa chambre pour ensuite se déshabiller et se glisser sous le jet d’eau brûlante de la douche. Ses cheveux bleus électriques lui retombent dans une cascade dégoulinante devant les yeux. En ce moment, il gardait les côtés rasés courts et le haut de sa chevelure longue d’une dizaine de centimètres environ. La seule chose qu’il ne changeait jamais dans sa coiffure, était sa couleur. Au départ, cela avait été un coup de rébellion, mais au fil du temps, c’était en quelque sorte devenu une partie de sa personnalité. Il est perdu dans ses pensées et fronce le nez en repensant à sa relation foireuse avec son père. Il échangerait cette vie de milliardaire pour une famille normale s’il le pouvait. Depuis sa plus jeune enfance, il avait eu la plus grande liberté du monde, l’attirant bien souvent dans pas mal problèmes pendant son adolescence… Mais jamais, il n’avait pu éprouver l’amour d’une famille aimante et attentionnée. Certes, il n’avait manqué de rien… Sauf ça. Il baisse la tête et regarde l’eau couler à ses pieds, formant ici et là un amas de bulles savonneuses. Une vague de rage l’envahit et il heurte la paroi carrelée de la douche en réprimant un grognement frustré. Un frisson douloureux remonte le long de son bras et le fait grimacer. Expirant un long soupir défait, il se laisse glisser contre le mur et contemple ses mains tremblantes un bref instant avant de fermer les yeux et reposer sa tête en arrière. La fraîcheur du carrelage sur son dos apaise ses sens en ébullition et le calme lui revient graduellement. Il reste encore un long moment assis avant de se décider à sortir de la cabine et de refermer le robinet d’eau derrière lui. Se passant une serviette autour de la taille, il s'arrête devant sa penderie pour en sortir une tenue chic et hors de prix pour la soirée. Son choix ? Un pantalon de costume noir et une chemise blanche, le duo, on ne peut plus classique. Enfin prêt, il jette un œil sur son portable et sourit en voyant la réponse affirmative et enthousiaste de sa sœur, assorti d’une série de cœurs et d’étoiles. Sortant de sa chambre, il se dirige d’un pas plus léger vers le couloir menant aux garages et choisis soigneusement une des paires de clefs pendue au crochet à côté de son manteau.

D’une humeur bien plus joyeuse, il glisse son doigt dans la clenche pour ouvrir la portière de l’ancienne Lamborghini bleue. Oui, il a poussé le vice de sa petite rébellion jusqu’au bout, ses trois voitures sont exactement de la même couleur ! Il s’installe confortablement sur le siège en cuir beige et lance le V12 d’un coup de poignet souple. On lui reproche souvent de s'intéresser plus à la mécanique qu’à la gent féminine, mais lui, cela le fait juste bien rire, car il doit admettre que les femmes ont plutôt tendance à l’ennuyer qu’autre chose. Surtout celles qu’il côtoie dans les cercles huppés, plus intéressés par son argent et son nom que par sa personne. Apparemment, quand on est riche, on peut se permettre d’avoir un caractère de merde et quand même arriver à trouver bague à son doigt ! Il n’y a pas que les gonzesses qui le gonflent, les mecs avec leurs faux airs de riches et leurs discussions à deux balles ne valent pas mieux non plus. C’est à croire qu’il n’y a que la taille qui compte et le nombre de culs qu’on baise, bien entendu. Car pour mettre la taille en valeur, il faut bien au moins se pavaner avec une nana différente toutes les deux semaines ! Il est bien mieux seul, que mal accompagné !

Le centre-ville n’est qu’à quelques kilomètres du domaine Cunningham et il lui faut à peine un quart d’heure avant d’arriver en face du bar Bamboo Lion, où ils se sont donnés rendez-vous. C'est en quelque sorte devenu leur point de rencontre depuis que Fisher a découvert le côté exotique du pool bar. (Oui, Fisher n’est pas son vrai nom, mais comme il y a plusieurs Axel dans la bande, ils ont dû trouver un nom de code.) Il faut dire que les cocktails de malade que fait le gérant ont pas mal influencé leur choix. C'est une signature de l'établissement avec laquelle ils ont bien trop souvent fini torcher sur le comptoir.

Léo entre d’un pas leste et repère le couple à leur table habituelle. Ils lui font signe et il s’arrête au comptoir pour commander un de ces fameux cocktails avant de les rejoindre. C'est à peine arrivé à hauteur de la table de billard que sa sœur lui saute au cou pour l'accueillir dans une tempête de cheveux noirs.

Il fait tourner Rosie en la serrant fort contre lui et cela fait rire la jeune femme aux formes généreuses. Il finit par la déposer pour enfin pouvoir saluer Fisher qui attend tranquillement de l'autre côté de la table, lui saisissant la main dans une poignée amicale. Son ami le regarde de son sourire narquois.

“Toujours en retard, hmmm. Tu sais, y a des petites astuces pour y remédier… Comme d’avancer ta montre de dix minutes, voir un peu plus dans ton cas… ”

Léo ricane en arborant un air de défis dans les yeux. “Si vous étiez plus rapide à répondre à mes messages, peut-être que j’aurais envie d’être à l’heure pour une fois… ”

Rosie les regarde en soupirant, exaspérés par leur attitude défiante. “Vous êtes venu pour vous chamailler, ou pour passer une bonne soirée ? À force, je vais finir par douter que vous soyez réellement meilleurs amis… ”

Haussant les épaules, Léo sourit à sa sœur et s’empare du set de billard pour le disposer sur le tapis vert. “Deux contre un ?” Demande-t-il avec enjouement en appliquant de la craie sur la queue qu’il fait tournoyer habillement contre le cube bleu.

Fisher grimace et hoche la tête avant d’attraper Rosie par la taille et de lui déposer un baiser affectueux sur la tête. Léo détourne le regard en levant les yeux au ciel. Il doit admettre avoir encore du mal à accepter que sa petite sœur protégée soit tombée sous le charme de son meilleur ami. Le gars est fin comme une allumette, a un sourire de sociopathe, bois de la vodka comme si c'était du petit jus et passe son temps à chercher les emmerdes. Enfin d’un autre côté, c’est mieux qu’un parfait étranger… Si on oublie son casier judiciaire et ses tendances à frapper tout ce qui bouge et porte des couilles. Il lui reste quand même un minimum de morale… Au moins, Rosie n’aura jamais à se soucier du danger rôdant dans les rues le soir, ni ailleurs en fait. Le moindre regard coulant sur son décolleté est récompensé par quelques dents brisées, un souffle coupé et des burnes en lambeaux. Fisher est sans pitié et n’a aucune limite lorsqu’il s’agit de défendre Rosie.

Léo se penche sur le tapis de jeu pour casser le triangle et relève les yeux sur trois nouveaux arrivants dans le bar. Captivé par le jeune homme en tête du trio, il envoie la bille blanche mollement dans le triangle et jure en réalisant son geste peu habile.

Le gars avait les cheveux noir ébène, mi-court mi-long, et complètement en bataille, un sourire charmeur et une allure souple et fringante. Et ses yeux… Bordel, il ne peut même pas décrocher son regard tellement il est absorbé par leur couleur fascinante. Ils brillent tels des ambres exposés à la lumière du soleil, partiellement cachés sous des paupières en amande, typique des personnes aux origines asiatiques. Le contraste avec le noir de ses cheveux est tout simplement exceptionnel. La soudaine envie d’être son seul centre d’attention envahit Léo telle une vague possessive. Une sensation tellement étrange qu’il en reste effaré et il peine à maintenir une expression impassible.

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