Chapitre 4

19 minutes de lecture

Léo s’est bouffé les méninges toute la nuit, ainsi qu’une majeure partie de sa matinée, pour une raison absolument absurde : Qu’est-ce qu’il allait bien pouvoir envoyer comme message à Kai ? Il ne voulait pas bêtement envoyer un ‘salut c’est Léo’, cela ne faisait pas classe du tout, ni original du reste. Ensuite, un autre point important, Léo se sent complètement perdu face à cet intérêt qu’il porte pour cet homme. Jusqu’à présent, il n’avait jamais ressenti ce magnétisme envers quelqu’un, genre vraiment personne ! Il fronce les sourcils en se demandant si en fin de compte, il ne serait peut-être pas gay ? Il secoue la tête vivement et finit par plaquer son portable sur la commode. S’il reste encore longtemps à questionner sa sexualité, il va finir par devenir cinglé et arriver en retard au boulot. Donc il se force à chasser le sourire charmeur de Kai de ses pensées et se concentre sur ce qu’il sait faire de mieux ; se donner à fond pour son taf ! Sur la liste des choses à faire aujourd’hui se trouve une pile de paperasse à trier et à classer, suite à la conférence. Les voitures n’allaient pas se fabriquer toutes seules, en conséquence il fallait également qu’il fasse un détour par la fabrique pour discuter avec le chef de production. Le début de sa carrière n’avait pas été des plus évidents. On l’avait affublé de noms tels que ‘fils à papa’, ‘petit con d’héritier’ ou encore son favori : ‘le connard aux cheveux bleus’. Ouais, on peut dire que c’était une ambiance d’enfer… Littéralement. Malheureusement pour les jaloux, Léo n’était pas du genre à se laisser marcher sur les pieds et s’est acharné à prouver qu’il méritait sa place en tant que vice-président malgré son jeune âge et ses origines paternelles. À présent, on l’appelait encore ‘le connard aux cheveux bleus’, mais c’était devenu une boutade plus qu’autre chose. Boutades qu’il tolère la majeure partie du temps, dans ses bons jours, quoi.

Léo gare sa voiture sur sa place attitrée, juste à côté du portail de la fabrique et se dirige ensuite d'un pas aisé vers la salle de contrôle. C'est toujours là qu'il a rendez-vous avec Marc, le chef de production quarantenaire aux airs blasés h-24 et les yeux bouffis par la cigarette du matin au soir. C’est à se demander si le gars n’aime juste pas son boulot, ou si la vie le saoul à ce point-là… Bref, malgré sa motivation peu apparente, Marc connaît son métier sur le bout des doigts et se montre plus efficace que tous ses prédécesseurs réunis, donc on lui pardonne plus aisément son expression un peu stone. Ils font le point sur les changements à faire dans la production pour inclure les nouvelles pièces nécessaires pour le nouveau modèle. Trois nouvelles machines d’assemblage sont à commander, deux nouveaux employés doivent être ajoutés à l’équipe de nuit et le showroom doit être aménagé afin de pouvoir exposer le dernier prototype. Tellement pris par les discussions, Léo remarque à peine le temps passé et son ventre finit par se manifester douloureusement sur les coups de midi. Il faut dire qu’il s’est un peu beaucoup torturé le cerveau ce matin, au sujet d’une personne que l’on ne nommera pas, au point d’en oublier son petit-déjeuner. C’est donc affamé qu’il quitte Marc l’apathique et se rend dans le premier supermarché venu, un Super U blindé de monde. Il se hâte au rayon pâtisserie où il choisit une tarte au citron meringué, le truc pas calorique du tout… Il sort du magasin avec son repas sucré dans une main et dans l’autre, deux cafés froids Starbucks qu’il avait aperçu à la caisse en attendant son tour dans la file interminable constituée principalement de vieilles mamies. Autant dire qu’il a dû attendre une plombe, le temps qu’elles étalent au ralenti leurs articles sur le tapis roulant. Léo s’avachit sur une table en extérieur en face d'un campus scolaire et y étale ses victuailles en soupirant bruyamment. Au moment même où il veut prendre sa première bouchée, ses yeux se posent sur le regard ambré du jeune homme qui vient de s'installer en face de lui. Oh, merde… La bouche toujours grande ouverte avec le morceau de gâteau perché en apesanteur entre ses dents, Léo fait défiler une série d'excuses différentes dans sa tête pour justifier son silence radio. Évidemment, aucune ne lui vient à l'esprit. Alors, pour ne pas perdre la face, il croque dans la meringue crémeuse et grogne un salut étouffé. “Chalut” Ouais, très galant… On repassera sur sa façon de ne pas se faire passer pour un gros connard sans-gêne.

