Souvenir # ?% ~ ???

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C’était un jour comme un autre à Dzœñou. Le travail abondait et les couloirs étaient silencieux. À l’extérieur, le temps devait être radieux, certainement. Mais comment aurais-je pu savoir ? Je savais que nous étions à peu près au printemps – ma saison préférée – mais ce fut tout. Au moins ignorais-je ce que je ratais ou ne ratais point. Peut-être irais-je jeter un œil au-dehors un peu plus tard dans la semaine… ?

Mon bureau était rangé, si ce ne fut pour les quelques parchemins qui dépassaient de l’étagère. Il s’agissait de rapports en provenance de Dzwoha à relire, à valider et à envoyer à Pfœkiña. C’était mon travail en tant que conseiller. Un travail ennuyeux, certainement, mais nécessaire. Et puis, qui étais-je pour me plaindre d’une tâche que j’avais moi-même choisie ? Entre deux générations, il y avait beaucoup de temps à occuper et de paperasse à effectuer. Il fut vrai que j’aurais pu accepter l’offre de mes adelphes de ne m’occuper que de l’éducation des jeunes, et cela m’eût bien plu. Mais, même en admettant que je passe les cent prochains cycles à préparer l’apparition des futurs exécutants, il me resterait tout de même du temps libre !

Ce temps libre, je ne voulais pas que l’on pût l’appeler ainsi ! Je voulais le mettre à profit. Et quitte à libérer les mains d’un de mes adelphes, autant le faire pour Kawoutsè. Iel détestait le travail de bureau et, en conséquence, passait de nombreuses journées à l’extérieur du Temple, je ne savais où, pour se libérer l’esprit. Je n’appréciais pas de le savoir en perdition ainsi. Comme Kajiki, son proche assistant, était du genre studieux, iel ne pouvait pas se permettre de l'accompagner. un Kawoutsè seul dans la nature, non, ça ne me plaisait pas du tout !

Dans mes plus anciens souvenirs, Kawoutsè et moi-même errions sur les plaines désertes, et son visage affichait un mélange pitoyable d’appréhension et de lassitude.

Certes, le contexte avait bien changé, et un conseiller tel qu’ellui ne pouvait se permettre de s’éloigner trop du Temple et de ses responsabilités… Néanmoins, je ne pouvais m’empêcher de m’inquiéter en pensant aux moyens qu’iel pourrait trouver pour « se libérer » l’esprit…

J’étais allé trifouiller dans le tas de parchemins pour prendre note de leur nombre et sujets quand ma porte s’ouvrit à la volée.

– Joukwo ! s’exclama une voix familière.

Je n’eus pas le temps de le regarder et d'ellui répondre. Kawoutsè passa derrière moi et m’enserra avec poigne et sympathie.

– J’ai du nouveau !

La rudesse avec laquelle iel s’était introduit dans mon bureau ne me surprit point. J’eus même un sourire mal contenu en constatant qu’iel était bel et bien à son poste. Enfin, pas très loin, en soi…

Iel me reposa sur le sol et me laissa lui faire face.

– À propos de ? répondis-je en prenant le soin de maintenir un ton neutre.

– le dernier gamin accusé d’insubordination là, Wèthwo, je crois ?

– Oui, c’est ça, confirmai-je.

– Oui. Eh bien, le dénouement de l’opération de mutation est plutôt négatif, puisqu’iel a disparu.

– Quoi ?! m’offusquai-je. Mais iel avait accepté la proposition !

– Tant pis ! Il faut croire que ces jeunes ne sont jamais satisfaits. Laisse tomber.

C’était déjà la troisième disparition ce cycle, ça commençait à être problématique. Non seulement cela était mauvais pour l’image du Conseil, mais c’était également un grand mystère pour moi que de savoir où pouvaient bien aller ces personnes… De tous temps avais-je consacré ma vie à leur confier leurs tâches en fonction de leurs compétences. Savoir que certains remettaient en question mon choix et refusaient de comparaître devant nous me dépassait complètement. Je ne pouvais m’empêcher de penser que j’étais, en quelque sorte, à l’origine du problème.

