Chapitre 14

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Le village n’est pas très grand et l’on y trouve principalement des petits ateliers artisanaux vendant des statues de verre, du savon, des parfums en tout genre et autres petites babioles sympathiques qui intéressent les touristes. Les chances de trouver du maquillage et des vêtements de rechange sont donc bien limitées. Toujours est-il que la balade est des plus agréable, si on fait abstraction des regards insistants qui coulent sur eux. Pourtant, ils ne se tiennent même pas la main et ne se comportent pas vraiment comme un couple. Mais il faut admettre que leur look divergeant est notable parmi ces vieux croutons habillés en grosse doudoune. Alors, Léo, avec son manteau d’hiver et ses chaussures cirées, et Kai avec son hoodie grunge et ses Converses noires, font un peu sensation dans cet endroit paumé où l’excitation se trouve plus facilement dans la découverte d’une pièce de cinq centimes qu’autre chose. Sans parler des cheveux bleus de Léo qui attirent l’attention tel un phare en pleine nuit. Kai se demande s’il se fera un jour à cette sensation d’être observé à chaque pas qu’il fait à côté de lui, mais en attendant de le découvrir, il enfonce son bonnet et remonte le col de son sweater pour passer un peu plus inaperçu. Histoire de lui laisser la place de la star et lui, celle de l’ombre. C’est pas mal comme idée, non ? Malheureusement pour lui, Léo s’arrête net et le regarde avec perplexité.

“Ça va pas ?” Lui demande-t-il finalement, visiblement inquiet. Merde, maintenant, il va se dire qu’il est pas loin de refaire une crise. L’idée de l’ombre n’est pas si terrible en fin de compte.

“Euh, si si. T’en fais pas.” Réplique Kai en détournant légèrement le regard. Sauf que Léo ne semble pas se satisfaire de sa réponse et se rapproche de lui en le dévisageant. “Non, ça va pas.” Pourquoi il y a tant de monde dans ce village paumé, sérieux ?! C’est comme si tous ces yeux braqués sur lui le transperçaient avec des pieux de glace, le disséquant de part et d’autre avec leur curiosité malsaine. Ils ont quoi, à les regarder comme ça ? Ils ne sont pas des bêtes de foire non plus ! La main de Léo sur son épaule le fait tressaillir et une chaleur irradie au travers de l’épaisseur de son pull.

“Kai ?”

“Pardon… ” Balbutie-t-il, un peu embarrassé sur le coup. Léo a l’air tellement classe et lui ressemble à un ado en pleine phase grunge. Il sort d’où cette assurance ? Cette aisance à ignorer l’attention qu’on lui porte et de profiter sans gêne, peu importe la foule autour de lui ? Bon sang, il y a une demi-heure à peine, il se sentait tellement à l’aise juste avec lui… Et maintenant, il est de nouveau en train de stresser pour des conneries, bravo ! Il se sent con. La main sur son épaule glisse le long de son bras et vient enserrer sa main avec fermeté. Comme pour lui dire qu’il ne compte pas le lâcher et qu’il s’en bat les couilles des gens autour d’eux. Le contact est rassurant, tout autant qu’il est électrique. Rien que de sentir sa peau contre la sienne lui fait oublier tout ce qui l’entoure et le ramène à lui en un éclair. C’est comme si Léo avait un super pouvoir qui s’active à chaque fois qu’il le touche, un pouvoir enivrant. Kai lève les yeux et se sent soudain happé par le bleu de son regard. Il reste sidéré par l’ardeur qui y brille et ne peut retenir un sourire timide. La température extérieure a beau être glaçante, son corps, lui, brûle sous l’intensité avec laquelle Léo l’observe. Même son cœur se met à battre la chamade. Cet homme va finir par le rendre dingue et c’est à se demander si cette attirance n’est pas en train de se transformer en quelque chose de plus grand encore. Ça n’a pas de sens et c’est aussi incontrôlable qu’un train parti à pleine vitesse où il manque les freins.

