Chapitre 8

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Léo fait tourner les glaçons dans son verre inlassablement. C’est son deuxième whisky, car le premier, il l’a descendu cul sec. Ça fait presque un quart d’heure qu’il est assis au comptoir du bar et espère que Kai le rejoindra sans vraiment y croire. Il grimace avec amertume avant de boire une nouvelle gorgée d’alcool. Sans téléphone pour s’occuper, il trouve le temps bien trop long et la serveuse lui lance sans cesse des regards aguicheurs. Elle n’est même pas jolie, avec ses lèvres bien trop gonflées, son décolleté grotesquement dévoilant bien trop de sa poitrine débordante. Tout chez elle le révulse et elle ne semble pas comprendre le sens de ses regards noirs, car elle vient même s’accouder en face de lui, un sourire dentifrice des plus kitch sur le visage. Qu’est-ce qu’il aimerait terminer son verre pour le plaquer brusquement devant elle, pour se tirer ensuite… Il se retient de justesse, car s’il doit reprendre le volant ce soir, il vaut mieux ne pas abuser de la boisson. Si son verre se vide trop rapidement, il sera tenté d’en prendre un nouveau pour passer le temps. Alors, il tente d’ignorer la nana à moitié étalée sur le comptoir qui le fixe avec des yeux émerveillés. Putain, mais elle va capter qu’il ne veut pas lui parler ? Qu’il souhaite boire son verre tranquille ?

“T’as l’air bien seul, beau gosse.” Minaude-t-elle en glissant son doigt dans le tracé humide du verre qu’il tient en main. Dire que ça plaît à certains… Très peu pour lui, franchement. Il retrousse la lèvre avec agacement et se prépare à l’envoyer chier lorsqu’un bras blafard se pose avec nonchalance sur son épaule, le coupant net dans son élan. Stupéfait, il n’a pas le temps de découvrir qui se tient derrière lui, qu’une voix froide et râpeuse s’adresse déjà à la serveuse.

“Désolé, connasse. Mais tu peux remballer tes nibards et aller voir ailleurs.” Léo est probablement tout aussi choqué que la gonzesse, qui semble incapable de décrocher ses yeux de l’étranger qui vient de les rejoindre. Elle met donc une éternité à se redresser et ramène sa main sur son décolleté en arborant un sourire de pouffiasse. “Si jamais vous avez besoin de quoique ce soit, je ne suis pas loin.” Glousse-t-elle sans se fâcher du ton sec sur lequel elle vient d’être adressée. Le pire, c’est que ça a l’air de l’émoustiller en plus, car elle s’en va en leur offrant un clin d’œil équivoque.

De très mauvaise humeur, Léo déloge le bras de son épaule et se retourne en posant un coude sur le comptoir, prêt à incendier le gars d’un mauvais regard. Il a un arrêt sur image et a du mal à enregistrer ce qu’il voit. Ses intentions s’évanouissent pour laisser place à la confusion la plus totale. Soit la lumière du lieu lui joue des tours, soit il y avait un truc dans sa boisson… Vu l’intérêt de la serveuse, c’est carrément probable. Il fronce les sourcils, car les drogues affectent rarement qu’un seul truc. Rien ne tangue, il ne se sent pas bizarre non plus et personne d’autre dans le bar n’a de teint cadavérique. Déconcerté, il se racle la gorge et repose son regard sur la personne qui le trouble tant. “Kai ?” Il hésite vraiment, mais le physique de cet homme est à s’en méprendre celui de Kai. Il n’y a pas trente-six Japonais à la ronde, ils se trouvent dans un village perdu en montagne… Pourtant, sa voix glaçante, ses cheveux blancs argentés, son teint livide au possible, ses yeux d’un bleu acier braqué sur lui, même son attitude désinvolte, portent à confusion.

“Haaa, non pas tout à fait… ” Lui répond la copie de Kai, avec un sourire flippant étiré sur les lèvres. Léo a un mouvement de recul et n’est pas tout à fait sûr de ce qu’il voit et entend. C’est quoi ce cirque ? Même ses vêtements sont exactement les mêmes que ceux de Kai. Donc, c’est un peu dur de croire au hasard avec autant de concordances… Ce n’est pas une hallucination, sinon la serveuse n’aurait pas réagi en le voyant. Sidéré, il termine son verre et se lève brusquement dans l’intention de rejoindre sa chambre. Il faut qu’il en ait le cœur net, si Kai se trouve dans leur chambre, tout va bien. Dans le cas contraire, la blague ne lui plaît pas le moins du monde et risque de le mettre dans une fureur indescriptible. Cela ne peut qu’être une farce tordue, de mauvais goût.