Kai hausse un sourcil avant de sortir son cahier de chimie avancée, ignorant royalement par la même occasion son interlocuteur. Son envie de discuter s'est bizarrement évanouie.

Léo se retrouve légèrement pris de court par le comportement indifférent de Kai, mais il prend néanmoins le temps de savourer son dessert, tout en l’observant penché sur ses cahiers. Ses yeux finissent par remarquer une mèche blanche qu’il n’avait pas vue la veille. Peut-être qu’il ne l’avait tout simplement pas remarqué hier ? Qui sait… Ça lui donne un certain style. Il continue son observation tout en mâchant soigneusement la dernière bouchée de meringue. Il note également que Kai tourne les pages uniquement de sa main gauche, écrit de sa main gauche maladroitement, boit de sa main gauche à nouveau et sa main droite ne dépasse jamais le rebord de la table. Après l’avoir vu tourner la dixième page, il ne peut retenir un commentaire. C’est plus fort que lui, il faut que ça sorte.

“Tu t’es coupé une main, ou tu le fais exprès ?”

Léo n’est pas du genre à avoir du tact, mais il regrette presque aussitôt ses mots en croisant le regard menaçant de Kai. Une personne normale s’excuserait peut-être d’avoir dit quelque chose de mal placé, mais pas Léo. Sa fierté, ou plus précisément son ego l’en empêche et pire encore, il continue à défier ce regard sombre braqué sur lui. C’est complètement puéril, nous sommes tous d’accord !

Kai se mure dans le silence et se met à remballer furieusement ses affaires, toujours de la même main. Il se lève ensuite sans cacher son agacement et soulève son sac à bretelle unique pour le jeter sur son épaule. Son geste met en évidence sa main droite et Léo ressent bien plus de regrets qu’il croyait possible en voyant le bandage médical. Fais chier, voilà qu’il se retrouve assis là sans savoir quoi faire pour retourner la situation à son avantage. Il se lève abruptement, renversant au passage la boîte plastique vide de son dessert. Embarrassé, il la ramasse et se cogne contre la table en se redressant, lui arrachant un juron. “Putain de table !”

Kai en profite pour s'éclipser, il n'est pas d’humeur à supporter les boutades et commentaires de cet homme, visiblement bien différent de la première impression qu’il en a eu la veille. Léo s’en veut d’avoir agi sans réfléchir, il ne désirait pas le vexer, mais en même temps il ne s'était pas attendu à ce qu'il parte sans même relever sa phrase. Où est passée là répartie enjouée qu’il avait aperçu hier soir ? Léo se sent terriblement mal et ne sait pas comment gérer cette sensation dérangeante de culpabilité qui le ronge.

“Eh merde… Kai attend !”

La colère commence à monter en Léo, n’ayant pas l’habitude d’être ignoré de la sorte. Il élève la voix sans se soucier du monde, les observants attentivement.

“Hey, attends je te dis ! Le prend pas mal comme ça, putain !”

Il tente de le rattraper avant qu’il n’atteigne le portail de l’université et le retient par son bras valide.

“Sérieux Kai, attends ! Je pensais pas que tu prendrais la mouche pour si peu !”

Kai se retourne vivement en se dégageant de son emprise et lui fait face, le regard furieux et la colère fait trembler sa voix.