“Ça va mieux ?” Lui demande Léo en souriant doucement avant de s’écarter sans pour autant relâcher sa main. Ouais, ça va carrément mieux… Alors Kai hoche la tête en repliant ses doigts fermement autour de ceux de Léo. “Ouais… ”

Le sourire à peine retenu de Léo lui donne un air de gamin trop content d’avoir marqué un bon point. Sous ses airs de beau gosse bling-bling, il y a une multitude de facettes à découvrir et Kai ne s’en lassera probablement jamais. Si seulement il avait son téléphone sur lui, il l’aurait pris en photo là tout de suite. Le soleil balaie ses cheveux électriques et accentue ses traits carrés et séduisants. Il est envoûté par cet homme depuis leur première rencontre sans qu’il saisisse pourquoi c’est si intense. C’est pas juste le fait qu’il ait un physique sorti tout droit d’un magazine de mode, c’est tellement plus.

“Il y a un petit restaurant avec une terrasse chauffée qui surplombe le précipice, ça te tente ?” Lui demande Léo après avoir zieuté distraitement le contenu d’une échoppe vendant des petites figurines de verre aux diverses formes et couleurs.

“Euh… ” Genre une terrasse au-dessus du vide ? Ce n’est pas trop rassurant. Kai a un grand doute, mais comme Léo semble si emballé par l’idée d’y manger, il a un peu de mal à lui refuser. “D’accord.”

Il le regrette direct en arrivant devant ledit restaurant. La terrasse est littéralement perchée sur des pilotis de bois qui paraissent dater de l’an quarante et elle dépasse de loin le flanc de la montagne. De très loin ! Il lance un regard incertain à Léo en le suivant dans l’établissement. Bien sûr, il ne l’a pas remarqué et demande déjà une table sur cette maudite terrasse. Guidé par un vieux serveur, il prie que le bois usé ne cède pas sous ses pas. Lorsqu’il reçoit la carte entre ses mains, il redresse des yeux exorbités sur Léo.

“Attend, c’est pas un peu excessif de demander 30 balles pour une salade au chèvre chaud ?”

Il peut dire au revoir à son argent de poche du mois s’il doit se payer le repas ici en plus des vêtements de rechange. Mais comme ils sont déjà installés, c’est un peu gênant de se lever pour partir. Sans compter que Léo ne voudra surement pas s’en aller maintenant… Têtu comme il est.

“Hmm, mais t’as une vue en plus de la bouffe qui est vraiment bien.” Argumente-t-il en pointant un pouce vers la côte méditerranéenne en contrebas. C’est vrai que la vue est imprenable, mais quand même…

Kai ne peut s'empêcher de cacher un sourire derrière sa main. “Ouais, tu paies davantage la vue que la bouffe à ce prix-là, je confirme ”

“T’inquiètes pas pour le prix et choisis ce qui te plaît. Je t’ai embarqué ici, alors je peux au moins te payer à manger.”

Kai grimace. C’est sympa de se faire inviter, mais il a quand même un peu de fierté… Et ce n’est pas parce que Léo semble être plein aux as, qu’il doit tout payer tout le temps. Bordel, c’est pas comme s’il allait avoir le choix de toute façon. Très bien, il gagne cette manche, mais la prochaine fois, ce sera lui qui l’invitera. Instinctivement, il cherche le repas le moins cher sur le menu et jette son dévolu dessus. Des pâtes carbonara à pas moins de 27 euros, s’il vous plaît ! En passant commande un peu plus tard, Léo lui lance un regard suspect. “T’as pas choisis ça à cause du prix quand même ?”

“Non, non, j’aime réellement les pâtes carbo… ” En soi, ce n’est pas tout à fait un mensonge, car il aime vraiment ça.

“Hmm” Fredonne Léo, pas tout à fait convaincu. Mais comme la serveuse vient de se barrer, c’est trop tard. Kai aura ses pâtes.