“Même pas, tu me demandes mon nom, je suis presque choqué !” Lui lance le cadavre ambulant en le suivant de près, trop près franchement. Léo sent son agacement monter à chaque pas qu’il fait en direction de la chambre. Lorsqu’il ouvre la porte pour découvrir une pièce vide, sa patience s’effrite et il se retourne en agrippant le col de cet enfoiré. “Joue pas avec moi !” Menace-t-il en le plaquant contre le mur. “Je suis vraiment pas d’humeur pour ce genre de conneries, si t’avais pas envie de rester avec moi, t’avais qu’à le dire et je t’aurais gentiment ramené chez toi !” Ajoute-t-il en grondant de rage. Il n’en a rien à battre de la grimace qui s’étire sur le visage pâle qu’il maintient contre le mur avec force. C’est avec peine qu’il retient l’envie de réellement lui faire du mal.

“Ouaaaa, doucement… Je suis pas sûr que ce t-shirt tienne le coup si tu m’empoignes encore plus fort. Kai risque de t’en vouloir, il me semble qu’il l’aime plutôt bien… ” Léo lui assène un regard noir tout en resserrant douloureusement sa prise. Autant dire qu’il n’en a rien à foutre du t-shirt ! “Continue comme ça et je te jure que ton t-shirt abîmé fera pâle comparaison avec ta gueule cassée !”

“Je t’assure que Kai en sera lamentablement affligé.” Ce mec joue vraiment avec le feu. Léo ne retient pas le coup qui vient se loger juste à quelques centimètres de ce visage blême, arborant un sourire sardonique. “Arrête de parler comme si ce n’était pas toi ! Tu crois que je vais t’épargner parce que j’ai été sympa jusqu’à présent ? Tu ferais mieux de réviser ton jugement avant de regretter de m'avoir poussé à bout.”

“Ah, mais je ne suis pas Kai ! Ça ne se teint pas en deux-deux des cheveux, même si ce serait cool, franchement ! Donc, si tu pouvais desserrer ta main… ” Sa voix se crispe sous la douleur. “Kano, c’est comme ça que je m’appelle, je te jure !” S’empresse-t-il d’ajouter en levant les bras pour montrer sa fausse bonne volonté. Il a beau souffrir, son rictus moqueur reste étiré sur ses traits et cela met Léo hors de lui. Son sang pulse dans ses veines et il meurt d’envie de lui effacer son sourire narquois d’une bonne baffe. Si ce mec n’est pas Kai, alors où est-il ? La colère ne lui facilite pas la tâche pour rassembler ses pensées. Il le relâche brusquement et pivote pour ne pas lui refaire le portrait. Il faut qu’il réfléchisse et qu’il se calme par-dessus tout.

Il remarque, du coin de l’œil, que Kano époussette distraitement le col de son t-shirt pour le remettre en place avant de pavaner dans la chambre d’un pas ennuyé. S’il continue comme ça, il va vraiment lui faire mal… Sans le moindre remords ! Par acquit de conscience, il part vérifier la salle de bains, vu que la porte de cette dernière est encore fermée. Peut-être qu’il s’est emporté pour rien, et que Kai se trouve encore enfermé dedans. Malheureusement, ses yeux se posent sur l’obscurité accablante de la pièce. Personne… Mis à part le sac à dos à bretelle unique de Kai et une trousse de toilette posée sur le lavabo, il n'y a rien à voir ici.

“Allez, fais pas tant la gueule, je suis sûr qu’il reviendra éventuellement.” Lui lance Kano avec cynisme depuis l’autre bout de la chambre. Il commence vraiment à douter que Kai soit capable de se comporter ainsi. C’est bien trop éloigné de sa personnalité, même s’il n’en a eu qu’un petit aperçu, il est convaincu qu’il ne lui ferait pas un coup pareil. Mais comment expliquer la ressemblance physique ? Il ne croit pas qu’il s’agisse d’un ‘déguisement’. C’est bien trop réaliste, et vu comme il l’a empoigné, il aurait des résidus de maquillage sur les mains. Or, ce n’est pas le cas. Il aurait également remarqué s’il portait une perruque, vu la proximité qu’ils avaient quand il l’a coincé sur le mur. Léo se tourne soudain vers Kano, avec une curiosité sombre. “T’as l’air de bien en savoir des choses, dis-moi.” Il obtient un haussement d’épaules et un nouveau sourire malsain. “Juste ci et ça… ” Précise vaguement l’individu en plaçant ses bras derrière la tête.

“Tu sais où il est, et je compte bien te faire cracher le morceau !” Gronde Léo en se rapprochant sans le quitter des yeux. Il n’est vraiment pas loin de lui sauter à la gorge et serait même prêt à le pendre par les pieds par la fenêtre jusqu’à ce qu’il se mette à parler.

“Et si on jouait vraiment, hmm ? J’ai envie de m’amuser et toi, tu veux des réponses. Alors, c’est un bon deal, non ?” Le culot ! L’audace de lui proposer un marché à la con ? Pour qui il se prend sérieusement ? Léo doit se faire violence pour ne pas laisser la rage prendre le dessus. Si seulement il pouvait lui éclater ses dents trop blanches pour teindre son visage de rouge… Il se ressaisit et se contente de lui décocher un regard meurtrier. “Et si on faisait un autre deal, tu me dis où est Kai, et j’évite de te défoncer la gueule ?”