“J’ai pas envie d’attendre ! Et encore moins de supporter tes commentaires à deux balles ! … Oh et puis ne prends pas la peine d'enregistrer mon numéro. J’ai mieux à faire que de traîner avec un type comme toi !”

Léo se fige comme si le ciel lui tombait sur la tête, sa colère s'évapore pour laisser place à l'incrédulité. Il ne sait pas quoi faire, mis à part regarder impuissant la furie Japonaise opérer un demi-tour et repartir en direction du campus. C’est donc son ego touché à vif et agacé qu’il s’en retourne vers sa voiture garée un peu plus loin. Non, il ne l’avait pas du tout trouvé sexy… Pas pour le moins du monde ! Ses yeux assombris par la colère ne lui ont absolument pas donné de frissons dans le dos, ni accéléré son cœur dans sa poitrine. C’est juste de la surprise mélangée à de la colère, rien d’autre… Et son jean noir qui lui accentue le cul ! Non, non, non, Léo secoue la tête vivement. Il ne faut pas qu’il pense à ça, il n’est pas sous le charme et n’est pas intéressé du tout par cet homme irrésistiblement ténébreux. Sa passion, ce sont les bagnoles, la mécanique et rien d’autre ! Et puis, il n’est pas gay…

Kai de son côté regrette amèrement son coup de colère, mais pour une raison qui lui échappe, il s’est mis en rogne pour une futilité que jamais il n'aurait relevée dans un état d’esprit normal. À présent, il en est quasiment sûr, Léo ne lui enverra jamais de messages. Bien joué…

Lorsqu'il avait vu sa tignasse bleue au loin, il avait rapidement quitté ses amis pour le rejoindre. Il avait prévu de se moquer gentiment de son silence et espérer en apprendre plus sur lui, mais il avait tout gâché en se prenant la tête pour une blague pourrie.

“Je peux vraiment être con parfois… ”

Si seulement il avait son numéro de téléphone… Au moins il aurait pu tenter de s’excuser. Le désarroi l’envahit, car les chances de le revoir sont assez minces, deux rencontres fortuites en deux jours… D’accord on dit souvent : pas deux sans trois, mais vu comment il l’a envoyé bouler, c’est à parier qu’il évitera les alentours du campus. La journée passe au ralenti et ses remords persistent. Les discussions et les cours ne l'intéressent pas plus que ça et des tics nerveux font rapidement leurs apparitions. Nakim, qui connaît son ami sur le bout des doigts, commence à s’inquiéter. Il est rare de le voir fixé comme ça sur son portable et le cliquetis de son stylo-bille qu’il malmène est même carrément insupportable. Kai reste muré dans ce silence interminable jusqu'au soir. La patience à bout, Nakim n’y tient plus et fait une tentative pour délier la langue de son pote.

“Booon…. Tu veux une bière ? Histoire de décompresser un peu ?”

L’interpeller ne hausse même pas la tête lorsqu'il grogne un son approbateur. C’est mauvais signe… Son ami saisit le dossier de son fauteuil et se lève pour aller leur chercher deux canettes qu’il dépose sur la petite table.

“Tu vas rester silencieux comme ça toute la soirée ?”

Il ne reçoit aucune réponse, juste un simple haussement d’épaules. Kai saisit la canette sur la table et, avec quelques difficultés, fait basculer la languette métallique d’ouverture. Nakim hausse encore une fois un sourcil et se racle la gorge.

“Tu sais que t’aurais pu me demander de l’ouvrir… ”

Kai se renferme un peu plus sur lui, cherchant à comprendre ce qui ne va pas chez lui pour qu’il réagisse ainsi. Ce n’est vraiment pas dans ses habitudes et admettons encore que face à un étranger, il puisse perdre patience, mais pas envers Nakim. Ce mec a une patience de dingue et a toujours été là pour lui, alors pourquoi n’arrive-t-il pas à déballer ce qui le ronge ? Peut-être qu’il est simplement trop fatigué en fin de compte. Il finit par boire sa bière d’une traite pour ensuite se lever et partir se coucher sans pour autant dire un mot de plus, n’ayant pas la force d'entamer une discussion plus élaborée.