“Je sais pas si on va arriver à trouver un magasin qui vende autre chose que des vêtements de touriste ici. Mais il y a un village un peu plus grand à quelques kilomètres dans lequel on devrait trouver tout ce qu’il nous faut.” Joli changement de sujet, il faut lui accorder ! C’est vrai que les t-shirts avec pour seul dessin le clocher du village sont un peu ringards quand on y pense. Évitons également de parler des calbutes assortis… Hors de question qu’il porte un truc pareil, alors Kai acquiesce l’idée. “Je pense que c’est mieux en effet.” Ensuite, les routes sont assez agréables. Comme il n’est pas encore si tard, cela peut être sympa de découvrir un peu plus la région. La serveuse revient avec leurs deux plats fumants et les dépose en lorgnant avec insistance sur Léo tout en arborant un sourire aguicheur. Kai se pince l’arrête du nez en le remarquant et se retient de justesse de lâcher un commentaire. Il se contente de se racler la gorge et de lui lancer un regard noir. Elle a l’audace de lui offrir le même sourire mielleux avant de se retourner et de disparaître à l’intérieur. Kai retrousse la lèvre, agacé par le comportement affamé de cette nana. Le partage, c’est pas son truc non plus. Même s’il pense être plus subtil que Léo… Quoique… Ce dernier le regarde avec une fascination amusée.

“Jaloux ?”

"Sûrement pas !” Rétorque-t-il du tac au tac avant de boire une gorgée d’eau bien trop froide pour lui. Résultat, il se met à tousser comme un imbécile et cela lance Léo dans un éclat de rire sonore. “Je vois ça, oui.” Lui dit-il en effaçant son sourire béat d’un revers de main.

Kai plisse les yeux en souriant moqueusement. “Ça te flatterait trop que je le sois.”

“Peut-être… ” Réplique Léo en détournant le regard, faisant semblant de s’intéresser soudain à l’à-pic juste à côté d’eux. “Peut-être ?” Pouffe Kai.

“Mange, ça va devenir froid si tu traines !”

“Bon app, ouais.” Badine-t-il en prenant ses couverts en main. L’air boudeur de Léo le fait tellement rire intérieurement qu’il en oublie le vide sous ses pieds. Pas très longtemps, car une bourrasque un peu violente vient faire craquer la charpente et lui rappelle aussitôt qu’il est à la merci de cette terrasse en bois pourrit. C’est super rassurant de manger dans ces conditions ! Il y a quoi, une centaine de mètres qui le sépare du sol ? Peut-être moins ? Difficile à dire, mais c’est bien trop quoi qu’il en soit. C’est probablement en partie à cause des chutes dans l’univers de Kano, mais Kai ne se sent pas super à l’aise. Même s’il doit admettre que ces pâtes sont vachement bonnes, elles ne valent aucunement leur prix.

Après avoir fini leurs assiettes et que la serveuse - un peu trop lente à leur goût - daigne débarrasser leur table, ils se lèvent et quittent enfin cette maudite plateforme grinçante. Kai respire enfin ! Il y réfléchira à deux fois avant d’accepter les offres de Léo… Ce n’est pas qu’il ait vraiment le vertige, mais un peu quand même quand l’éventualité de tomber s’avère réaliste. Ils arrivent à leur hôtel une dizaine de minutes plus tard et Kai se rend à l'accueil pour y récupérer le portable de Léo. Évidemment, il s’agit de la même réceptionniste qu’au matin. Il sourit malgré tout quand elle lui tend l’appareil sans qu’il ait eu besoin de demander quoi que ce soit. Au moins elle a abandonné l’idée de lui parler en japonais, c’est tout de suite moins énervant.

“On remonte deux secondes avant de partir ?” Demande-t-il à Léo en lui rendant son téléphone. Il aurait pu aller aux toilettes quand ils étaient encore au restaurant, mais il s’est retenu pour éviter le désagrément de risquer sa vie à chaque pas. Un peu dramatique ? Vous auriez pensé exactement la même chose, si vous aviez vu l’état de la terrasse !