Kano pouffe de rire et prend même le temps d’essuyer une larme sur sa joue avant de répondre avec malice. “Je peux très bien ne rien te dire, et tu n’auras rien gagné. Je te demande simplement de passer la journée à nous amuser. Je te rends ton précieux protégé après.” Il avance de quelques pas et s’arrête juste devant Léo en arborant un air sinistre. “Je ne reviens pas sur mes paroles.”

Tout en grinçant des dents, Léo capitule sans pour autant avoir confiance. Mais il n’a pas le choix, considérant la situation surréelle dans laquelle il se trouve. Ce type flippant n’est peut-être pas Kai, mais la ressemblance ne peut pas être ignorée. La logique veut que le hasard ne puisse pas être responsable. Et Léo est un mec logique… Mais comment en être sûr ? Il s’arracherait les cheveux, tellement il n’y comprend rien. Renfrogné à bloc, et toujours à la limite d’exploser, il enfonce ses mains dans ses poches pour ne pas s’en servir sur cet aliéné. “Je suppose que tu as une idée bien précise en tête ?” Grogne-t-il sombrement en grimaçant d’écœurement. Qu’est-ce qu’il a horreur de se faire forcer la main !

Les yeux bleu pâle de Kano étincellent d’une lueur ardente. “Tu vois ! Quand tu veux !” S’écrie-t-il avec moquerie. Léo serre encore plus les dents, absolument exaspéré par cette attitude provocante. “Je peux toujours décider de t’encastrer dans le mur, alors si j'étais toi, je ne pousserais pas le bouchon trop loin.”

“Ouais, ouais, je sais. Tu fais presque peur, avec cet air mauvais.” Muse-t-il d’une voix chantante. “Le village a l’air plutôt sympa, et j’ai envie de goûter à pleins de choses !” Ajoute-t-il en sautillant trop joyeusement vers la porte de la chambre.

Léo expire longuement pour tenter de garder son calme. La journée risque d’être très, très pénible. Non, elle va carrément l’être ! Malheureusement, la seule façon d’en apprendre plus, c’est de suivre cet enfoiré et lui payer à bouffer.

Une idée lui vient soudain, et s’il le bourrait d’alcool ? Peut-être qu’il finirait par lâcher ce qu’il sait ? La théorie semble tenir la route, c’est un coup à tenter. Il supporte donc Kano toute la journée, avec un but bien précis ; le saouler à mort. Trimballer d’un coin à l’autre du village, tel un père suivant son gamin surexciter, Léo prend sur lui avec grand soin de toujours garder ses mains bien enfoncées dans ses poches. Mesure de sécurité absolument nécessaire…

Ce qu’il n'a pas vraiment anticipé dans son plan, c’est qu’il a dû boire plus que de raison également. Certes, il tient bien mieux l’alcool que cet énergumène albinos aux yeux pas rouges, mais il n’est pas surhumain non plus. C’est donc ivre mort, qu’ils rentrent tous deux à l’hôtel tard le soir. Ne lui demandez pas quelle heure, car ses habilités à réfléchir sont pour ainsi dire inexistantes, vu tout ce qu’il a enquillé. Kano est à moitié pendu à son épaule pour se maintenir debout, et lui peine à trouver le trou de la serrure de leur porte. Putain, qui a eu l’idée d’inventer des trous aussi petits… Au bout de plusieurs tentatives très frustrantes, il arrive enfin à glisser la clef dedans et ouvre la porte en grand. Son plan ? Il l’a complètement zappé tellement il est bourré. Chancelant, il se dirige vers la salle de bains pour se vider la vessie, oubliant jusqu’à fermer la porte pour un peu d’intimité. En se lavant les mains, il est si maladroit que la trousse de toilette finit par voler à terre, éparpillant tout le contenu à ses pieds. Cela l’interpelle, mais son cerveau est bien trop embrumé pour qu’il saisisse vraiment pourquoi le tube de fond de teint lui paraît louche. Lorsqu’il essaie de se baisser pour ramasser le matériel, l’envie urgente de vomir lui fait radicalement changer d’avis. Heureusement qu’il se trouve juste à côté de la cuvette… Une fois son estomac calmé, les affaires de Kai encore au sol lui sont tout à fait sorties de la tête. Il titube tant bien que mal vers le lit, mais son sens de l’équilibre est défaillant, et comme il ne peut même plus estimer les distances de façon plus ou moins exacte, il manque sa prise en voulant poser sa main sur le rebord du lit. La chute est rapide et lente à la fois, et Léo s’en extasie presque, si ce n’est pour le sol dur qui vient à sa rencontre. Il grimace et tente de se redresser, mais bien trop éméché, il s’écroule au pied du lit et sombre dans l’inconscience.

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