Nakim se sent complètement invisible et ignoré, cela le dépasse. Dépité, il décide d’allumer la télévision en attendant que Kai se décide à revenir de son trip dépressif. Tant qu’il ne veut pas parler, il ne peut pas grand-chose pour lui, donc mieux vaut attendre que la tempête passe. Insister ne ferait qu’ajouter de l’huile sur le feu de toute façon. Il ne fait aucun doute que le miroir ne s’est pas brisé malencontreusement hier soir, et Nakim n’a pas fort envie de jouer une nouvelle fois les infirmiers pour son ami impulsif, ni de ramasser les débris entre nous soit dit.

Kai referme la porte de sa chambre en soupirant, il ne se reconnaît plus et ne sait pas comment sortir de cette spirale infernale. En plus de se sentir con d’avoir été un enfoiré avec Léo, il se sent encore plus con d’ignorer son meilleur pote de la sorte. Qu’est-ce qui ne va pas chez lui, bordel ! Cela ne lui ressemble vraiment pas ! Certes, le mec a un charme indéniable, mais quelle arrogance de se pointer devant son bahut en bouffant sa fichue meringue comme s’il ne l’avait pas ignoré royalement depuis qu’il avait son numéro. C’est quoi son problème ? Kai se passe une main dans ses cheveux dépités.

“Il faut vraiment que je me sorte ce mec de la tête…” Plus facile à dire qu’à faire, car même avec la plus grande détermination du monde, la seule chose qui tourne en boucle, encore et encore dans son crâne, c’est leur altercation de ce midi. “Fais chier !”

“Besoin d’un coup de main ?” Un froid immense envahit Kai en entendant cette voix distordue. Il pivote sur lui-même, cherchant d’où elle peut bien sortir. La pièce est calme, presque trop calme après réflexion. Le son sourd de la télévision qu’il entendait plus tôt s’est tu, est-ce que Nakim est parti se coucher ? Peu probable, il reste en général planté devant sa télé jusqu’à pas d’heure et s’endort même une fois sur deux dans le canapé. Kai fronce les sourcils en essayant de forcer son ouïe, mais le silence est accablant. Pas un son, même pas le tic-tac régulier de l’horloge posée sur son chevet. Il ouvre la bouche pour appeler son ami, mais sa voix meurt avant même de franchir le pas de ses lèvres. La pièce se met subitement à tanguer autour de lui et le fait quasiment perdre l’équilibre. La panique l’envahit tel un raz de marée, il ne sait pas ce qui lui arrive, mais une chose est sûre, c’est que tout ça n’annonce rien qui vaille. Sa respiration se fait erratique et il peine à garder le contrôle. Ses pieds sont comme bétonnés au sol, impossible de faire un pas. La surface du parquet sur lequel il se tient se met à onduler comme s’il était fait d’eau mouvementée. C’est à se demander s’il n’a pas avalé des substances psychédéliques sans s’en rendre compte ! Il observe avec angoisse une épaisse noirceur qui se met à couler le long des murs tel de l’encre noire absorbant toutes couleurs sur son passage. S’il avait cru paniquer un peu plus tôt, ce n’est rien comparé à la terreur qui le galvanise à présent. Il ne distingue plus rien, ni ses mains qu’il tend devant lui dans l’espoir de toucher n’importe quoi de familier qui le rassurerait, ni ses pieds toujours cloués sur place. Peut-être que s’il fermait les yeux, tout cela ne serait qu’un mauvais rêve. De toute façon il n’y a pas moyen que tout cela soit réel ! Alors il ferme les yeux obstinément, de toutes ses forces, serre les poings et retient son souffle tel un gamin, priant que le monstre dans son placard ne le dévore pas lorsqu’il réouvrira les yeux. Lorsque l’air commence à lui manquer cruellement, il craque, il entre-ouvre un œil et tout l’oxygène qu’il avait retenu s’échappe brusquement en se retrouvant nez à nez avec son double démoniaque. Ses pieds sont toujours désespérément figés, il ne parvient même pas à faire un pas en arrière et encore moins fuir à toutes jambes. Il est donc livré à son sort et est obligé de faire face à son ‘frère’. Avec un peu de chance, il sortira de ce cauchemar et se réveillera dans son lit pour se rendre compte qu’il s’est endormi sans le savoir. Ouais, c’est forcément un cauchemar… Il se le répète sans cesse, tel un mantra. Ses lèvres bougent, mais les sons continuent à mourir au fond de sa gorge.