Léo hoche la tête et lui emboîte le pas vers l'ascenseur. Soudain la tension qui s’était un peu calmée remonte d’un cran en se retrouvant en face des portes coulissantes. Kai peut sentir sa peau s'électriser et son souffle se raccourcir. Il n’a pas oublié ses intentions de taquiner Léo et de le pousser à l’embrasser. C’est juste que pendant leur balade dans le village, il s’est montré tellement attentionné envers lui qu’il n’a pas eu envie de relancer le petit jeu de tentation. Bon d’accord, il n’est pas du genre à montrer de grandes marques d’affection en public. Même s’il admet avoir bien apprécié de pouvoir lui tenir la main en errant dans les ruelles.

L’ascenseur s’ouvre sur un vieux couple de croûtons et Kai doit s’écarter légèrement du passage pour pouvoir les laisser sortir. Léo se ramasse un regard curieux, mais comme il semble avoir l’habitude, il n’y prête même pas attention. Kai l’envie un peu pour son aisance, mais ne désire pas avoir le même effet sur les gens. Une fois les deux anciens hors du chemin, il se faufile dans l’ascenseur en tirant Léo par la main. Ce dernier ne s’y attendait pas et trébuche gauchement en lâchant une exclamation de surprise. “Hey !”

L’image de l’homme sûr de lui s’effondre en deux secondes et c’est amusé que Kai sélectionne leur étage.

“J’y peux rien si tu ne fais pas attention où tu mets les pieds.” Le nargue-t-il avec un air espiègle.

Léo hausse un sourcil et un sourire enjoué s’étire sur ses lèvres. “T’es sûr de vouloir jouer à ce jeu-là ?”

“Quel jeu ?” Feint Kai en souriant de plus belle. Il peut littéralement sentir le regard de braise de Léo se braquer sur lui au moment où les portes se referment sur eux. Il se rapproche dangereusement en fredonnant suspicieusement. “Hmm, hmm.” Il se tient à quelques centimètres de lui et Kai peut sentir son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine. Des frissons d’excitation le parcourent et son souffle tremble sous l’intensité avec laquelle les yeux bleu vif de Léo le dévisagent. Il peut sentir son souffle se perdre contre ses lèvres tellement il est proche. C’est enivrant, envoûtant et il n’a qu’une envie ; se pencher en avant pour l’embrasser. Et puis soudain, Léo s’écarte en étouffant un ricanement. “Quel jeu, hmm ?”

Kai se mord la lèvre avant d’expirer un petit rire vaincu. Il peut encore sentir la tension accumulée dans son corps vibrer à chaque battement de cœur. C’est même carrément frustrant de ne pas avoir eu ce qu’il espérait. C’est limite paralysant. Du reste, il met quelques secondes à réaliser qu’ils sont arrivés à leur étage et que Léo se dirige déjà vers leur porte. Il bondit hors de l’ascenseur, évitant de justesse de se retrouver enfermé tout seul comme un con dedans. Léo, lui, a entre-temps ouvert la chambre et lui lance un regard amusé. “Tu comptes visiter le couloir encore longtemps ?”

Kai le rejoint et se glisse le premier à l’intérieur avec un sourire triomphal. Sourire qui s’efface rapidement pour laisser place à la surprise lorsque Léo lui saisit le bras, le fait pivoter brusquement et le plaque contre la porte à présent fermée. Il s’empare de ses lèvres avec une possessivité enivrante, presque brutale. À tel point que Kai sent ses jambes défaillir sous lui. Il perd littéralement pied sous l’intensité du baiser. Les deux mains de Léo remontent le long de son cou et se perdent dans ses cheveux pour approfondir leur étreinte. Kai a du mal à respirer, mais peu importe. Les émotions qu’il ressent sont bien trop extraordinaires pour qu’il coupe le baiser. Il en veut encore plus, il désire s’approprier ce corps plaqué contre le sien avec une ardeur grisante. Il se languit de cette langue qui s’insinue dans sa bouche et lui fait découvrir un nouveau panel de sensations. Le monde a disparu autour de lui, il n’y a plus que Léo et lui, rien d’autre. Pas même Kano ne lui vient à l’esprit en cet instant.

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