Je fis machinalement le tour de Kawoutsè et allai m’asseoir sur mon bureau. Mon adelphe s’approcha et retint ma main qui tirait compulsivement sur une mèche de cheveux.

– Pas la peine de surinterpréter, Joukwo, me prévint-iel. ce Wèthwo ne mérite pas que tu te stresses inutilement.

Iel avait raison. Iel devait avoir raison…

– On va faire simple, veux-tu, poursuivit-iel avec un visage sérieux. On n’a pas besoin d'ellui pour faire avancer les choses à Dzwoha, alors tant pis pour ellui. On va suivre la procédure habituelle : on va fermer les yeux. OK ?

– Es-tu sûr de toi ?

– Ne t’inquiète pas, je m’en suis déjà occupé : j’ai fait mander le dossier de la décision à Pfœkiña. Quand il arrivera, tu n’auras qu’à le traiter comme s’il venait juste d’arriver et on n’en parle plus.

– Et on n’en parle plus ?! fis-je en levant un sourcil. Et tu comptais m’en parler quand, exactement ?

– Pas du tout. En fait, je comptais régler le problème sans ton intervention. Mais il se trouve que le dossier prend un temps anormalement long à arriver. Pas que ça m’inquiète, mais je préférais te prévenir. Après tout, il a plus de chances d’arriver à toi qu’à moi.

– Sérieusement ?! Pourquoi tu ne m’as pas prévenu plus tôt ? m’offusquai-je. De quand date ta demande ?

– Calme, toi ! Je ne t’en ai pas parlé parce que je pouvais m’en occuper seul et que je ne voulais pas te voir dans cet état, précisément !

« Mouais, comme si tu allais me convaincre avec des mots doux ! » me dis-je.

– Très bien Mais que comptes-tu faire si le dossier n’arrive pas ?

– Il ne devrait pas y avoir de problème de ce point de vue là, ne t’inquiète pas, affirma-t-iel. Concernant le Conseil, si tout va bien, nous n’aurons rien à leur justifier. Nous ferons comme si le gamin avait été muté à Ñimè avec succès et on n’en parlera plus. Ça te va ?

Je fis la moue. Kawoutsè savait parfaitement que ce genre de manigances n’était pas de mon goût. Mais il fallait aussi admettre que lorsqu’il s’agissait de maîtriser ce genre de situation, il n’y avait pas meilleur que ellui.

Je laissai mes épaules se détendre. Iel devait avoir raison, je n'aurais pas dû m’inquiéter pour si peu. Ce n’était pas le premier ni ne serait le dernier à disparaître. Nous ne pouvions rien y faire tant que nous ne savions pas où iels allaient. Et Kawoutsè aurait certainement été informé en priorité quand le mystère fut résolu. Je pouvais donc lui confier ce cas les yeux fermés.

– Ça me va, dis-je dans une expiration.

– Très bien ! La prochaine réunion aura lieu dans trente jours, ce dossier doit être archivé d’ici là.

– Ne t’inquiète pas. J’en ai trois en cours, mais je traiterai celui-là en priorité.

– Parfait. Je compte sur toi.

Kawoutsè me salua et s’en retourna vers la porte. Je notai avec amertume qu’iel n’avait pas pris la peine de prendre connaissance de mon moral et qu’iel s’était contenté de me parler de travail. Mais bon, ce genre d’interaction m’était plutôt familier… Au moins, j’étais satisfait de son état.

Je soupirai.

« Quel heureux idiot » me fis-je la remarque avec un sourire en coin.

Lorsque Kawoutsè sortit, un filin rose pénétra par l’ouverture et iel râla :

– Hors de mon chemin !

Je m’aperçus qu’il y avait quelqu’un à l’extérieur de mon bureau. Je fus surpris par cette seconde intrusion, d’autant plus que je n’attendais personne… Ça ne devait pas être un conseiller vu comment Kawoutsè s’était adressé à ellui et étant donné la couleur de son énergie vitale. Je me demandai s’iel avait entendu quelque chose de notre conversation.

Non, c’était absurde. Personne de censé n'aurait osé écouter à ma porte ! Chassant cette idée, je m’éclaircis la gorge et l’invitai à entrer.

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