“Tu penses vraiment que ce n’est qu’un simple cauchemar ? Une crise de panique ? C’est vrai qu'on pourrait presque s’y méprendre, la sensation de se sentir submerger… ” Kano fait une pause pour observer le visage de Kai se tordre d’horreur lorsque l’eau commence à monter le long de ses chevilles. “La sensation de perdre le contrôle de son corps… La sensation de ne plus arriver à respirer… De suffoquer… ” L’eau monte encore et encore, bientôt il sera entièrement submergé, alors il prend une longue goulée d’air. Il se rend bien compte qu’il ne tiendra pas très longtemps en apnée, étant donné que ses pieds ne lui obéissent toujours pas, il ne pourra pas rester à la surface pour respirer. Malgré tout, il refuse d’abandonner, pas face à cet enfoiré qui se fait passer pour son frère !

“Tu crois toujours qu’il ne s’agit que d’un rêve, que je n’existe pas ?” Kai n’a même pas le temps d’enregistrer la question, il est bien trop occupé à se débattre avec son corps pour ne pas prendre cette inspiration mortelle que ses poumons exigent avec désespoir. Le rire glacial de Kano lui parvient tel un écho étouffé tandis qu’il se plaque la main sur les lèvres pour s’empêcher de respirer. Il ne peut pas abandonner, il ne veut pas mourir… Il n’est pas prêt !

“Oh, ça va arrêter de te débattre, tu vois bien que j’arrive à respirer !” Kai secoue la tête vigoureusement, ses cheveux flottants suivent mollement son mouvement. C’est forcément une ruse, ce n’est pas parce que ce mec arrive parfaitement à respirer sous l'eau, que ce sera pareil pour lui. Il resserre sa main sur sa bouche, mais la douleur et les soubresauts de son thorax lui annoncent qu’il arrive rapidement au bout de ses limites. Le sourire sardonique et amusé de son double lui semble vague et flou, sa conscience commence à lâcher prise malgré sa détermination à tenir bon. “Oh pitié… Je ne voulais pas te forcer la main, mais tu ne me donnes pas le choix, vraiment !” S’indigne Kano moqueusement en s’approchant dangereusement de lui. Son doigt sinueux et blafard se pose sur son front et il se sent pris d’un soudain vertige. Il se sent chuter tel un boulet de canon absorbé par un fond sans fin. C’est comme si la gravité s'intensifiait brutalement. Il veut crier, hurler, se débattre, mais cela le forcerait à inspirer cette eau sombre, alors il retient tout avec la force du désespoir. Il faut qu’il se réveille, tout ça ne peut pas être réel ! Sa gorge lui brûle intensément et se serre frénétiquement, il ne peut plus retenir son souffle. Un amas de bulles s'échappe de ses lèvres qui se sont ouvertes malgré ses efforts pour les en empêcher. Maudit soit elles ! Alors qu’il s’attend à sentir l’eau s’infiltrer dans sa bouche, de l’air gonfle ses poumons endoloris. Il n’a pas le temps de s’en étonner, car sa chute s’arrête brusquement et ses pieds heurtent de plein fouet une surface qui se brise sous l’impact, tel de la glace. Kai traverse les débris et reste suspendu en dessous des éclats de miroir pendant quelques brèves secondes, puis sa chute recommence, lui arrachant une exclamation de terreur. Stupéfait d’avoir produit un son, il interrompt son cri avant de recommencer à hurler. Ses mouvements sont convulsifs et désordonnés, il n’arrive pas à ralentir sa chute dans ses eaux obscures. Sa voix devient éraillée à force de s’égosiller. Il ferme les yeux dans une tentative désespérée pour trouver une solution, un moyen d’interrompre sa descente aux enfers. Frustré de ne pas être capable de se sortir de là, il ouvre les yeux en se débattant de plus belle. “Tu me veux quoi, putain ?!” Hurle-t-il à l’intention de Kano, qui flotte à quelques mètres de lui, un sourire sinistre plaqué sur ses lèvres. L’homme ne semble pas affecté par la vitesse à laquelle ils coulent. Au contraire, il semble carrément s'amuser. Ce type est complètement détraqué !

