Quand Madame est satisfaite...

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Dimanche, le feu, les filles, les jeux, le repos...

Vous connaissez la suite.

On se prélassait et on se reposait.

Puis la magie disparut lorsque Madame apparut.

Chacune des filles baissa la tête et s'intéressa à son ouvrage.

Qui un roman de Colette, qui le roi de coeur qui permettait de faire un brelan imbattable, qui ses ongles qu'elle peignait de rose pâle...

Gabrielle du Plessis, fleur parmi ces fleurs, lisait avec application le dernier feuilleton à la mode paraissant dans le Gaulois, une nouvelle passionnante intitulée Le fantôme de l'Opéra...

Et comme de bien entendu, Madame Germaine en avait après elle.

" Gabrielle !, s'exclama la femme au chignon dangereusement penché sur la gauche.

- Madame, fit poliment la cocotte en levant ses yeux aux teintes mordorées.

- Je vous félicite ! Vos haïkus étaient splendides cette semaine. Nous n'avons reçu que des félicitations ! Nos invités étaient enchantés ! Je dis bien "en-chan-tés"."

Gabrielle se redressa et attendit la suite, méfiante et inquiète.

" Vraiment, madame ?

- Vraiment ! J'en fus la première surprise ! Vous étiez si incapable de poésie que j'avais même prévu de vous charger d'une autre tâche.

- Une autre tâche ?

- Oui. Nos clients aiment beaucoup que le salon soit joliment décoré. Vous auriez pu préparer des bouquets de fleurs par exemple."

Gabrielle du Plessis pâlit et ses doigts se crispèrent sur l'accoudoir du fauteuil.

" Des bouquets de fleurs ? Si vous voulez que je m'en charge, madame, je peux...

- Que nenni ! Vous avez un talent insoupçonné, ma chère Gabrielle ! Vraiment ! M. Laroche vous a même fait livrer un bouquet de glaïeuls pour vous féliciter.

- M. Laroche ? Quel gou...homme merveilleux !

- Oui, n'est-ce pas ?"

Madame Germaine croisa ses mains devant elle en parodie de Jeanne d'Arc. Elle se pâmoisait d'émotion. Les filles de la maison fixèrent Gabrielle avec compassion et une pointe de dérision.

" Quant à l'ambassade de Hongrie, vous avez reçu un télégramme de félicitations. De la part de ce jeune attaché... Là...

- Florian d'Andrézy, ajouta Gabrielle, dépitée.

- Oui ! Un homme du monde ! Il a promis de passer vous voir, mais il a des obligations cette semaine. Quant à M. Laroche, il s'excuse mais c'est la saison du polo.

- En janvier ?, claqua la cocotte. Je t'en fout... Certainement, madame. Si monsieur Laroche le dit."

Madame Germaine hochait la tête, heureuse et satisfaite.

Elle enfonça douloureusement le clou en assénant :

" Enfin ! Puisque vous avez du talent pour les haïkus, vous continuerez à en faire.

- Encore, madame ?

- J'avais dit un an. Mais c'était dans le feu de la colère, rit Madame Germaine. Nous verrons bien quand on cessera d'en réclamer. Nos clients adorent vos haïkus, ma fille.

- J'en suis contente, madame."

Gabrielle froissa le journal et posa son menton sur ses doigts qu'elle croisa devant elle.

" Quant à Corine, les sonnets ne sont pas son fort. Elle va si mal qu'elle est partie pour le sanatorium ce matin. Elle en devient si folle qu'elle a essayé de mordre le pauvre monsieur de Jussac.

- COMMENT CA ?, hurlèrent les filles.

- L'homme s'appelle Alexandre, il n'a pas eu le temps de terminer de se présenter que Corine s'est jetée à sa gorge. On a dû l'arrêter. Suzy et Margot, vous allez la remplacer. Quant à toutes et à tous, vous allez les aider ! Corine a trop souffert de la création poétique ! Mettez-vous y sérieusement !"

Les hommes et les filles soupirèrent, le dimanche était perdu.

Gabrielle se leva et partit se réfugier dans sa chambre.

Là, elle hurla sa rage en déchirant les feuillets couverts de son écriture fantasque, signes de ses tentatives avortées de haïkus. Bites à gogo et colin maillard.

Dire qu'elle aurait pu créer des bouquets de fleurs !

Soudain, on vint frapper à sa porte et Suzy entra, le sourire aux lèvres.

" Un télégramme pour toi, Gabrielle ! Allez hauts les coeurs, il vient de Normandie.

- Monsieur Lenormand !," souffla Gabrielle, les yeux brillants de joie.

Retenu Normandie par incompétents - STOP - Retour Paris dimanche a-m - STOP - Pense à toi - STOP - Hâte de te voir - STOP - Cadeau pour patienter - STOP - Le long de la Seine - STOP - Les flots bouillonnants résonnent - STOP - Dans mon âme en peine = A L = STOP ET FIN

Gabrielle serra contre son coeur le télégramme de son chef de la Sûreté et murmura :

" Vieux charmeur, va. A me jouer les amoureux..."

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