19 janvier - 11 heures

4 minutes de lecture

A la Sûreté de police, chacun connaissait la règle ! Lorsque le chef était de mauvais poil, il ne fallait pas traîner dans les couloirs.

Le croiser inopinément pouvait provoquer sa colère et on se retrouvait mis à la circulation pour plusieurs semaines. Chacun se souvenait de l'inspecteur Javert qui fut condamné à intégrer une petite ville de province pour avoir fâché le patron.

Le chef de la Sûreté n'était pas homme à moquer.

Et pourtant...

Une jolie femme déambulait dans les couloirs glacés de la Sûreté. Ses mains gantées portaient un délicat panier rempli de douceurs. Chocolat, macarons, bouquet de perce-neige.

Le policier placé à la garde de la porte du chef de la Sûreté la regardait venir, effaré.

" Mais madame ! Il est interdit de venir jusqu'ici ! Comment êtes-vous...

- Vous êtes nouveau, vous ?, sourit la cocotte. M. Lenormand est-il là ?

- Mais oui, madame !, s'énerva le jeune homme en uniforme. Il est là, mais il a expressément demandé de ne pas être dérangé. Il est en réunion et...

- Tsss. Laissez-moi entrer. Vous verrez !

- Je ne peux pas madame et je...

- Chut !, fit Gabrielle. Vous allez le fâcher !

- Mais..."

Le reste de la phrase fut perdu sous l'index péremptoire de la femme. Gabrielle du Plessis laissa glisser son doigt sur les fines lèvres ourlées de moustache du jeune officier.

" La moustache vous va bien. Elle vous vieillit délicieusement. Je peux entrer maintenant ?

- Je, je...

- Vous êtes adorable. Je parlerai de vous à Arsène."

Le policier balbutiait encore lorsque la femme força la porte du chef.

La pénombre qui l'accueillit la fit soupirer de dépit. Les larges rideaux de velours étaient clos et une seule lumière brillait sur le bureau, éclairant des masses de dossiers et d'ombre. Elle s'approcha lentement de l'homme qui travaillait sans relâche, courbé et indifférent. Une tasse de thé refroidissait.

" Qui t'a laissée entrer, Gabrielle ?, grogna-t-il.

- C'est donc si grave ? Arsène ! Tu devrais m'appeler lorsque cela t'arrive.

- Je peux vivre sans ton aide !

- Oui, je sais !"

Gabrielle vint se poster derrière Arsène Lenormand, imposant chef de la Sûreté. Elle décela aussitôt ce qu'elle avait suspecté. Les cernes sous les yeux, les plis juste a la racine du nez, le regard fatigué de vivre. Doucement, elle força l'homme à basculer sa tête en arrière, la posant sur sa poitrine.

" Gabrielle, je n'ai pas le temps de jouer, souffla Lenormand.

- Non ?, se moqua-t-elle. Même pas un peu ?

- Gabrielle..."

Cela sonna comme une reddition et la femme caressa avec tendresse les tempes du chef de la Sûreté.

" Tu fais peur à toute la préfecture, tu sais ? On te fuit comme un pestiféré.

- Tant mieux. Ces idiots m'épuisent... Et je dois partir demain pour la Normandie... Je suis épuisé, ma Gabrielle..."

Lenormand ferma les yeux et la migraine se fit moins violente. Les mains fraîches de Gabrielle caressaient et massaient avec douceur.

" Demain ? J'ai de la chance de t'avoir un peu pour moi ce soir ?"

Une rêverie saisissait le chef de la Sûreté, mais elle était dangereuse. Il préféra s'en tenir aux faits et à la réalité.

" Laroche m'a téléphoné. Il m'a parlé de ta soif de poésie, asséna le policier.

- André est un goujat et fier de l'être. Je ne retournerai pas chez lui de sitôt," claqua Gabrielle du Plessis.

La cravate était desserrée, la veste envolée et la cocotte jouait avec les boutons du veston. Tout était de velours et d'élégance chez M. Lenormand.

" Il était fier de lui, en effet, souffla l'homme.

- Il n'y a pas de quoi. Son haïku était d'une banalité affligeante.

- Gabrielle ! Il était quand même mieux que ton "bites à gogo" !, taquina-t-il.

- AH ! Tu les as lus ?

- Tout le monde les a lus ! Tous nos amis en tout cas."

Gabrielle posa son menton sur le haut du crâne de M. Lenormand et se mit à rire.

" Que veux-tu ? Je ne suis pas poétesse ! Je suis une cocotte !

- Et une merveilleuse cocotte.

- Flatteur ! Je t'ai apporté des douceurs. Que veux-tu ? Je ne m'attendais pas à tes maux de tête. Peut-être préfères-tu que je parte ?"

Insensiblement, la femme recula, mais une poigne ferme la retint.

" Non, reste. Tu me fais du bien. Tu fais taire les voix dans ma tête.

- Arsène ! Tu exagères !, rit Gabrielle. Mais si je peux t'aider, j'en suis heureuse."

La cocotte se pencha et capta le regard blasé de l'homme. Elle s'assit sur les genoux de Lenormand et d'autorité sortit sa petite dînette. Macarons, assiettes, napperons et chocolat.

" Ton thé est encore chaud ? Nous allons jouer le couple marié !

- A ta guise, ma toute belle."

Le sourire de Gabrielle était si beau lorsqu'elle se penchait au-dessus de son chef de la Sûreté, le servant et le caressant avec affection.

L'homme n'était pas dupe, juste ensorcelé.

Il lui demanda :

" Il te faut donc un haïku ?

- Et plus beau que celui de ce malapris d'André Laroche !

- Tout pour toi, ma toute belle."

L'officier préposé à la garde de la porte du bureau du chef de la Sûreté fut surpris d'entendre des rires résonner dans la pièce. Il ne connaissait pas encore Mlle Gabrielle du Plessis, cocotte de luxe et maîtresse attitrée de plusieurs hommes de qualité de Paris. Dont le ténébreux chef de la Sûreté...

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