Je pensais que tu voulais te sortir ce gars de la tête ?” L’ironie de la situation… C’est sûr que vu comme il a manqué de se noyer et qu’il coule toujours à une vitesse déconcertante, il n’a pas vraiment eu l’occasion de penser à Léo. “T’es sérieusement en train de me dire, que c’est ta façon de me faire oublier Léo ?! T’es complètement taré ma parole !” Rugit Kai, la haine dans la peau.

“Quoi ? T’as jamais précisé comment tu voulais t’y prendre !” s'indigne Kano en arborant un rictus sombre. Il va même jusqu’à croiser les bras sur son torse en soupirant d’exaspération. Kai n’en revient pas, ce mec est absolument sérieux en plus !

“Non mais, j’y crois pas, d’où t’as cru que d’essayer de me tuer, serait une bonne idée ?!” Le sourire moqueur de Kano s’étire de façon démentielle, semblable au chat de Cheshire. Ses yeux de glace le transpercent de leur mauvais éclat.

De suite les grands mots ! T’es pas mort à ce que je sache !”

Kai ouvre la bouche pour rétorquer, mais ne trouve pas de répartie suffisamment cinglante. Il se contente donc de lui asséner le regard le plus meurtrier qu’il ait en stock. Si son regard pouvait tuer, Kano serait fort probablement mort en cet instant. Peu impressionné, ce dernier ricane.

T’as toujours pas compris que tu pouvais arrêter ta chute, hein ? Tu parles d’un génie ! Mon cul, oui !”

“Putain, mais c’est toi qui me fais tomber comme un con depuis tout à l’heure !!”

Kano part dans un éclat de rire glacial et se plie en deux tellement il est pris de soubresaut. Quand il se ressaisit enfin, il essuie une larme du coin de son œil. “Mon Dieu, je crois que je n’ai pas autant ri depuis… Depuis toujours en fait ! Bon d’accord, j’ai peut-être malencontreusement amorcé ta chute… Mais tu continues à tomber de ton propre chef, je t’assure ! Il te suffit de lâcher prise pour que ça s’arrête.”

“Non, mais j’hallucine, t’es vraiment détraqué ! Lâcher prise ? Vraiment ? Et puis quoi encore !? Tu veux pas que je te danse la Macarena tant que t’y es ?!”

Nouveau rire tonitruant de Kano. Ce mec a réellement l’air de prendre son pied ! “Si tu ne peux pas t’en empêcher, ma foi, je dis pas non ! Je veux même bien t’accompagner !”

Kai ne peut s’empêcher de lever les yeux au ciel, inexistant au passage. Il tombe toujours et ne voit pas comment il serait censé être capable de contrôler sa chute, mais il prend le temps de trouver la situation ridicule. C’est du grand n’importe quoi ! Comme tout ce qui se déroule en ce moment à vrai dire… Il peut sentir l’eau couler le long de sa peau, tel un torrent glacé qui l’aspire inexorablement au fond des abysses. Il faut qu’il remonte à la surface, que tout s’arrête ! Il faut absolument qu’il se réveille, bordel !

“T’es qu’un cinglé ! Sors-moi de là, au lieu de te foutre de ma gueule !!” C’est au tour de Kano de lever les yeux au ciel. “T’es sourd ou quoi ? Je t’ai dit que t’avais juste à lâcher prise pour que tout s’arrête !”

“Comment veux-tu que je lâche prise dans cette situation de merde ?”

“Pas mon problème, mec.”

Ouais, il aurait pu se douter que ce type ne l’aiderait pas. Mais, ça valait la peine de tenter le coup, non ? Kai se mord la lèvre pour éviter d’exploser. La colère à au moins le mérite de calmer sa panique, sa respiration est moins erratique et la peur moins présente. Il ferme les yeux pour ne plus avoir à regarder le sourire flippant de Kano. Rien que la vue de ses yeux de glace sur son teint livide lui donne des frissons de malade, alors pour se concentrer à lâcher prise, ça relève carrément de l’impossible. “Aller Kai… Tu peux le faire… Tu peux le faire, c’est qu’un putain de rêve.” Murmure-t-il pour se donner du courage. Il ignore le rire moqueur de Kano et s’applique à calmer sa respiration. Brusquement, la gravité s’inverse et lui arrache un cri de surprise. La force de l’inversion le fait tomber à genoux et tousser lourdement. En ouvrant les yeux, il réalise avec un soulagement non dissimulé qu’il se tient dans sa chambre. Un demi-sourire s’étire sur ses lèvres, mais s’évanouit aussi rapidement qu’il est apparu. Ses vêtements, ainsi que le parquet autour de lui, sont trempés à mort. On aurait balancé un seau d’eau sur sa gueule, que ça aurait été pareil !

“C’est quoi ce délire… ” Exhale-t-il encore essoufflé par cet étrange épisode. Le son de la télévision lui parvient à nouveau comme un bruit sourd et rassurant. Si ses vêtements n’étaient pas si mouillés, il se serait convaincu que tout n’était qu’un mauvais trip. Dommage… Même le fond de teint qui couvre normalement ses avants bras a été emporté par le torrent d’eau. Il cligne des yeux à plusieurs reprises et fronce le nez en observant une nouvelle tache blafarde sur le dos de sa main.

“Toi, t’étais pas là avant, connasse… ”

Kai se traîne vers le miroir de l’armoire en se relevant, voulant voir l’étendue des dégâts qu’avait causés sa chute dans cet autre monde. Ouais, un autre monde, car il n’a pas de mots plus précis pour décrire ce qu’il vient de vivre. Il constate avec horreur que des nouvelles mèches blanches parsèment ses cheveux et une nouvelle marque parcourt sa joue, formant une balafre blanchâtre.

“Putain de…. ” Il ne finit pas sa phrase, le rire sonore de Kano retentit dans son esprit, lui bouclant d’emblée la bouche. Secouant le visage, une main enfouie dans ses cheveux parsemés de blanc, il se dit qu’il doit être maudit pour subir ce qui lui arrive. Cette fichue balafre blanche déteint horriblement sur son visage en plus !

“C’est juste un peu de blanc, tu vas pas en faire un drame quand même ?”

C’est la réplique de trop. Kai se détourne du miroir en grondant. “Va te faire foutre ! Et sort de ma putain de tête !”

“Hmm, hmmm, comme tu voudras, … Frangin.” Fredonne son double démoniaque moqueusement en se dissipant finalement de ses pensées. Kai donne un coup de pied énervé dans un t-shirt traînant au sol. Il tremble de froid et part se réchauffer rapidement sous la douche avant de se laisser tomber ivre de fatigue sur son lit. Il regrette presque de s’être laissé tomber de la sorte, car la sensation lui rappelle amèrement celle de la chute libre un peu plus tôt…

“Quel merdier… ” bougonna-t-il en se roulant en boule dans ses draps.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Maowen ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0